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Mary « Moll » Davis - Scandaleuse

lafouine77 - 31/01/2018

(1648-1708)
Année du scandale : 1668.
Epoque : Règne du roi Charles II d’Angleterre.
Objet du scandale : Lors d’une représentation à Whitehall, devant le roi Charles II et son épouse Catherine de Bragance, Mary Davis dansa une gigue effrénée au cours de laquelle elle ne cessa de lancer des oeillades au roi, qui était son amant. Furieuse, la reine Catherine de Bragance (plutôt discrète et effacée) se leva et quitta bruyamment le théâtre.

Les origines de Mary Davis sont très obscures : elle serait née à Londres vers 1648, et sa mère aurait été la maîtresse de Thomas Howard, 1er baron Berkshire (1587-1669). C’est cette version qu’elle s’efforça de répandre tout au long de sa vie. Pour d’autres biographes, son père était un simple forgeron du Wiltshire, et son premier emploi fut celui de laitière. La version de la naissance illégitime semble la plus plausible, car les Howard avaient une forte connexion avec les théâtres de Londres.

Plusieurs fils du comte de Berkshire écrivirent des pièces, soit pour le King’s Theatre (qui était sous le patronage du roi Charles II), soit pour le Duke’s Theatre (sous le patronage de James duc d’York, frère de Charles II). Robert Howard écrira, entre autre, la pièce dramatique « The Indian Queen ».

A l’âge de douze ans, Mary Davis possédait une voix en or. On lui permit de jouer dans plusieurs petites scénettes où elle développa très vite un autre talent, celui de danseuse. En chantant et dansant, elle attira bientôt l’oeil du directeur du Duke’s Theatre, William Davenat, qui en fit sa maîtresse.

Lorsque Charles II récupéra son trône en 1660, un vent de liberté souffla dans les théâtres londoniens : auparavant les rôles de femme étaient tenus par des hommes, mais peu à peu elles reprirent leurs places de chambrières, de servantes et de maîtresses, et ne dédaignaient pas de se montrer sur scène vêtues de vêtements de garçons, ce qui leur permettait de porter des collants moulants, dévoilant leurs jambes fuselées.

Les premières années du règne du roi Charles II furent pleines de gaieté et de frivolité, et ramenèrent dans les théâtres de Londres une foule d’aristocrates venus chasser la morosité des dix ans du gouvernement de Cromwell. La jeune Mary Davis n’avait aucun talent d’actrice, mais sut mettre à profit sa voix et son don pour la danse dans des rôles chantants qui allaient lui permettre d’attirer l’attention d’un riche gentilhomme. En effet, n’étant pas particulièrement jolie, elle savait que l’intérêt de son directeur de théâtre serait éphémère, et pour être à l’abri du besoin il lui fallait un riche protecteur.

En 1662, à l’âge de quatorze ans, elle interpréta son premier grand rôle, celui de Viola dans « The law against lovers », où elle dansa et chanta à merveille. Malheureusement, la peste de 1666 et le grand incendie qui suivit chassèrent Mary de Londres, devenue une ville désertée. Elle se retira probablement à la campagne, à Tunbridge Wells, avec la troupe des comédiens, le temps que la cour de Charles II revienne d’Oxford, où elle s’était retirée en septembre 1665. Ce n’est qu’en novembre 1666 que les théâtres rouvrirent et que la vie reprit, plus joyeuse que jamais.

Le 7 mars 1667, elle interprétait « The English Princess ». Sa performance fut saluée par le mémorialiste Samuel Pepys, qui assista à la représentation et écrivit dans son Journal : « La petite Davis dansa une gigue à la fin de la pièce, et le public fut ravi de la voir danser dans des vêtements de jeune garçon, et il faut avouer que la danse de Mary Davis était bien supérieure à celle de la jeune Nell Gwynn qui avait été réalisée la semaine d’avant, travestie elle aussi en jeune garçon ».

C’était la première fois que Mary Davis était comparée à sa future rivale, Nell Gwynn, actrice du King’s Theatre qui allait devenir elle aussi la maîtresse du
roi Charles II.

En cette année 1667, le roi vivait la fin de sa liaison amoureuse avec sa maîtresse officielle, l’altière Barbara Villiers, comtesse de Castlemaine. Elle lui avait donné plusieurs enfants, et possédait un tempérament de feu qui lassait souvent le souverain, plus enclin à rechercher des compagnes qui le détendaient. La reine, une portugaise du nom de Catherine de Bragance, était une catholique insignifiante qui n’avait pas réussi à mener une grossesse à son terme, et ce en sept ans de mariage.

