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La Crinoline et autres robes larges

Rinou - 17/08/2016

 

Tout le monde connaît l’existence de la crinoline, que ce soit pour l’avoir vue dans des documentaires, dans des films, ou dans des livres. Mais c’est le mois dernier, après avoir lu un article sur la sortie de Crinoline: Fashion's most magnificent disaster (qu’on peut traduire par La crinoline : le plus magnifique désastre de la mode), un livre écrit par Brian May, l’ancien guitariste du groupe Queen, que j’ai eu envie de me pencher un peu plus sur ce phénomène de mode.

La mode de la crinoline est apparue autour du premier tiers du 19ème siècle et surtout à l’époque Second Empire en France, et a duré une quarantaine d’années tout au plus. Mais elle n’est pas une création de cette époque, plutôt une nouvelle réinvention d’une mode beaucoup plus ancienne : le vertugadin.

Il faut remonter jusqu’au 15ème siècle à la cour d’Espagne pour voir naitre les premières robes larges. Lancé par la reine de Castille Jeanne du Portugal, le vertugadin est une espèce de cloche formée de roseau et d’osier, porté sous les jupes pour leur donner de l’ampleur. Le mot vertugadin vient d’ailleurs de l’espagnol «verdugo» qui signifie «bois vert». Le vertugadin arriva à la cour d’Angleterre en 1501 grâce au mariage de Catherine d’Aragon avec Arthur, prince de Galles (le frère aîné d’Henri VIII), et y fut très à la mode pendant toute l’époque Tudor.

En France, la mode arriva d’abord sous le règne d’Henri II et fut rapidement transformée : les dames rajoutèrent un bourrelet au niveau des hanches, afin d’augmenter la largeur de la jupe. L’ampleur des robes était telle qu’il fallut créer des chaises sans accoudoir, appelées chaises à vertugadin, car ces dames n’entraient pas dans les chaises de l’époque. Ce bourrelet fut à son tour remplacé par un plateau ou un tambour. Vers la fin du 16ème siècle, la mode s’assagit et le vertugadin disparut au profit d’un simple rembourrage dans le dos.

 

Il faut avancer jusqu’au 18ème siècle (époque Régence française) pour voir réapparaitre les robes larges dans les cours européennes, avec la mode des robes à paniers. La forme de base ronde évolua rapidement vers une forme plate devant et derrière, mais très large sur les côtés. C’est de cette particularité que vient le nom de «robe à paniers», car cela faisait penser aux paniers en osier portés par les bêtes de somme. Le panier, constitué de fines lames en acier ou de fanons de baleine, faisait paraître la taille plus fine, et la robe à panier était donc très prisée des femmes souhaitant cacher une grossesse, en particulier les maitresses royales.

Les robes à paniers, aussi appelées robes à la française, devinrent un moyen pour ces dames de rivaliser entre elles et de se faire remarquer, et la largeur des jupes pouvait atteindre jusqu’à deux mètres cinquante. Forcément cela posait problème pour passer les portes, se croiser dans les couloirs (j’ai soudain en mémoire une scène du film La folie des grandeurs où Louis De Funès, habillé en femme pour une raison qui m’échappe, fait pivoter sa jupe afin que les paniers se trouvent devant et derrière au lieu de sur les côtés et qu’il puisse avancer), ou même s’asseoir sur un siège.

Il fut d’ailleurs publié un décret exigeant qu’un siège reste libre au théâtre de chaque côté de la reine Marie Leckzinska, épouse de Louis XV, afin que les jupes des autres dames ne risquent pas de cacher celle de la reine.

Cette mode finit par être mise de côté par Marie-Antoinette vers 1780, au profit de robes plus simples comme la robe à l’anglaise (avec des plis cousus du dos à la taille) ou même la robe en gaulle (simple robe de mousseline tenue à la taille par un ruban), même si la robe à la française resta la robe de cour par excellence. Elle fut définitivement abandonnée à la Révolution.

 

Un nouveau bond en avant vers le 19ème siècle et les années 1820 où les jupes prennent à nouveau de l’ampleur au moyen de nombreux jupons superposés. La silhouette prend une forme de cloche. Cette mode, originaire d’Angleterre selon toute vraisemblance, aurait été importée en France par l’impératrice Joséphine après un voyage. C’est un français qui créa le jupon de crin de cheval mêlé à du coton ou du lin, plus rigide, dont la crinoline tire son nom. Et comme la circonférence au niveau de l’ourlet pouvait mesurer jusqu’à six mètres, les jambes d’une femme pouvaient être recouvertes d’environ sept kilos de jupons en mousseline, calicot, flanelle et crin !

Selon les recherches effectuées par Bryan May pour son livre, on inventa plusieurs procédés destinés à soulager ce poids, y compris des chambres à air en caoutchouc qu’une servante, ou un époux, devait gonfler grâce à des soufflets. Mais ces chambres à air sentaient fort le caoutchouc et étaient facilement crevables, donc elles furent très peu utilisées.

