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Anne Wells - Scandaleuse

14/10/2016

Mrs Jefferies
Duchesse de Chandos (1719-1759)
Année du scandale : 1737.
Epoque : George II, roi d’Angleterre.
Objet du scandale : vendue par son premier mari lors d’une «vente d’épouse», elle fut rachetée par le futur 2ème duc de Chandos dont elle devint la deuxième épouse.

Née en 1719 à Brasted Park, dans le Kent, morte le 9 août 1759 à Keynsham Abbey, Somerset, enterrée dans le mausolée Chandos à Whitchurch, Londres. On ne connait pas grandchose sur les origines d’Anne Wells. On sait que son père se nommait John Wells, qu’il résidait à Brasted Park dans le Kent, et qu’Anne eut de nombreux frères et soeurs.

La famille ne devait pas être riche, puisqu’elle épousera à l’âge de dix-huit ans un certain M. Jefferies. Ce dernier prenait soin des chevaux à l’auberge de Newbury, dans le Berkshire, à l’enseigne du «Pelican». Anne y trouva un emploi de serveuse et s’occupait notamment du nettoyage des chambres et des repas. Le couple ne semble pas avoir été très heureux, le mari d’Anne se révélant bientôt jaloux et violent. La beauté de la jeune femme attisait la colère de son époux qui, bien souvent, la rouait de coups.

Un jour de l’an 1737, il se transforma en brute et battit la jeune femme pour ensuite la trainer dans la cour de l’auberge, une corde autour du cou. Il finit par s’attirer l’attention des voyageurs entrant et sortant et, devant une Anne mortifiée, arborant une joue tuméfiée et une lèvre fendue, il annonça à la cantonade qu’il vendait sa femme au plus offrant.

Aussi curieux que cela puisse paraitre, la vente d’épouse était une coutume en Angleterre, apparue à la fin du XVIIème siècle : elle permettait de mettre fin par consentement mutuel à un mariage insatisfaisant, le divorce n’étant accessible qu’aux plus riches. Après un rituel durant lequel la femme était publiquement exhibée, un collier au cou, à la taille ou au bras, le mari finissait par la vendre aux enchères. Deux lords qui dinaient tranquillement dans la salle de l’auberge du Pélican, interloqués par le brouhaha extérieur, interrompirent leur repas et allèrent voir ce qui se tramait dans la cour. Il s’agissait d’Henry Brydges, marquis de Carnarvon, âgé de vingt-neuf ans, en route vers sa résidence campagnarde (Shaw House) qui se trouvait tout près de la ville de Newbury, et d’un de ses amis.

Les cris de M. Jefferies et les larmes silencieuses d’Anne suscitèrent l’intérêt du marquis, qui remarqua la beauté de la jeune femme et sa digne contenance face à la scène dégradante dont elle était l’objet. Sous le charme, le marquis de Carnarvon remporta les enchères et s’empressa de retirer du cou d’Anne la corde qui la retenait encore prisonnière entre les mains de son bourreau.

Après quelques paroles de réconfort, il l’emmena dans la famille du vicaire de Newbury, paroisse la plus proche de sa résidence de Shaw House. Là, il s’assura qu’elle ne manquerait de rien et que le vicaire lui prodiguerait tous les soins nécessaires. Puis il repartit pour Londres, où il siégeait au Parlement depuis 1727 et avait le titre de Master of the Horse depuis 1729. Il était aussi l’héritier du 1er duc de Chandos et possédait une jolie fortune personnelle.

Henry Brydges était marié depuis 1728 à lady Mary Bruce, qui lui avait déjà donné deux enfants, un fils et une fille. Rien à sa naissance ne le destinait à devenir duc, il n’était que le sixième fils de James Brydges, 1er duc de Chandos, mais la mort de tous ses frères aînés l’avait propulsé au rang d’héritier. Il avait accompli le Grand Tour de 1724 à 1727, un voyage d’initiation qu’effectuaient les jeunes nobles anglais en Europe (principalement en France et en Italie) afin de parfaire leur éducation. A son retour, son père l’avait marié à la fille aînée du 3ème comte d’Ailesbury et lui avait assuré un siège au Parlement (bien qu’il n’ait pas l’âge requis) : il était devenu le représentant du comté de Hereford.

Il avait été nommé gentilhomme de la chambre du roi l’année de son mariage, et était devenu l’un des amis intimes de Frederick, prince de Galles, qui fut l’un des parrains de sa fille Catherine (née de son union avec Mary Bruce). Celui-ci était en opposition permanente avec son père, le roi George II, qui décrivit Henry Brydges comme «passionné, impulsif et n’ayant pas plus de jugeote qu’un coq perché sur ses ergots, et pas plus de cervelle que son maitre (le prince de Galles)». Le roi et son fils se détestaient cordialement, et se livraient une guerre ouverte. Le prince de Galles rejoignit les rangs de l’opposition dans le seul but d’énerver son père, le marquis de Carnarvon le suivit dans ses luttes politiques.

et lady Mary Bruce ait été un mariage de convenance : les deux époux, après avoir produit un fils et une fille, s’éloignèrent l’un de l’autre. La rencontre d’Henry Brydges et Anne Wells scella définitivement un nouveau chapitre amoureux pour l’héritier du duc de Chandos. Au fil des mois, après le rachat de la jeune femme, Henry et Anne se revirent fréquemment, au rythme des retours du marquis en son domaine de Shaw House. C’est ainsi qu’Anne devint la maitresse d’Henry, sans attendre la mort de sa femme en 1738. Lorsqu’il fut veuf, ce n’était pas le cas d’Anne, dont le premier époux vivait encore. Henry l’installa dans son domaine de Shaw House, où elle prenait en main les rênes de la maison lorsqu’il devait retourner à Londres.

