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Catherine de Baillon - Scandaleuse

Les Romantiques - 28/09/2017

(1645-1688)

Année du scandale : 1668.
Epoque : Règne de Louis XIV.
Objet du scandale : Enfermée à l’hôpital de la Salpêtrière à la demande de son frère, suite à sa séduction par le duc de Verneuil, fils bâtard d’Henri IV et ex-évêque de Metz, elle sera expédiée au Canada en tant que « fille du roi » dans le contingent de 1669

 

Catherine de Baillon est née aux Hayes, dans la commune des Essarts le roi (Yvelines), dans le courant de l’année 1645. Elle est la dernière fille du couple Alphonse de Baillon, seigneur de Valence et de la Mascottière, et de sa seconde épouse, Louise de Marle.

Le père de Catherine avait épousé en premières noces Claude Dupuy, qui était morte après douze ans de mariage en lui laissant deux petites filles : Elisabeth et Claude Marie. Soucieux de donner une mère à ses deux enfants, le seigneur de Valence avait ensuite épousé en 1640 Louise de Marle, âgée de vingt-huit ans (lui-même en avait trente-sept), qui lui avait enfin donné l’héritier tant attendu, Antoine (né en 1643), et deux filles, Louise en 1644 et la petite dernière Catherine en 1645.

Les de Baillon appartiennent à la petite noblesse, mais l’ascendance de Catherine est prestigieuse : de sa grand-mère paternelle on peut remonter jusqu’à Charlemagne. Hélas, un grand nom n’apporte pas toujours l’aisance : le grand-père de Catherine, Adam II de Baillon (1528-1610), avait reçu de son père un héritage de 40 000 livres. Son fils, aussi prénommé Adam III (1570-1626), avait fait une belle carrière militaire mais dilapidé la fortune de la famille. Quand le père de Catherine, Alphonse de Baillon, se maria pour la première fois, il n’avait ni terre ni profession et la fortune de la famille (ou ce qu’il en restait) était tombée dans l’escarcelle de son frère aîné, Adam IV de Baillon.

La dot de sa première épouse avait permis à Alphonse d’acheter la métairie de la Massicotterie (en Yvelines) pour 2 880 livres. La dot de la deuxième consistait en la terre de Ragonan, accompagnée d’une jolie somme qui lui avait permis d’acheter le fief des Enclaves et d’agrandir sa seigneurie.

A sa naissance, Catherine peut donc espérer un destin digne d’une fille de seigneur aisé, mais la mort de son père quand elle a trois ans, en 1648, va détruire ce beau rêve. A l’automne 1648 Alphonse de Baillon meurt brutalement, laissant une veuve enceinte avec cinq enfants à charge. En 1649, Louise de Marle perd l’enfant qu’elle porte et doit faire face à des dettes importantes laissées par son mari.

A cette époque la campagne est ravagée par la Fronde, et il ne fait pas bon être une jeune femme avec des enfants à charge et peu d’argent à sa disposition. Heureusement elle rencontre un jeune gentilhomme, Marc d’Amanzé seigneur de la Fond, qui tombe sous son charme et l’épouse en 1649. L’adolescence de Catherine se passe donc avec sa mère et son nouvel époux à la Massicotterie. Ses demi-soeurs se marient rapidement : en 1654 Claude Marie de Baillon épouse Gilles Thiboust, un sergent royal, et en 1657 Elisabeth épouse Paul Hanot, un notaire royal, tous deux sont des roturiers.

En 1658 son frère, Antoine de Baillon, obtient une belle position : il devient page au service de Gaston Henri de Bourbon, bâtard d’Henri IV et de la marquise de Verneuil. Il va dès lors fréquenter Paris et son beau monde, et en fera profiter ses soeurs dès qu’il sera devenu adulte. Catherine et sa soeur Louise sont placées dans un couvent à l’âge de quinze ans et apprennent à lire et à écrire. Elles reviennent fréquemment à la Massicotterie et revoient leur frère, qui accompagne souvent Gaston Henri de Bourbon dans ses déplacements à l’abbaye des Vaux de Cernay, dont il est l’abbé et dont les terres jouxtent celles de la Massicotterie.

