Le site francophone dédié au roman féminin

L'édition fait des vagues

Agnès - 26/01/2017

Ne riez pas, je vous livre ici le résultat de quinze années d’observation méticuleuse (et totalement impartiale) du monde de l’édition, ou plutôt du monde du roman féminin : l’édition fait des vagues !

La première je l’ai prise un peu dans la figure, puisqu’elle est montée en puissance en France en 2001, au moment où je venais de créer le site Les Romantiques et d’avoir mes premiers contacts avec les éditeurs. L’une des premières questions qu’on m’a posée chez J’ai lu était : Qu’est-ce que vous pensez de Bridget Jones ? (Heu… rien ???) Pas de bol, c’était au moment où ils travaillaient sur leur nouvelle collection semi-poche : «Comédie Romantique» (2002-2005). Ma réaction, manquant clairement d’enthousiasme, a dû me cataloguer direct chez les has-been à leurs yeux.

En 2001 la Chick lit avait en effet du vent dans les voiles : surfant sur le succès du film avec Renée Zellweger, Hugh Grant et Colin Firth, plusieurs éditeurs ont lancé des collections spécialisées. Harlequin a créé «Red dress ink» en 2003, Belfond a lancé Mille comédies, Fleuve noir et Pocket ont publié de grands noms comme Lauren Weisberger («Le diable s’habille en Prada»). C’était un déferlement de nouveaux auteurs, dont beaucoup étaient en fait des journalistes de presse féminine.

Sans surprise, cette même presse féminine a fait caisse de résonnance pour le phénomène chick lit. Que ne lisait-on pas à l’époque : c’était un genre littéraire nouveau, qui allait reléguer aux oubliettes la poussiéreuse littérature sentimentale (qui existait alors depuis une vingtaine d’années déjà). Pour avoir du succès, tout devait être accommodé à la sauce chick lit (couvertures acidulées, héroïnes déjantées, noms de marques de luxe toutes les deux pages).

Bien entendu, avec du recul, il est facile de dire que la chick lit n’était pas un genre littéraire nouveau, juste un phénomène de mode habilement exploité pendant une dizaine d’années et qui s’est éteint petit à petit. Il n’existe plus de collection qui lui soit dédiée et, même si quelques irréductibles auteurs continuent à en écrire, il n’y a guère que Maître Gims et Kim Kardashian pour penser encore qu’une paire de Louboutin est le nec plus ultra qui vous pose une femme.

La vague suivante a été très différente. Avec la chick lit on était dans la légèreté et le rose bonbon, l’insouciance et le Chardonnay : d’un coup on est passé à l’ombre inquiétante des ruelles malfamées, à la baston et au sanguinolent. Les vampires étaient passés à l’attaque ! Etait-ce en réaction à une overdose de saccharose ? Peut-être en partie, mais c’est dans le monde de la Romance
qu’à compter du milieu des années 2000 a commencé à prendre naissance la vague du paranormal.

Bien sûr il y avait déjà eu les «Chroniques des vampires» d’Anne Rice, «Buffy contre les vampires» à la télévision, mais ces charmantes créatures surnaturelles sont devenues monnaie courante dans la Romance érotique du début des années 2000. Pour se renouveler, les auteurs sont rapidement passés aux changeformes et autres garous, puis aux anges déchus et démons. Aucun mythe surnaturel n’a manqué d’être exploré. En France, en juin 2008, Bragelonne a créé le label Milady dédié à la Romance paranormale et à l’Urban fantasy, réunies par eux sous l’appellation de Bit-lit (qui n’est utilisée que chez nous).

Et soudain la déferlante Twilight était là ! Comme pour Bridget Jones c’est la sortie du premier film, en 2008, qui marque l’explosion du phénomène. Les éditeurs ont créé des collections dédiées : J’ai lu avait déjà «Mondes mystérieux», elle a été
relookée en «Crépuscule» (juin 2008), puis les auteurs phares, comme Nalini Singh ou Karen Marie Moning, ont été publiés en semi-poche dans la collection Darklight (mai 2010), Harlequin a créé les collections Nocturne (janvier 2010) et Darkiss (juin 2010), et Hachette la collection Black Moon.

