Au coeur du danger (Through the eyes of a child)

Extrait : Chapitre 1
Matthews se redressa d'un bond dans son lit, en sueur. Pendant une demi-seconde, entre sommeil et éveil, il avait réellement cru que son cauchemar s'était infiltré jusqu'à sa conscience. La sonnerie du téléphone retentit une nouvelle fois... Et toutes les terreurs de la nuit resurgirent des recoins obscurs de son esprit. Il repoussa les couvertures, cherchant à tâtons le combiné du téléphone tout en s'éclaircissant la voix.
- Allô ? Au bout du fil, il entendit une voix très faible :
- Matt ? Ses doigts se resserrèrent autour du combiné. Cette voix... Il l'aurait reconnue entre mille.
- Mattie... J'ai mal.
- Carol ? murmura-t-il d'un ton rauque. C'est toi ?
- Oui... Je m'appelle Carol O'Fadden maintenant. Enfin, je m'appelais... Il y eut un bruit, comme si elle avait lâché l'appareil.
- Carol, qu'est-ce qui se passe ? Où es-tu ? L'adrénaline acheva de chasser de son esprit les dernières brumes du sommeil.
- Carol ! Réponds-moi ! Un nouveau bruit, puis la voix reprit :
- Je déteste tellement le sang, Matt ! Plus que quinconque... Tu le sais, toi. La voix se brisa, puis reprit, plus tremblante encore...
- Et il y en a partout. Matthew eut envie de crier, mais il savait que cela produirait sur sa soeur l'effet inverse à celui qu'il souhaitait obtenir. S'efforçant au calme, il demanda d'un ton posé :
- Carol, peux-tu m'expliquer ce qui est arrivé ? Le silence qui suivit l'effraya plus encore que ne l'aurait fait une réponse. Après une pause interminable, elle parla enfin avec, dans la voix, un accent terriblement définitif.
- Il est mort. Enfin, je crois. Il y a du sang partout... Elle renifla.
- Mais il n'y a pas que le sien, bien sûr... Il doit y avoir le mien aussi. Sa voix s'éteignit.
- Ton sang ? A cette évocation, sa maîtrise faillit l'abandonner.
- Carol, dis-moi où tu es. Je vais prévenir les secours.
- Non ! Elle avait crié avec énergie, mais, aussitôt après, sa voix parut plus fragile encore, comme si elle venait d'user ses dernières forces.
- Non, Mattie... Viens, toi. Tu es le seul en qui j'aie confiance. Le seul qui me comprenne.
- Bien sûr, chérie, dit-il d'un ton apaisant. Je comprends. Où es-tu ? Une note d'hystérie perça dans les paroles de sa soeur.
- Dans... ma chambre, bien sûr. Où... où diable crois-tu qu'on soit quand on émerge d'un cauchemar atroce ? Un vacarme soudain lui déchira le tympan ; il éloigna vivement le récepteur. Elle avait dû lâcher le téléphone une nouvelle fois. Il rapprocha le combiné de son oreille, s'efforçant de comprendre le sens de ses paroles indistinctes.
- Où diable se trouve-t-on quand tout bascule dans l'horreur et le chaos, au milieu de la nuit ? Où donc crois-tu... que la mort... vient frapper... les gens quand ils dorment ? Elle ponctua sa phrase d'un rire étrange, qui s'acheva en un long cri plaintif.
- Carol ? Carol ! Le gémissement céda brutalement la place à la tonalité monocorde de la ligne téléphonique.

Les gyrophares balayaient le quartier résidentiel, trouant l'obscurité de leur clignotement régulier, butant contre les façades des maisons. Si les voisins suivaient les opérations, ils le faisaient dans l'anonymat, embusqués derrière les rideaux. A l'exception des policiers appelés sur les lieux pour s'occuper de l'affaire, Matthew ne voyait pas âme qui vive alentour. L'affaire... C'était un mot bien neutre pour désigner un désastre aussi effroyable. Lorsqu'il arriva en face du policier qui montait la garde devant la maison, il porta machinalement la main à la poche poitrine de son blouson pour en tirer sa carte de presse. Puis il se souvint qu'il était là à titre privé et non en tant que journaliste.
- Je... suis le frère de Mme O'Fadden, indiqua-t-il. L'homme en uniforme hocha la tête et lui fit signe d'entrer. Matthew n'eut aucun mal à trouver sa soeur. Contournant les divers groupes d'experts légistes en pleine action, il avança en suivant les traces que la mort avait laissée sur son passage. En passant devant la chambre principale, il frissonna, essayant d'ignorer l'éclaboussure de sang qui maculait le papier peint pastel de la pièce. "Dans la chambre", avait dit Carol. Juste après la porte, le couloir était bloqué par une équipe de médecins et d'infirmiers qui s'activaient fébrilement autour de Carol en aboyant des ordres brefs. A l'intérieur de la chambre, le rythme était beaucoup moins frénétique ; le médecin légiste et ses assistants, penchés sur un corps, prenaient des mesures, glanaient des indices, presque sans hâte. Matthew se détourna de ce spectacle macabre et s'approcha de Carol en essayant de ne pas gêner le travail de l'équipe médicale. En dépit de ses blessures, sa soeur était telle qu'il se la rappelait. Il se souvenait, comme si c'était hier, de la dernière fois où leurs chemins s'étaient croisés. Elle lui avait alors jeté au visage tout ce qui lui tombait sous la main, sous l'emprise d'une de ses spectaculaires crises de colère auxquelles s'ajoutaient toujours ses peurs irrationnelles. Mais, aujourd'hui, elle reposait sur le sol, immobile, inconsciente des efforts surhumains qu'on déployait pour la sauver. Et c'était Matthew qui se retrouvait, cette fois, confronté à ses peurs, irrationnelles ou pas. Elle était sa famille. Sa seule famille. Il fallait qu'elle vive...