Bien malgré lui, le fils d’Henri IV était dès sa naissance destiné à la carrière ecclésiastique. Fils de roi, il est nommé évêque de Metz en 1612 (à l’âge de onze ans !) et jouit de plus de 400 000 livres de revenus en bénéfices (il est abbé commendataire de St Germain des Prés et de l’abbaye des Vaux). Il n’a aucun goût pour la vie religieuse qu’on lui a imposée, mais sait user de ses privilèges pour s’adonner à ce qu’il aime, c’est-à-dire la chasse et les femmes. En 1652, à l’âge de cinquante ans, il décide de renoncer à sa charge d’évêque. Mazarin lui accorde ce privilège (mais continue de lui distribuer les revenus des abbayes dont il est l’abbé en titre) et le roi Louis XIV le fait chevalier de l’ordre du Saint Esprit en 1661. Revenu à la vie civile, il partage son temps entre Paris, les Yvelines et son beau château de Verneuil sur Halatte (Oise) qu’il a hérité de sa mère.

En 1663 le roi le nomme duc de Verneuil et pair de France, et en 1665 il est envoyé comme ambassadeur extraordinaire du roi de France en Angleterre. En 1666 il est nommé gouverneur du Languedoc et part sur ses terres à Pézenas, emmenant avec lui le jeune Antoine de Baillon qui lui est tout dévoué. Celui-ci est devenu écuyer, puis premier écuyer du duc.

La rencontre avec Catherine de Baillon a dû se faire vers 1665, puis la jeune femme revoit le duc de Verneuil en 1667, à la suite d’une visite à Paris. Cet homme charmeur, qui a l’âge d’être son grand père, est un séducteur dans l’âme. La jeune Catherine ne sait pas lui résister et devient sa maîtresse clandestine. Que se passe-t-il ensuite ? Tombe-t-elle enceinte des oeuvres du fils d’Henri IV ? Quelqu’un remarque-t-il sa présence fréquente chez le duc de Verneuil ? Toujours est-il que le scandale est suffisamment important et public pour que le jeune Antoine de Baillon réagisse rapidement en chef de famille. Dans le courant de l’année 1668, lors d’un déplacement du duc de Verneuil en Languedoc, il fait conduire sa soeur à la prison pour femmes de la Salpêtrière.

Pour être pensionnaire à la Salpêtrière, il faut vivre à Paris, être pauvre, folle ou handicapée : Catherine de Baillon ne remplit aucune de ces conditions. Il en existe une autre : avoir été internée sur lettre de cachet du roi. Or le duc de Verneuil est l’oncle «de la main gauche» du jeune Louis XIV, qui entend bien le marier maintenant qu’il est revenu à la vie civile. D’autant qu’en 1668 le duc de Verneuil envisage de renoncer à la vie ecclésiastique. Au cours de l’été 1668, le bruit court qu’il va se marier (à soixante-sept ans) avec la veuve du duc de Sully, Charlotte Séguier, âgée de quarante-six ans.

Les pourparlers de mariage sont engagés et nul obstacle ne doit entraver cette union approuvée par le roi. Catherine de Baillon se morfond depuis neuf mois à la Salpêtrière lorsque le duc de Verneuil épouse à Paris, le 29 octobre 1668, la veuve du duc de Sully.

Quant à Antoine de Baillon, il cherche dès lors à se débarrasser de sa jeune soeur. Sa réputation ayant été entachée, il ne peut plus la marier à un noble de la cour. Il prend contact avec un oncle de la première épouse de son père, un nommé Louis Viole, dont une parente est assistante et trésorière des Dames de la Charité, qui ont d’étroits liens avec l’administration de la Salpêtrière. Elles s’occupent entre autres du personnel qui prend soin des femmes enfermées. Or dans le courant de l’hiver 1668, le personnel de la Salpêtrière commence à rassembler un contingent de «filles du roi» qui doit partir l’été suivant pour la Nouvelle France afin de repeupler cette colonie, selon les désirs du roi et de Colbert.

