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Les couvertures

Fabiola - 14/03/2017

«Ne jugez pas un livre d’après sa couverture.» Cette citation vieille de 64 ans s’applique à présent surtout aux individus. Ne pas se fier aux apparences, voilà sa signification aujourd’hui. Toutefois, lorsque cette phrase est apparue dans «Fahrenheit 451» de Ray Bradbury, l’auteur parlait bel et bien de livres. A l’heure actuelle les éditeurs (et leurs auteurs) espèrent que les lecteurs préfèrent largement s’en remettre au résumé plutôt qu’à la couverture.

Or, dans le monde de la romance, fans ET détracteurs ont besoin de pouvoir identifier le genre. Les fans parce qu’elles savent ce qu’elles veulent et n’ont pas envie de chercher pendant des heures un roman correspondant à leurs goûts ; les détracteurs pour pouvoir encore plus se moquer de ce genre trop populaire et trop bien vendu. Pendant de nombreuses années, Harlequin et J’ai lu pour elle (J’ai lu à l’époque), nos deux grands éditeurs de romance classiques, ont préféré préserver la même charte graphique : les changements effectués étaient très minimes, et portaient le plus souvent sur la couleur ou la nuance.

Néanmoins, la romance a des sous-genres (historique, contemporain et romantic suspense, à l’époque), et chacun avait sa charte graphique dédiée. Les couvertures qui attiraient le plus les critiques des détracteurs ? La romance historique, bien sûr, surtout les titres publiés dans la collection Aventures et Passions chez J’ai lu. Ceux de la collection Les historiques chez Harlequin étaient (et sont encore) plus «sobres» et proposaient déjà à l’époque un plus large choix d’images de couverture, que ce soit dans la collection dédiée ou à l’occasion d’éditions spéciales.

Il a fallu des années de négociation pour qu’enfin les couvertures de romance historique soient revues chez J’ai lu. Les premiers grands changements datent de 2008. Et quand il y a du changement, autant faire un ménage complet. C’est ainsi que toutes les collections de romance ont vu leur charte graphique renouvelée, d’autant que la romance paranormale et érotique avait trouvé une place chez l’éditeur. Dernier changement en date : 2016.

A présent, chez J’ai lu pour elle, les propositions de couvertures sont diverses et variées, et cela quel que soit le sous-genre du roman publié. Nous pouvons donc avoir un couple, un homme seul, une femme seule, un plan serré sur une partie du corps, un paysage… Les fans sont ravies, les détracteurs continuent à dénigrer la romance.

Même si, chez Harlequin, les couvertures ont toujours été plus sobres, l’éditeur a également effectué plusieurs changements, très souvent minimes, au fil des années. En même temps, nous parlons d’un éditeur qui a besoin de garder son lectorat de base, notamment pour les collections qui fonctionnent depuis le lancement de la maison d’édition, à savoir, Azur (ancienne Collection Harlequin) et Blanche. Il ne faudrait pas que les fans se détournent de leur(s) collection(s) préférée(s) sous prétexte que le changement est trop important. A ce sujet, la collection Blanche n’a pas vu beaucoup d’évolution, par contre la collection Azur a connu plusieurs étapes, la dernière en date aura lieu en avril 2017.

C’est lors du lancement de nouvelles collections qu’Harlequin peut en profiter pour proposer des chartes graphiques différentes : &H, HQN et Victoria.

Cette évolution au niveau des couvertures n’a pas seulement lieu dans la romance, mais de manière générale. D’ailleurs une étude du Wall Street Journal révèle qu’une personne passe environ huit secondes à contempler la couverture, puis quinze à lire la quatrième de couverture. J’ai demandé à Jay Crownover et Cora Carmack leur sentiment sur les couvertures.