Pour se détendre, le roi venait de prendre pour maîtresse une fille d’honneur de son épouse, la jeune Winifred Wells. Ses compagnons de débauche l’incitaient à écarter la Castlemaine, qui était ingérable et devenait un gouffre financier. L’un d’eux, le duc de Buckingham, lui conseilla d’aller voir jouer la jeune Mary Davis au théâtre en décembre 1667, dans une nouvelle pièce, « Love tricks ». Samuel Pepys, présent lors de la représentation, écrivit que la danse de Mary Davis (habillée en jeune berger) sauva la pièce. Charmé, le roi retourna voir les représentations de « Feign’s innocence », où Mary jouait le rôle de Mrs Millicent, puis « The tempest », où elle incarnait Ariel. Comme c’était une piètre actrice, elle obtenait des rôles où elle chantait et dansait.

Mais c’est son rôle dans « The rivals », où elle jouait Celania en janvier 1668, qui allait décider du sort de la jeune femme. Elle chanta alors la chanson « My lodging it is on the cold ground » (qui signifie « je dors sur le sol froid ») et dansa sous les yeux du roi, charmé, qui dit-on en fit sa maîtresse le soir même, lui permettant ainsi de se réchauffer dans le lit royal. En ce début d’année 1668, la cour apprit que le roi avait pris pour maîtresse une petite actrice du nom de Mary Davis.

La jeune femme vint jouer la pièce « The Indian Emperor » devant la cour tout entière, au palais de Whitehall, c’est-àdire devant la reine Catherine, mais aussi la favorite en titre, lady Castlemaine. Samuel Pepys était encore présent pour témoigner de la fureur de la reine : « Parmi tous les acteurs de la pièce, il y eut Miss Davis, qui est la garce la plus impertinente qui soit, et encore plus depuis que le roi l’a désignée comme sa maîtresse ; le roi ne l’a pas quittée des yeux et lady Castlemaine est apparue mélancolique et sans répartie pendant toute la durée de la pièce et n’a pas souri une seule fois. Le roi a donné à Moll (surnom que Charles II donna à Mary) une bague de 700 livres qu’elle ne se gêne pas de montrer à tout le monde, et elle souligne que c’est le roi qui la lui a donnée ; il a aussi meublé une maison pour Moll qui se situe dans Suffolk Street, et on prétend qu’elle est la bâtarde de lord Berkshire et qu’il a été son maquereau afin de la jeter dans les bras du roi »…

Suffolk Street était alors une rue de Londres située dans Haymarket, et Mary Davis y vivra de 1668 à octobre 1673. Elle la quitta pour une maison de St James Square achetée pour 1 800 livres. Elle y resta jusqu’en 1687, et reçut une pension du roi de 1 000 livres par an. Cette maison, qui fut démolie en 1847, possédait trois étages et quatre fenêtres spacieuses. En plus de cette maison de Suffolk Street, qui l’élevait socialement, elle obtint un carrosse, cadeau du roi. En mai 1668, Mary Davis joua dans « She wou’d if she cou’d » en présence du roi et de la reine (qui venait de faire une fausse couche). Furieuse des oeillades que Mary décochait à Charles, la reine quitta la pièce.

« Miss Davis joua dans la pièce mais au moment où elle s’apprêtait à danser la gigue, la reine s’est levée et est sortie du théâtre, montrant ainsi son déplaisir d’assister à la représentation de la putain du roi, ce qu’elle n’a pas pu supporter ; lady Castlemaine resta jusqu’au bout mais l’on dit que le roi ne la visite plus et elle est apparue mécontente et mélancolique ». (Samuel Pepys)

Ce fut la dernière performance de Mary Davis en tant qu’actrice du Duke’s Theatre : l’attention du roi, et la pension qu’il lui accordait, allaient lui permettre de s’installer dans sa maison de Suffolk Street, que le roi continua de décorer richement. Il y passa des soirées tranquilles, où Mary partageait avec lui son autre passion : la musique. Elle était une joueuse de guitare accomplie et le roi adorait cet instrument, dont il savait jouer avec beaucoup de talent. C’est ainsi que cette atmosphère paisible retint le roi, dans les moments où il souhaitait se soustraire à la mauvaise humeur de la reine et de la Castlemaine.