 

Vers 1856 fut inventé un appareil connu sous les différents noms de jupon squelette, cage, carcasse, ou jupe à cerceaux, mais qui fut le plus souvent nommé crinoline (le nom désigna rapidement l’ensemble jupe+crinoline). Ce fut d’abord un jupon dans lequel étaient glissés jusqu'à onze cerceaux d'osier ou de fanons de baleine, puis apparut la crinoline métallique.

Pour certains ce serait Auguste Person, un français, qui serait l’inventeur de la crinoline métallique dont il déposa puis vendit un brevet en 1856. Pour d’autres il s’agirait d’un autre français, R.C. Milliet, qui déposa un brevet la même année. Enfin l’américain W.S. Thomson déposa lui aussi en 1856 un brevet pour une cage de métal aux USA, en France, et en Angleterre (son modèle était surnommé en France la jupe-cage américaine). Il est probable que ces inventeurs aient eu des idées similaires à peu près en même temps. De nombreuses usines fabriquaient les crinolines, certaines ne faisant même que ça. En France, la famille Peugeot, qui fournissait déjà (entre autres) des armatures en acier pour les corsets depuis le milieu des années 1820, se mit alors à produire d'importantes quantités de fins cerceaux d'acier, qui constituaient les armatures des crinolines.

Les lames d’acier étaient si souples et solides qu’elles pouvaient être pliées (en passant les portes ou en s’asseyant par exemple) et malgré cela la jupe reprenait sa forme initiale. La crinoline fut adoptée avec enthousiasme : elle était légère et ne nécessitait qu’un ou deux jupons par-dessus pour que les lames de métal ne fassent pas de marques sur la jupe.

Au plus fort de la période crinoline, les jupes pouvaient atteindre jusqu’à un mètre quatre-vingt de diamètre. Elles nécessitaient donc de grandes quantités de tissu et, par souci d'économie comme pour faciliter la rapidité lors des changements de tenues pour les différentes activités de la journée, la robe à transformation vit le jour : les dames riches gardaient la jupe et la crinoline, et assortissaient différents hauts (corsage fermé pour la journée, décolleté pour les bals). A cause de leur volume, il est dit que la reine Victoria pria les invitées de ne pas porter leurs crinolines lors du mariage de sa fille Victoria à l’empereur Frederick III de Prusse, par manque de place dans la chapelle royale.

Il faut savoir que la mode de la crinoline touchait toutes les classes sociales pour la première fois dans l’Histoire, en partie grâce à sa production industrielle, à sa distribution massive et peu couteuse, et aux publicités dans les journaux. «Les servantes ont maintenant besoin d’avoir leur crinoline et elle est même devenue essentielle aux filles qui travaillent en usine» rapporte un contemporain britannique. «La crinoline a envahi même le plus petit village et il n’y a pas une fille de ferme qui ne porte sa cage au moins une fois par semaine.» (Paris 1862).

Même si toutes les femmes ne cédaient pas à son charme, au plus fort de leur succès les usines londoniennes de W.S. Thomson produisirent jusqu’à 4000 crinolines de tailles différentes par jour. Et entre 1858 et 1864, les usines Peugeot produisirent 4 800 000 crinolines par an !

Mais certains directeurs d’usine, de magasin, de blanchisserie, interdirent le port de la crinoline à leurs employées pour des raisons de sécurité. En effet, les crinolines étaient connues pour faire trébucher les passants, renverser les pièces de mobilier, coincer celles qui les portaient dans des encadrements de porte, et pouvaient s’emmêler dans les barreaux des roues de voitures ou dans les machines des usines.

La duchesse de Manchester fut elle aussi victime de sa robe, lorsqu’en enjambant un échalier pendant un jeu en extérieur un cerceau s’accrocha et la fit tomber à la renverse, révélant des culottes rouge vif à tous les témoins. La crinoline dévoilait aussi les jambes des femmes, habituellement cachées, lors du moindre coup de vent ou mouvement inadapté : le simple fait de s’asseoir faisait remonter l’avant de la crinoline, et ne parlons pas de ce que pouvaient exposer les servantes à genou pour nettoyer cheminées ou escaliers ! Mais le pire était leur capacité à prendre feu, vu qu’elles étaient en général couvertes de mousseline et soie inflammables. On estime qu’environ 300 femmes ont été brûlées de cette façon chaque année, et certaines en sont même mortes, dont les deux demi-soeurs d’Oscar Wilde.

Le magazine Punch surnomma cette mode Crinolineomania, et passa les années suivantes à tourner en dérision celles qui en portaient, à travers des dessins ou des oeuvres satyriques. On voit des hommes incapables de tenir la main de leur femme, ou utilisant la crinoline comme antivol (aucun pickpocket ne pouvait s’approcher de leur portefeuille), et leurs enfants utilisant les cages comme jouet ou parc à lapin. Il y aussi un bon nombre de photographies de femmes en crinoline, car on venait d’inventer le stéréoscope, appareil permettant de voir une scène en 3D à partir de deux photographies légèrement différentes, et qui fut très en vogue dans tous les foyers à cette époque.