Jay Crownover : «En tant que lectrice, je me fiche de la couverture. Je sais qu’il peut y avoir des mots super derrière une image que je n’aimerais pas particulièrement. En tant qu’auteur, je sais qu’une couverture peut faire vendre ou couler un livre. Il y a des gens qui ne toucheront pas à votre livre s’il a une mauvaise couverture, et les chances de trouver de nouveaux lecteurs pour cette histoire sont minces si la couverture n’est pas super. Je sais aussi, en tant que femme
d’affaires, qu’une couverture donne une identité visuelle à vos livres. Il faut qu’un acheteur jette un coup d’oeil à l’image de couverture et sache sans hésiter que c’est un livre de Jay ou de Cora. Votre couverture est votre plus important outil de marketing et de publicité… donc si elle est mauvaise, votre plan marketing va aussi être difficile à vendre.»

Cora Carmack : «Les couvertures jouent un rôle important dans le marketing d’un roman. Elles peuvent définitivement faire le succès ou l’échec d’un livre moyen. Mais au final, un bon livre est un bon livre, et il trouvera son chemin vers les lecteurs en dépit des obstacles. L’un de mes livres préférés a une couverture qui date pas mal, et pendant longtemps je ne l’avais pas lu à cause de ça. Mais une fois que je l’ai ouvert, j’étais tellement en colère de ne pas l’avoir lu plus tôt. La plupart du temps, avec les éditeurs traditionnels, vous pouvez donner votre avis sur la couverture, mais la décision finale leur revient. Certains éditeurs donnent à l’auteur plus de contrôle que d’autres. Et certains livres ont plus de budget, ce qui offre plus de possibilités pour les couvertures. L’une des choses super avec l’autoédition, c’est que l’auteur a le contrôle total et prend toutes les décisions elle-même

Pourquoi des couvertures différentes pour la romance ? Parce que, tout simplement, c’est l’héritage laissé par les anglosaxons, en même temps que la romance telle que nous l’aimons. Lorsque les romances sont officiellement apparues sur le marché, il fallait qu’elles se démarquent, qu’elles aient leur propre «patte». Ce fut le cas grâce aux couvertures. Non seulement c’est ce qui a attiré l’attention immédiate, mais en plus cela a contribué à la fidélisation des clientes. Pourquoi alors changer fondamentalement ce qui marche ? En tout cas en France, Harlequin n’en a pas vu la nécessité, et J’ai lu s’est aligné sur ce principe.

Quelles sont les différences entre les premières couvertures et celles d’aujourd’hui ? «L’évolution des couvertures va de pair avec l’évolution de notre marque et de ce que veulent les lectrices» dit Michelle Renaud, une porte-parole d’Harlequin. «Dans les années 40 et 50, les couvertures avaient une tonalité film noir, et les
femmes étaient représentées en tant que rôle secondaire – les hommes prenaient le devant de la scène. Dans les années 70, il y avait un sentiment d’évasion et de fantaisie. Ensuite nous avons représenté les hommes et les femmes en tant que partenaires. Aujourd’hui, il y a des héroïnes beaucoup plus fortes.»

En effet, Fabio est depuis longtemps «relégué au placard». Mais les hommes musclés sont toujours d’actualité. Pour preuve, les nouvelles couvertures que Milady a décidé d’utiliser pour la série Lucky Harbor de Jill Shalvis, à l’occasion de sa réédition. Les couvertures VO, ainsi que la première sortie en français, sont classiques. La nouvelle édition l’est un peu moins. LOL. Les fans de la première heure s’offusquent et disent qu’elles ne correspondent pas à une série small town, les nouvelles lectrices adorent.

En France, cette différence entre les couvertures de romance et les couvertures de romans classiques était, il y a peu encore, flagrante. Un article traitant de cette question, notamment entre les versions américaines et françaises, a été publié en 2013 sur le site Slate.fr. Pourquoi les couvertures sont-elles donc plus sobres en France ? Cela est dû à une longue tradition littéraire qui remonte au 18ème siècle. «Un livre n’est pas un tableau qu’on met au mur. Il ne doit pas être esthétisant. Lorsque c’est trop chargé, trop compliqué, je trouve ça de mauvais goût, comme quelqu'un d’endimanché» estime Olivier Cohen, directeur-fondateur des Editions de l'Olivier. Et Jean-Yves Mollier, historien de l’édition, de rajouter : «Cette sobriété des couvertures est en effet une marque de fabrique française.» C’est aussi pour cela que les lecteurs et écrivains classiques détestent autant la romance.