A la fin de décembre 1668, et à la demande du roi, Mary Davis remonta sur scène pour jouer Macbeth dans les logements de James, duc d’York, frère du roi. Samuel Pepys, toujours présent, écrit : « Je fus vexé de voir Moll Davis dans le box du roi, et lady Castlemaine lorsqu’elle la découvrit fut rouge de colère, elle se vengea du roi en prenant comme amant l’acteur Charles Hart. »

C’est à cette époque que Mary Davis s’aperçut qu’elle avait une autre rivale, issue comme elle du milieu du théâtre : la jolie Nell Gwynn. Cette dernière s’était immiscée dans les faveurs du roi lorsque Moll avait quitté la scène, à la fin du printemps 1668. Ancienne marchande d’oranges, elle était venue à la scène en tant qu’actrice et, contrairement à Mary, n’était pas très douée pour le chant et la danse. Par contre elle avait les plus jolies jambes du monde, et lorsqu’elle apparaissait vêtue de collants moulants et dans son costume de jeune garçon, l’audience était saisie d’admiration. Le roi, toujours prêt à s’enflammer, en fit sa maîtresse tout en continuant à voir Moll.

Samuel Pepys compara les talents des jeunes femmes, indiquant que Mary Davis était des deux la danseuse la plus accomplie, mais que c’est Nell qui était la plus jolie. Elles se menèrent alors une guerre sans merci pour conserver l’affection du roi. Devant lui, elles feignaient de bien s’entendre car elles venaient du même milieu du théâtre, mais Nell était de loin la plus rusée. Un jour où elle devina que Mary Davis allait partager la couche du roi, elle l’invita à souper chez elle et lui fit manger des biscuits dans lesquels elle avait mis un laxatif puissant. Indisposée dans la soirée, Mary dut s’excuser auprès du roi qui se rendit chez Nell, où il fut reçu à bras ouverts.

C’est ainsi qu’à la fin de l’année 1669 Nell Gwynn tomba enceinte du premier bâtard qu’elle allait donner au roi. Elle accoucha le 8 mai 1670 de Charles Beauclerk, qui serait titré en 1676 comte de Burford, puis en 1684 duc de Saint Albans.

Mary Davis fut bientôt délaissée par le roi. En 1671, elle remonta sur scène en jouant Mrs Martha dans la pièce « Love in a wood ». Pendant la période où le roi fut pris par sa passion pour Nell Gwynn, elle attendit patiemment qu’il revienne lui rendre visite à Suffolk Street. Mais en 1670 une autre rivale apparut, bien plus dangereuse que Nell : la française Louise de Kéroualle, future duchesse de Portsmouth, fille d’honneur de la soeur de Charles II, Henriette d’Angleterre duchesse d’Orléans. Installée comme fille d’honneur de la reine Catherine de Bragance, Louise ne devint la maîtresse officielle du roi qu’en décembre 1671, date à laquelle Nell Gwynn accoucha du second fils du roi, le jeune James Beauclerk.

L’année suivante, Louise de Kéroualle tomba enceinte et le roi reprit ses visites chez Mary Davis. Louise accoucha le 29 juillet 1672 de Charles Lennox, qui sera titré duc de Richmond en 1675. En automne et en hiver 1672 il continua ses visites à la maison de Mary Davis, et en janvier 1673 elle tomba à son tour enceinte. Elle accoucha de sa fille, Mary, le 16 octobre 1673 : ce sera officiellement la dernière fille bâtarde du roi Charles II.

En février 1675, Mary Davis apparut dans une pièce en tant que Calisto (interprétant la rivière Tamise) en interlude, et la bergère Sylvia dans les interludes musicaux. Sa voix et son talent de musicienne firent merveille dans ce rôle originellement tenu par un homme. Cette pièce fut jouée pour les princesses Mary et Anne (filles du duc d’York) qui jouèrent aussi un petit rôle en tant que Calisto et son amie Nymphe. On fit aussi participer des dames de la cour, mais elles étaient si inaptes que Moll Davis fut appelée à la rescousse.

Parmi les musiciens de la pièce, elle fit la connaissance d’un jeune français, un protestant du nom de Jacques Paisible qui jouait du hautbois et s’était installé à Londres depuis deux ans. Ce fut le coup de foudre au premier regard pour ces deux amoureux de la musique. De plus, Mary se voyait délaissée par le roi, qui ne cessait de se partager entre Nell Gwynn « la putain protestante » et Louise de Kéroualle « la putain catholique », comme les nommaient les londoniens.

En cette année 1675, le roi était assailli par sa nouvelle favorite (Louise de Kéroualle) et son ancienne favorite, lady Castlemaine, qui toutes deux réclamaient l’anoblissement de leurs fils respectifs. Lady Castlemaine souhaitait qu’Henry reçoive le titre de duc avant le fils de Louise, mais c’est l’inverse qui arriva. Pour ne pas être en reste, Charles donna le titre de comte au fils de Nell (qui n’avait rien demandé pour lui). Il n’y eut rien pour la fille de Mary Davis, comme pour aucune des autres filles bâtardes du roi.