Des individus entreprenants utilisaient également la crinoline pour passer des marchandises en contrebande. Brian May cite un rapport des douanes françaises précisant que, parmi les choses saisies aux péages français, ils avaient trouvé 12 perdrix, un lièvre et trois lapins, 14 kg de tabac, 13 kg de poudre à canon, et à une occasion 4 gourdes contenant environ 22 litres d’alcool !

 

Au milieu des années 1860, la forme de la crinoline évolua. Le devant s'aplatit, la jupe fut rejetée vers l’arrière. C’est la crinoline elliptique. Peu à peu les jupes perdirent de leur ampleur, pour adopter à la fin des années 1860 une forme de cône. Mais à la même période apparut le genre retroussé : les robes se parèrent de très nombreux plis sur l’arrière au niveau des fesses. Là encore, la cage de crinoline évolua en crinolette, composée de demi-cerceaux. C’était le début de la mode de la tournure, lancée par Charles Frederick Worth et particulièrement présente dans les années 1870 et 1880.

De profil, la robe à tournure finit par former un angle droit au bas du dos. Les artifices destinés à donner ce volume varièrent : pouf, jupon portant à l’arrière une échelle de volants raidis, queue d’écrevisse. On y associait le corset serré pour faire paraître la taille plus mince. L’avant de la jupe était plaqué sur les jambes, limitant la longueur des pas. La robe à tournure disparut définitivement à la fin du 19ème siècle.

 

Pendant la Première Guerre Mondiale, la mode revint d’une large jupe arrivant à mi-mollet appelée crinoline de guerre, censée remonter le moral des soldats. Dans les années 1930 des créateurs de mode remirent la crinoline à la mode avec des modèles de jupes de jour ou de soirée à cerceaux. Les robes de Scarlett O’Hara dans le film Autant en emporte le vent (1939) inspirèrent la mode des crinolines pour les bals de l’année suivante. Après la Seconde Guerre Mondiale, Christian Dior sortit une ligne New Look avec des jupes larges et cintrées à la taille, relançant la mode des crinolines à cerceaux ou à jupons froncés jusqu’au début des années 1960. Au milieu des années 1980, Vivienne Westwood sortit la mini-crini, une mini jupe entre tutu et crinoline, lançant la mode de la jupe bouffante chez d’autres créateurs de mode.


A l’heure actuelle on peut trouver la crinoline dans des robes de mariée, de soirée, et dans les défilés de haute couture. Si la mode est un éternel recommencement, il est quand même peu probable que la crinoline ou ses ancêtres reviennent en faveur (imaginez le métro aux heures de pointe !!).

 

Rinou

       

 

Sources

Peugeot : De la crinoline à la 404

http://www.lamesure.org/article-vertugadins-paniers-crinolines-et-tournures-106395948.html

https://nuitsdesatin.com/2015/07/29/lhistoire-du-panier/

http://18edelignesecondempire.clicforum.fr/t648-Generalites-sur-la-crinoline.htm

http://www.fashion-era.com/crinolines.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Crinoline

https://fr.wikipedia.org/wiki/Tournure

https://fr.wikipedia.org/wiki/Vertugadin

https://fr.wikipedia.org/wiki/Paniers

http://www.telegraph.co.uk/fashion/people/a-visual-history-of-crinolines---fashions-most-magnificent-disas/?curator=FashionREDEF


Commentaires

Charles (le 22/01/2020)
Bonjour, passionné de l'histoire du costume, beaucoup d'idées fausses circulent... Par exemple, les femmes ont porté le corset depuis l'antiquité. Il est courant de lire les méfaits de ceux ci sur la santé: les femmes n'étaient pas masochistes! le corset était une pièce de lingerie adaptée à la morphologie de chacune... Ils ne se portaient pas super serrés comme on le voit et on le croit au regard des films! Qui aurait envie de porter un soutien gorge 3 tailles en dessous !!? Un peu de bon sens ! Quant aux jupons, robes à tournures et autres crinolines, elles sublimaient les femmes, c'est en tout cas mon avis... Au regard des commodités contemporaines domestiques, routes goudronnées, voitures, ascenceurs etc, ces costumes se porteraient certainement avec moins de difficultés qu'il y a 100 ou 200 ans... On peut bien rêver non??? Merci pour votre site!

Florigines (le 11/12/2020)
Bonjour, pour étudier l'histoire de la mode et répondre à Charles, il y a eu des méfaits du corset au cours de l'Histoire. Les corsets de la fin du 19ème siècle, prônant la forme en S, étaient mauvais pour le corps des femmes puisque l'idéal était justement d'avoir la taille la plus fine possible (oh comme c'est rigolo ca n'a pas beaucoup changé 100 ans plus tard) les femmes s'efforçaient alors de correspondre à cet idéal. Mais d'autres corsets ont vu le jour au début du siècle comme en parle Inès Gâches-Sarraute, médecin, dans son livre "Le Corset, étude physiologique et pratique"(1909). Ainsi le corset "droit devant" apparût vantant une forme plus respectueuse de la silhouette féminine mais qui au final entraîna des problèmes aux genoux, déplaçant ainsi le centre de gravité des femmes.

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