Elisabeth Parinet, historienne et auteur de l’ouvrage «Une histoire de l’édition contemporaine XIXe-XXe siècle», exprime très bien notre point de vue sur ce que renvoient les couvertures : «Les images deviennent le marquage de la littérature populaire. La sobriété celui de la littérature plus élitiste.»

Dans les années 1990, certains éditeurs avaient trouvé la solution «idéale» : une jaquette. France Loisirs en était très friand, cela permettait de faire passer une romance pour quelque chose de plus classique. En effet, une fois enlevée la jaquette (jetable donc), les lectrices qui en avaient honte pouvaient garder une édition beaucoup plus sobre et moins tape-à-l’oeil dans leur bibliothèque.

Cependant, de plus en plus de rééditions de romans classiques ont des couvertures attrayantes. Les éditeurs auraient donc compris à quel point cet élément est important ?

Et puisqu’on y est, parlons un peu du relooking, qui fait également partie de l’évolution de la romance et de ses couvertures. Parce qu’un roman peut connaître plusieurs vies, et très souvent de nouvelles lectrices, rien qu’avec un changement de couverture. A titre d’exemple, je peux citer Susan Donovan : «La trilogie The Bigler, North Carolina, a commencé avec «Cheri on top» en 2011, suivi de «I want Candy» en 2012. Le troisième tome, «Stealing Taffy», était prévu pour fin 2012. Malheureusement, un évènement catastrophique m’a arrêtée en plein milieu de son écriture. Je n’ai écrit le mot «Fin» de ce troisième livre qu’au printemps 2015, pratiquement quatre ans plus tard. Finalement il est là ! En l’honneur de la sortie de «Stealing Taffy» le 30 août 2016, St. Martin’s Press a décidé de repackager les trois romans de la trilogie.»

En France nous pouvons voir le même cheminement, que ce soit dans le cadre d’une simple réédition, ou de la réédition d’une série non terminée à l’époque, et dont la sortie des inédits est prévue. Dans le cas de Jill Shalvis par exemple, ou encore de Brenda Joyce et sa série «Une enquête de Francesca Cahill» chez J’ai lu pour elle.

Qui dit couverture, dit cover designers. Dans un article paru sur le site Cosmopolitan.com, l’artiste et illustratrice Anna Kmet explique son processus de création : «Je reçois des éditeurs les informations sur le livre – qui sont les personnages, leur description physique, le synopsis de l’histoire. Quelquefois ils ont des idées sur ce qu’ils veulent pour la couverture, et quelquefois ils n’en ont pas ; c’est parfois à moi de présenter différents concepts. Ils peuvent demander à ce qu’il n’y ait que le personnage féminin, comme pour cette couverture de An affair with a notorious heiress (NDLR : de Lorraine Heath, publication en VO prévue pour mai 2017), et j’essaie de présenter une idée.

Ensuite je choisis les modèles qui correspondent aux descriptions et je les montre aux éditeurs pour avoir leur accord. Avant la séance photos, je fais des recherches sur les costumes, ensuite je les loue. Je programme une séance photos avec mon photographe, Michael Frost. Nous prenons environ deux cents photos, afin de couvrir toutes les possibilités et d’avoir une large variété de choix au cas où ils veuillent changer de direction. En général, la séance dure une heure ; ça fait beaucoup de choses à faire en une heure.