C’est la mère de Catherine, Louise de Marle, en se déplaçant à la Salpêtrière qui présente la situation à sa fille : le mieux pour elle est de partir au Canada parmi les «filles du roi», rassemblées pour trouver un mari là-bas et s’assurer un avenir plus radieux. Afin de l’y aider sa mère propose de lui fournir 1 000 livres de dot. C’est bien moins que ce qu’ont touché ses demi-soeurs à leur mariage (Elisabeth avait eu 3 000 livres et Claude Marie 2 400 livres) mais 1 000 livres sur le sol canadien, c’est tout autre chose, et sûrement que Catherine pourra trouver un seigneur local suffisamment riche pour l’accepter en tant qu’épouse.

Et puis elle doit penser un peu à l’avenir de sa soeur Louise, restée près de leur mère. Il faut lui trouver un mari à elle aussi, et la réputation de Catherine entache toute la famille tant qu’elle demeure en France. D’ailleurs le duc de Verneuil est à présent marié et ne semble guère pressé de prendre de ses nouvelles, la Nouvelle France est l’avenir de Catherine, il faut qu’elle parte avec les filles du roi. De guerre lasse, la jeune fille cède.

Catherine de Baillon s’embarque sur le «Saint Jean Baptiste» en juin 1669 et arrive dans la ville de Québec, en Nouvelle France, en août 1669. Elle fait partie d’un contingent de 149 jeunes filles qui sont pour la plupart orphelines et ont reçu du roi une dot de 50 livres chacune : une misère comparée à la sienne. Dès le départ Catherine observe une certaine distance avec ses compagnes de voyage : d’abord elle est noble, ensuite elle a une dot conséquente, et enfin elle est plus âgée que la plupart de ces «filles du roi». Elle a vingt-quatre ans, alors que la plus jeune en a seize.

A l’arrivée du bateau une foule d’hommes vient les observer pour choisir leur future «promise» : la plupart ont appartenu au régiment Carignan, acheté un lopin de terre et entendent le faire fructifier tout en élevant une famille qu’ils comptent fonder avec une «fille du roi». Quinze jours après leur arrivée à Québec, les filles du roi sont en général mariées et expédiées sur les terres de leur colon de mari, que ce soit à Québec, à Montréal ou à Trois Rivières. Or ce ne sera pas le cas pour Catherine de Baillon.

Les Soeurs hospitalières du Couvent des Ursulines à Québec l’hébergent et la voient rejeter avec dédain les prétendants qui viennent demander sa main. Il y en a peu, car sa réputation l’a précédée et sa mère a sous-estimé les cancans d’une petite garnison comme Québec. De plus Catherine veut épouser un seigneur local, mais cela ne court pas les rues. Dans le courant du mois d’août, elle est présentée à Jacques Miville, un jeune homme de six ans son aîné.

Il est robuste, aimable et de bonne constitution. Il est arrivé au Canada à l’âge de quinze ans avec son père, Pierre (qui était né en Suisse), et sa mère, Charlotte Maugis. Sa famille est très en faveur auprès de Jean Talon, l’administrateur de la petite colonie, et s’est installée sur la côte de Lauzon. Ils ont aussi un bel hôtel place Royale à Québec.

De plus Jacques Miville peut espérer hériter de la petite seigneurie de son père, qui est seigneur des Chênes. Or le 14 octobre 1669 celui-ci meurt. Le prétendant de Catherine bouillonne d’idées et souhaite établir le fief des Chênes sur la Côte du Sud, sur une terre concédée à sa famille par le marquis de Tracy.

 

Séduite par ses projets d’avenir, la jeune fille lui promet dès lors sa main et le contrat de mariage est signé le 12 novembre 1669 en présence du gouverneur Rémi de Courcelles, de Claude Boutrue, intendant de la Nouvelle France, et Louis Rouer de Villeray, l’un des conseillers du Conseil souverain. La cérémonie a lieu le même jour à l’église Notre Dame de Québec.