En 1676 une autre femme prit le coeur du roi Charles II, la fantasque et légère Hortense Mancini, duchesse de Mazarin, qui fuyait la France et un mari fou et obtint un temps la place de favorite, avant de tomber amoureuse du jeune prince de Monaco à l’été 1677. Le roi, apprenant sa trahison sentimentale, rompit avec elle.

Quant à Mary, retirée dans sa maison et vivant désormais pour la musique, elle recevait tous les jours au vu et au su de tous la visite de Jacques Paisible, qui venait d’écrire une pièce pour l’anniversaire du roi, « Rare en tout », laquelle obtint un certain succès. Un noble anglais le prit sous son aile et l’introduisit à la cour du roi Charles II. Les compositions musicales de Jacques ravirent les oreilles royales, et il obtint rapidement un emploi en tant que musicien du roi.

En 1681, une rumeur folle fit de Mary Davis la maîtresse de Baptist May, keeper of the King’s privy purse (secrétaire des finances) du roi Charles II, mais en fait sa présence continuelle chez ce secrétaire s’expliquait par ses constants besoins d’argent, lequel provenait essentiellement de la bourse royale. En 1682 elle fit jouer sa fille dans la pièce « Venus and Adonis », où elle tint le rôle de Venus et sa fille celui de Cupidon. En septembre 1683, Moll reçut une pension supplémentaire du roi pour l’avenir de sa fille, qui s’éleva à 1 500 livres par an.

Mais le roi Charles II rendit son âme à Dieu en mars 1685. Heureusement pour l’avenir et les finances de Mary Davis, Jacques Paisible l’épousa le 4 décembre 1686. Elle avait trente-huit ans, lui trente. Ce mariage fit sourire beaucoup de monde, et notamment Sir George Etherege qui écrivit avec mépris : « Mme Davis vient de nouveau de donner preuve de sa passion pour la musique et M. Paisible a maintenant entre ses mains un nouvel instrument de musique qui va le changer de ceux dont il avait l’habitude de jouer ».

En août 1687, la fille de Mary Davis épousa Edward Radcliffe, comte de Derventwater (1655-1705) et lui donna quatre enfants ; à trente-deux ans elle se remaria à Henry Graham, qui décéda deux ans plus tard, et elle noua une troisième union en 1707 avec le major James Rooke.

En 1688, James II, roi catholique intransigeant, fut chassé d’Angleterre par son peuple qui appela au pouvoir son gendre protestant, William de Hanovre, l’époux de sa fille aînée, Mary. Par fidélité envers James II, Jacques Paisible et sa femme quittèrent Londres et s’installèrent avec la cour du roi en exil à Saint Germain en Laye, avec l’espoir de revenir en Angleterre lorsque les troupes de James II auraient  infligé une sanglante défaite àl’armée de William, devenu le roi William III. Hélas, le désastre naval de la Hague ruina à tout jamais les projets de James II.

N’ayant pas à la cour de Louis XIV le statut qu’il avait à celle de Londres, Jacques Paisible décida de jouer son va-tout et annonça à sa femme qu’il allait retourner à Londres. En effet, les conditions précaires de la cour en exil leur laissaient entrevoir un avenir sombre en France, de plus leurs finances fondaient comme neige au soleil.

Après avoir tâté le terrain, il retraversa la Manche en 1693 avec son épouse pour se proposer comme compositeur de la musique, non pas du couple régnant William et Mary, mais du prince George de Danemark, époux de la princesse Anne, soeur de Mary et fille de James II, qui était aussi l’héritière du trône puisque William et Mary n’avaient pas d’enfants.

Jacques Paisible produisit un grand nombre de musiques pour des pièces de théâtre : « Love’s last shift » de Colley Cibber et « Oroonoko » en 1695. Ses talents musicaux furent salués par nombre de ses contemporains. Pendant quinze ans, le couple Paisible brilla à la cour d’Angleterre. A la mort du prince George de Danemark en 1708, Jacques reçut une pension de 100 livres par an, mais quelques jours plus tard Mary Davis s’alita et mourut à l’âge de soixante ans.

Inconsolable, il ne se remaria pas mais prit une maîtresse qui lui donna plusieurs enfants, qui moururent tous en bas âge. Douze ans après Mary, Jacques mourut à son tour, laissant dans son testament 60 guinées en or. Il fut enterré auprès de Mary dans le cimetière de Ste Anne, situé dans le quartier de Soho à Londres.

Lafouine77

Sources :
« The mistresses of Charles II » par Brian Masters
« Diary of Samuel Pepys »


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