En 1744, le père d’Henry mourut et le jeune homme devint officiellement 2ème duc de Chandos. La même année, le mari d’Anne décéda (la chronique rapporte qu’on le retrouva ivre mort) laissant la jeune femme libre d’épouser celui qu’elle aimait. Le duc de Chandos décida que la cérémonie aurait lieu chez l’un de ses amis, dans le quartier de Mayfair, à Londres, le 25 décembre 1744. Plusieurs ducs anglais assistèrent en tant que témoins à cette étrange union, suivant le souhait d’Henry de donner une légitimité à son mariage aux yeux de la haute société : le musicien Handel, que patronnait Henry, fut présent, ainsi que le portraitiste Joshua Reynolds.

C’est ainsi qu’Anne Wells, ancienne servante d’auberge, devint la 2ème duchesse de Chandos. Le duc suivait en cela l’exemple de son père, qui avait épousé par amour sa troisième épouse, une veuve sans le sou du nom de Catherine Van Hatten (de vingt ans sa cadette). Chez les Brydges, on ne badinait pas avec les sentiments. Catherine passera d’ailleurs les dernières années de sa vie à Shaw House, que son beau-fils lui laissera jusqu’à sa mort. Le 2ème duc de Chandos et sa duchesse s’installèrent à Londres, ils établirent leur résidence secondaire à Keynsham Abbey, dans le Somerset. Une autre de leurs résidences se nommait Michenden House, dans le Middlesex.

Pendant sept ans, Anne Wells avait été éduquée dans l’ombre. Tout d’abord par le vicaire de la paroisse de Newbury, puis elle avait pris goût aux chiffres et s’était révélée excellente comptable : son mari le duc de Chandos lui laissa alors le soin de veiller sur la tenue des comptes du ménage. Elle fut beaucoup moins à l’aise dans l’aristocratie londonienne. Son langage était encore fortement teinté d’un accent campagnard, et elle ne se sentit jamais à sa place en compagnie des lords et des ladies du beau monde.

Sa beauté lui attirait de nombreux compliments, mais sa timidité et sa modestie lui jouaient des tours. Lord Omery la décrira en ces termes, en janvier 1745 : «Les gens décrivent diversement la nouvelle duchesse de Chandos, tant en ce qui concerne sa beauté que son caractère, mais tous s’accordent à dire que les deux sont peu élevés». Les origines d’Anne furent tenues dans l’obscurité : au lendemain de son mariage, le duc de Chandos produisit les armes de la famille Wells : «trois fontaines sur fond d’azur», et peu de gens connaissaient les circonstances réelles de leur rencontre.

Après son mariage, Anne Wells resta en lien avec sa famille, et notamment organisera des visites de ses frères et soeurs à Londres, où elle leur donnera des vêtements, de l’argent et leur fera visiter la ville par l’intermédiaire de son intendant. Elle ne pourra par contre jamais les inviter à la table du duc son époux, puisque leur origine modeste ne leur permettait pas d’y accéder. L’une de ses soeurs, qui vendait des légumes sur un marché, se souviendra avec émotion qu’Anne la faisait venir tous les ans à Londres, où elle pourvoyait généreusement à l’entretien vestimentaire de sa jeune soeur.

Anne et Henry devaient rester mariés pendant quinze ans, durant lesquels ils n’eurent qu’une fille, Augusta Anne, née en 1748. En 1751, Frédérick prince de Galles rendit son âme à Dieu sans avoir pu accéder au trône d’Angleterre, et le duc de Chandos perdit son poste de gentilhomme de la chambre. Il se retira alors dans ses terres, laissant le soin à son fils, lord Carnarvon (né de son mariage avec Mary Bruce), de reprendre ses fonctions auprès du roi George II.

Dans sa quarantième année, Anne tomba grièvement malade à Keynsham Abbey, dans le Somerset. Sentant sa fin approcher, la duchesse de Chandos réunit tous ses serviteurs à son chevet et leur raconta l’histoire de sa vie. Elle les exhorta à croire en la providence divine, qui lui avait permis de se sortir d’une situation sordide pour devenir duchesse du royaume d’Angleterre. Elle sollicita leur pardon pour le cas où elle leur aurait causé du tort et leur donna à chacun un cadeau et une forte somme d’argent. Lorsqu’elle mourut, Henry Brydges duc de Chandos écrivit dans le registre de la famille que la duchesse possédait «une excellente qualité de jugement, un grand sens de l’ordre qui s’était manifesté par un tri des papiers du duché avec un mémento pour permettre au duc, son mari, de s’y retrouver, ce qui lui avait certainement pris des mois de travail, et ce malgré les débuts de la maladie qui devait l’emporter».

Le 2ème duc de Chandos attendra huit années avant de se remarier (à presque soixante ans !) le 18 juin 1767, à West Ham dans l’Essex, avec une fille de baronet, Elizabeth Major, de vingt trois ans sa cadette. Le couple n’eut pas d’enfants. Quatre ans plus tard il décédait, à l’âge de soixante-trois ans. Il repose auprès d’Anne Wells dans le caveau familial de Whitchurch, à Londres. Leur fille, Augusta Anne Brydges, se mariera à l’âge de trente ans avec l’un de ses cousins germains (du côté de son père), mais elle devait mourir en couches l’année suivante. Elle repose auprès de ses parents.

 

Lafouine77

Sources : «Berkshire stories» ; Wikipedia ; «La femme de Brighton» de Rosalind Laker


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