Les deux époux partent aussitôt sur la côte de Lauzon, dans la belle maison que les Miville ont construite dès leur arrivée au Canada, en 1649. Elle est assez isolée et compte cinq personnes. Catherine de Baillon doit très vite apprendre à cuisiner, coudre et travailler aux champs. Elle doit aussi s’occuper de sa belle-mère.

Elle met au monde son premier enfant, Catherine Marie, le 22 août 1670, qui sera bientôt suivi de Charles l’aîné en 1671, Jean en 1672, Marie en 1675, Charles le jeune en 1677, Marie Claude en 1681 et Robert en 1682. Le couple est semblet-il assez uni. Nous n’avons malheureusement aucune description physique de Catherine de Baillon : certains témoignages disent qu’elle avait les cheveux clairs, mais il n’existe pas de portrait de la dame des Chênes.

Toute la famille déménagea en 1673 pour s’installer sur la Côte du Sud. Cette même année, en octobre, Catherine apprend que sa soeur Louise a épousé un beau parti, Jean Pocquet, premier brigadier des gardes du duc de Montausier, dont elle deviendra veuve en 1681.

En Nouvelle France, la famille Miville vit surtout du commerce des fourrures, mais Jacques n’est pas un gestionnaire habile, et bientôt ses affaires déclinent suite à une mauvaise saison de chasse. En 1675 le couple fait faillite, et Jacques devient simple fermier d’un seigneur des environs : Charles Aubert de la Chesnaye. Ce doit être une humiliation pour Catherine, mais deux ans plus tard, en 1677, le couple réussit à acheter 72 arpents de terre à Rivière Ouelle, avec la ferme intention de se refaire une santé financière.

En 1680, la mère de Catherine de Baillon meurt et laisse à sa fille 600 livres, somme qui est perçue avec soulagement par la dame des Chênes. Lors du recensement de 1681, Jacques Miville, seigneur des Chênes, dit posséder deux fusils, sept bêtes à cornes et huit arpents de terre.

En 1682 le séducteur de Catherine, Gaston Henri de Bourbon duc de Verneuil, meurt chez lui au château de Verneuil, âgé de quatrevingt-un ans et sans enfants de son épouse Charlotte Séguier. Dans ses dernières années, il était tombé dans la dévotion pour racheter son passé d’abbé débauché.

En 1683 le frère de Catherine, Antoine de Baillon, fait un beau mariage : il épouse le 3 février Marie Marthe Deruel de Beauregard. Les signataires du contrat de mariage sont le roi Louis XIV, la reine Marie Thérèse et la veuve du duc de Verneuil, Charlotte Séguier. Le roi a la bonté de le nommer lieutenant de la louveterie du Grand Dauphin et gouverneur de la ville de Pont de l’Arche. Il n’en profitera pas longtemps car il décède en 1685, à l’âge de quarante-deux ans, suivi l’année d’après par son épouse qui mourra en couches en avril 1686.

En décembre 1687 une terrible épidémie de rougeole s’abat dans la région de Québec : Catherine et son époux tombent malades en même temps. Jacques meurt aux premières lueurs du 27 janvier 1688, et Catherine le suit au cours de la même journée, dans l’après-midi. Elle a quarante-trois ans. Catherine de Baillon et son époux le sieur des Chênes reposent côte à côte dans le cimetière de Rivière Ouelle à Kamouraska, Québec.

Le couple laisse sept orphelins dont le plus jeune n’a que six ans. Ils sont recueillis par le frère de Jacques, François Miville, qui les élèvera avec les douze enfants qu’il a eu de sa première épouse, Marie Langlois. Les enfants de Catherine revendiqueront la succession d’Antoine de Baillon, dont elle était l’une des quatre héritières. Mais comme elle avait été déshéritée par son frère, ils devront batailler pendant cinquante-neuf ans avant d’obtenir une
part de leur héritage français.

Pour la petite histoire, cette descendante de Charlemagne est aussi l’ancêtre de la chanteuse Céline Dion, qui descend d’elle par trois branches différentes.


Lafouine77

 

Sources : «Catherine de Baillon, fille du roi» de Raymond Ouimet et Nicole Mauger.


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