A civil contract
Auteur : Georgette Heyer
Première parution (VO) : 1961
Commentaires
Betty (le 13/06/2014)
Ce roman remarquable raconte comment l'amour grandit, en tout cas une forme d'amour, chez un époux (Adam Deveril, Vicomte Lynton) qui a fait un mariage d'intérêt avec une jeune femme sans beauté, ni allure, ni culture mais très riche héritière d'un homme d'affaires de la city : Jenny Chawleigh. Il raconte concurremment comment il souffre d'avoir dû renoncer à son premier amour (la magnifique Julia Oversley) et de la revoir de temps en temps et comment il se détache peu à peu d'elle par loyauté envers son épouse et parce qu'il découvre finalement qu'ils étaient mal assortis et que Jenny lui correspond bien mieux. L'oeuvre est centrée sur les deux héros mais donne une large part à Jenny qui décide constamment avec finesse comment rendre "confortable", à défaut d'être heureux, son époux, comment régler les problèmes sociaux créés par le comportement mélodramatique de Julia, comment adoucir les rapports entre son époux et son père si envahissant et si peu délicat. Le roman est original à différents égards : les deux héros principaux ne sont ni beaux ni des personnalités éblouissantes. Ils sont intelligents, pleins de bon sens, doués d'humour (mais sans que le roman soit aussi humoristique que "Frederica" ou "The grand Sophy" par exemple), pourvus de fortes personnalités qu'ils n'exhibent pas car elles leur servent surtout à contenir leurs sentiments et leurs colères, tant ils sont des êtres raisonnables. Elle est une excellente maîtresse de maison et lui veut lancer une ferme expérimentale sur ses terres. On pourrait donc croire que le roman est ennuyeux mais pas du tout, on le lit avec même une étrange passion. Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses : les personnalités qui entourent les héros sont dessinées avec art et humour, la conquête lente mais sûre de son époux par l'intelligente et raisonnable Jenny crée en nous une empathie, le sacrifice d'Adam pour sauver sa famille, la justesse de ses sentiments, très mêlés, à l'égard de son beau-père et qui évoluent vers une véritable affection et admiration nous attachent à lui, la personnalité puissante, attachante, complexe de Jonathan Chawleigh lui-même nous passionne etc.
Tout cela donne un intérêt constant à une oeuvre d'un ton si juste, d'une si grande finesse d'analyse, qui semble réaliser avec intelligence et délicatesse le projet de Flaubert : "faire un livre sur rien". Mais ce rien est la vie même : l'acceptation des contraintes de la vie, la différence entre l'amour idéalisé et romanesque et l'amour compagnonnage, la conquête du bonheur quand on sait respecter l'intimité de l'autre, le laisser se détacher à son rythme d'une ancienne affection. Mais si Jenny réussit, c'est aussi parce qu'Adam est une personnalité loyale, honnête, lucide. Lorsqu'il se rend compte qu'elle donne (giving) toujours alors que lui se contente de prendre (taking), il entre loyalement dans un échange plus généreux.
Donc un roman remarquable, passionnant, dans un contexte historique important (les guerres napoléoniennes) et aux héros attachants, écrit non pas avec l'éclat de "Frederica" ou de "The grand Sophy", mais avec une sorte de lucidité douce-amère qui semble nous délivrer la sagesse de l'auteur : c'est par un travail incessant que le bonheur se conquiert.
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