Ensuite je récupère les photos, je fais une sélection, je demande l’accord de l’éditeur et je m’occupe des ébauches. Je travaille avec Photoshop. J’étais peintre et, pendant des années, je faisais des illustrations de couvertures à la peinture à l’huile, sur de grandes toiles. En gros je fais la même chose maintenant, mais je travaille sur un ordinateur avec une tablette graphique, et j’ai les mêmes possibilités qu’avant. Je dessine et peins toujours pour créer l’image finale. Quelquefois c’est beaucoup de navettes avec les éditeurs pour arriver vraiment à ce qu’ils veulent.» Ici, il s’agit de couvertures pour des romances historiques.

Pour la romance contemporaine, je laisse la parole à Anna Sudgen à propos de son dernier titre publié en VO en février 2017 : «A perfect strategy était plus dur pour eux (NDLR: ses éditeurs) que les tomes précédents car Scotty est un héros plus âgé, alors que Sapphie est très jeune. J’essaie toujours de donner des conseils sur ce que j’imagine du héros et de l’héroïne. Cette fois, j’ai utilisé deux acteurs de la série télé Motive – Warren Christie et Kristen Lehman – qui ressemblaient beaucoup à l’image que j’avais de Scotty et Sapphie.»

De plus en plus d’auteurs utilisent cette méthode pour se faire une idée de leurs héros, et ainsi pouvoir orienter vers le bon choix. Sophie Barnes, par exemple, avait choisi Christian Bale et Lilly James pour ses personnages de «A most unlikely duke», qui sera publié en juin 2017 en VO. Ensuite on lui avait demandé de choisir un couple de modèles parmi les propositions de son éditeur.

Cependant faire une séance photo pour un seul livre a un coût, que ne peuvent pas se permettre les auteurs indépendants notamment. C’est pour cela qu’il existe des banques de données d’images pour créer des couvertures. Les images sont payantes, charge ensuite à un cover designer de faire un montage en fonction du roman, ou de la laisser telle quelle, si l’image de base est suffisamment attrayante. Cela explique pourquoi on peut trouver la même image pour deux romans de deux éditeurs différents. On peut aussi retrouver les mêmes couvertures chez un seul éditeur. LOL Dans ce cas, il ne faut vraiment pas se fier à la couverture du livre, n’est-ce pas ? En tout cas il est tout à fait possible d’avoir l’exclusivité d’une image… à condition d’être prêt à investir, sachant que le prix varie entre 300$ et plus de 1000$. Il peut même monter jusqu’à 4500$.

Et alors, est-ce qu’il y a plusieurs tendances dans les couvertures ? On peut ici évoquer les couvertures assez flashy utilisées notamment par les éditions Hugo Roman. Notez la différence entre la version originale et la version française.

On peut également parler des éditions Addictives, qui ont parfois des dessins sur leurs couvertures. Nous pouvons donc définitivement dire que la sobriété n’est plus de mise dans la romance, et qu’il est possible que, bientôt, elle ne soit plus de mise non plus dans la fiction en général.

On pourrait probablement en dire beaucoup plus sur les couvertures, notamment le processus de création ou le relooking. Qui sait, peut-être dans un prochain numéro ?

 

Fabiola

 

Sources
http://www.today.com/popculture/romance-novel-covers-get-butt-kicking-babes-wbna42265908

http://www.slate.fr/story/69737/pourquoi-france-couvertures-livres-sobres

http://susandonovan.com/2016/05/why-the-new-covers/

http://www.cosmopolitan.com/entertainment/books/a8776074/how-romance-novel-covers-get-made/

http://www.superauthors.com/2016/10/a-perfect-cover.html?spref=fb

https://romanc-e-d.blogspot.fr/2016/11/cover-reveal-avon-books-sophie-barnes.html


Commentaires

étudiante anonyme (le 06/02/2018)
Je fais une étude courte sur les couvertures Harlequin et sur ce que ça dit. Mon but est de comprendre l'autre sans moquerie, ni jugement de valeur. Malgré mon bon sentiment, j'étais dubitative en arrivant sur ce site (jugement malgré moi). Finalement je reconnais que cet article est vraiment intéressant et que j'ai pu trouver beaucoup de références par rapport au monde de l'édition. Merci!

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