A la dimension paranormale, Twilight a bien sûr ajouté l’aspect «Jeune adulte». Bon, techniquement Edward n’était pas un perdreau de l’année, mais Bella était bien une jeune lycéenne innocente, ce qui ne se faisait plus dans la Romance depuis pas mal d’années. Il faut dire qu’avec le succès d’Harry Potter, le monde en général, et celui de l’édition en particulier, avait découvert que des hordes d’adultes pouvaient acheter et lire des romans dont les héros étaient adolescents. A la fin des années 2000, plusieurs auteurs se sont d’ailleurs lancés avec succès dans ce créneau dit du Young Adult : Suzanne Collins avec «Hunger games», suivie de Veronica Roth avec «Divergente» et John Green avec «Nos étoiles contraires», entre autres.

En tout cas voilà que les vampires et autres bêtes à poils ou à plumes envahissaient les étagères de nos librairies et les catalogues de nos éditeurs. Pour les lectrices qui, comme moi, ne sont pas vraiment fans, le ras-le-bol a surgi assez vite. Ce qui était positif par rapport à la vague de la chick-lit, c’est que personne n’a dit cette fois que la littérature paranormale allait remplacer la Romance «traditionnelle». lol On sentait bien chez certaines personnes le sentiment de faire partie d’une avant-garde bien plus moderne que les lectrices de romance, mais beaucoup se sont aussi intéressées à d’autres sous-genres que le paranormal et ont fini par adopter la romance au sens large.

Il faut aussi souligner que le même chemin a été suivi par les éditeurs : Bragelonne et Hachette, réalisant sans doute à travers la vague Twilight l’étendue du marché de la Romance, ont tous deux créé des collections, Black Moon Romance et Milady Romance, alors que jusque-là il n’y avait qu’Harlequin et J’ai lu qui en publiaient.

Autre point positif de cette vague : la plupart des auteurs qui ont surfé dessus étaient expérimentés. Formées soit à l’école de la Romance, soit à celle de la littérature fantastique, dans tous les cas elles avaient du métier et savaient construire une intrigue, camper des personnages et tout simplement écrire un roman. Comme la précédente, la vague paranormale a peu à peu décliné, et elle touche maintenant à sa fin. On le constate à l’interruption par les éditeurs français de nombreuses séries, qui n’ont plus un lectorat suffisant. Pourquoi ? Parce que les lectrices sont passées à autre chose…

Eh oui, me voilà arrivée à la troisième vague ! lol Et dire qu’aucune des trois ne m’a embarquée… c’est sûr, je ne suis pas faite pour le surf ! Voilà que dans un tout autre coin de l’univers littéraire une nouvelle déferlante se préparait. Cette fois-ci c’est dans le secteur de la fan fiction (ou fanfic) qu’elle est née.

La fanfic existe depuis très longtemps, elle consiste pour les fans d’une oeuvre à écrire des suites ou des histoires alternatives pour leurs héros préférés. Le premier fandom remonte au début du XXème siècle et à Sherlock Holmes, qui a inspiré de nombreux auteurs amateurs. Evidemment, à l’époque la seule façon de partager ses écrits était de les faire imprimer, ce qui était dissuasif mais n’a pas empêché certains de le faire. L’arrivée de l’internet allait faciliter la diffusion et générer une explosion de la fanfic.

Des communautés florissantes ont vu le jour autour de séries télé : X-files, Buffy, mais aussi de livres/films : Harry Potter, Twilight. Parmi ces fans, Snowqueens Icedragon écrit dès 2009 une fanfic de Twilight où la relation entre les héros prend un tour BDSM. Elle l’intitule «Master of the universe» et cette nouvelle version de l’histoire d’amour entre Bella et Edward plait beaucoup à ceux qui la découvrent en ligne : elle attire plusieurs millions de lecteurs.

EL James, car il s’agit bien évidemment d’elle, décide en 2011 de retirer «Master of the universe» d’internet et de le publier sous le titre «Fifty shades of Grey» en gommant toute référence à Twilight. Elle n’est pas la seule à le faire, Sylvain Reynard retire aussi sa fanfic Twilight d’internet et la publie sous le titre «Gabriel’s inferno» («Le divin enfer de Gabriel», publié chez J’ai lu dans la collection Passion Intense en mai 2014.) Par contre elle est indubitablement celle qui rencontre le plus de succès, avec des droits d’auteurs évalués à 95 millions de dollars.

La troisième vague culmine en 2015 avec la sortie du premier film et du quatrième roman de la série : «Grey». Et comme vous commencez à vous en douter, tous les éditeurs veulent leur part du gâteau. On voit fleurir de nouvelles collections : Hugo Roman avec New Romance et New Way, JC Lattès (l’éditeur d’EL James) avec &moi, City Edition avec Eden. Tout le monde s’arrache les auteurs issus de la fanfic, comme Christina Lauren, ou de l’écriture sur des plateformes en ligne telles que Wattpad, comme Anna Todd. Le phénomène est encore accentué par l’arrivée d’auteurs francophones désireux de se faire une place au soleil, qui cherchent à émuler la «recette miracle» du New Adult : titre de deux mots en anglais, héros torturé, héroïne blessée par la vie, surabondance de scènes de sexe, série de plusieurs tomes (parfois rebaptisés «saisons» comme pour une série télé).

Malheureusement, contrairement aux auteurs de la vague précédente, ce sont le plus souvent des débutants. Si l’on rajoute une histoire délayée sur plusieurs tomes, voire deux tomes qui racontent la même chose, l’un du point de vue de l’héroïne, l’autre du point de vue du héros… vous voyez venir le problème… Salman Rushdie a dit à propos de «Fifty shades» (c’est méchant mais c’est drôle… lol) qu’en comparaison «Twilight» c’était «Guerre et paix». L’avantage de ces auteurs inexpérimentés, c’est qu’ils ne s’embarrassent pas de conventions (dont ils n’ont d’ailleurs pas forcément connaissance), et tentent des choses nouvelles.

Point positif à souligner : grâce à la vague Fifty shades le terme de Romance est maintenant connu de beaucoup plus de personnes. Malheureusement, elles ne savent pas forcément ce qu’il signifie. On retrouve chez les fans ce sentiment de faire partie d’une avant-garde beaucoup plus moderne que les lectrices de Romance «traditionnelle», soupçonnées d’être un peu vieux jeu (ou old school) et bornées. Mais que celles qui en ont déjà ras-le-bol de cette vague envahissante se rassurent, je peux en avant-première vous annoncer exactement quand elle se terminera. Démonstration : 2001 Bridget Jones, sept ans plus tard, 2008 Twilight, sept ans plus tard, 2015 Fifty shades, sept ans plus tard, 2022 sortie du film qui marquera le déferlement d’une nouvelle vague. lol

En attendant comment se porte la Romance en France ? Plutôt bien. Elle est passée de deux éditeurs en tout et pour tout au début des années 2000 à une dizaine en 2017 : Addictives, Charleston, City Edditions, Hachette, Harlequin, Hugo Romans, J’ai lu, JC Lattès, Michel Lafon, Milady, Nisha. Sans compter les maisons d’édition indépendantes qui fleurissent un peu partout. Certes la Romance ne fait pas de vagues, mais elle s’enrichit à chacune : des héroïnes fofolles inspirées de la chick-lit aux guerrières indestructibles façon Buffy, des sombres immortels aux jeunes milliardaires torturés, de la narration à la première personne aux histoires sur plusieurs tomes. Finalement, contrairement à moi, la Romance est assez douée pour le surf…


Agnès

 

Pour rappel, les principaux phénomènes éditoriaux de ces dernières années, classés par nombre de livres vendus :
JK Rowling - Harry Potter (1997) 500 millions
Dan Brown - Robert Langdon (2000) 200 millions
EL James - Fifty shades (2011) 125 millions
Stephenie Meyer - Twilight (2005) 120 millions
Stieg Larsson - Millénium (2005) 80 millions
Suzanne Collins - Hunger games (2008) 65 millions
George RR Martin - Le trône de fer (1996) 60 millions
Cassandra Clare - Shadowhunters (2007) 36 millions
Charlaine Harris - Les vampires du sud (2001) 20 millions
Helen Fielding - Bridget Jones (1996) 15 millions


Commentaires

Pirouette (le 19/02/2017)
Super! Moi non plus je ne me suis pas laissé emporter par les vagues, mais j'aime beaucoup ton analyse. Ce que tu dis sur l'expérience des auteurs lors des deux dernières vagues est très intéressant.

*karine* (le 22/02/2017)
tu me fais attendre 2022 avec curiosité.

Prénom ou pseudo * :
(Gardez toujours le même pseudo. Les lectrices qui partagent vos goûts pourront ainsi suivre vos commentaires.)
Email :
(Votre email ne sera pas affiché sur le site. Il nous permettra simplement de vous envoyer un petit mot de remerciement.)
Commentaire :
Signature :
 

* : champ obligatoire

Les commentaires sont temporairement désactivés

Les Romantiques sur Twitter  Les Romantiques sur Facebook  Rechercher un livre

 

 

 

 

© Copyright 2012 Les Romantiques
Webdesign Priscilla Saule