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Elisabeth de Hesse-Darmstadt et Serge de Russie

Rinou - 26/03/2016

Née le 1er novembre 1864 à Darmstadt, dans le grand-duché de Hesse, Elizabeth Alexandra Louise Alice, surnommée Ella, était la seconde fille du futur Louis IV de Hesse et d’Alice d'Angleterre, fille cadette de la reine Victoria. Elle devait son prénom à sa glorieuse ancêtre, sainte Élisabeth de Hongrie, dont étaient issus les grandsducs de Hesse. Les enfants reçurent une éducation simple par rapport à leur rang, mais très religieuse, et Elisabeth accompagna plusieurs fois sa mère pour rendre visite aux blessés dans un hôpital voisin, lors d’un conflit entre l’Autriche et la Prusse.

En 1878, un an après l’accession au trône de Louis, la tragédie s’abattit sur la famille : Mary, soeur cadette  d’Elisabeth, mourut de la diphtérie, bientôt suivie par leur mère Alice, qui s’était occupée elle-même de la petite malade. Elisabeth, la seule des enfants à ne pas avoir été malade, avait été envoyée chez sa grand-mère paternelle, Elisabeth de Prusse, et garda le souvenir triste de son retour dans sa famille endeuillée comme celui d’un rêve
horrible.

En grandissant, Elisabeth s’avéra être une jeune fille charmante, et attira bien vite l’oeil des jeunes hommes qui fréquentaient la famille. L’un d’eux fut son cousin, le futur empereur Guillaume II de Prusse, qui venait régulièrement passer ses week-ends à Darmstadt pendant ses études. Il lui écrivit de nombreux poèmes d’amour et recherchait sa compagnie, mais Elisabeth n’était pas du tout charmée. Elle le trouvait arrogant et tyrannique, et refusa sa demande en mariage. Le coeur brisé, Guillaume abandonna ses études et rentra en Prusse.

Parmi les admirateurs d’Elisabeth se trouvaient aussi Lord Charles Montagu, fils de la duchesse de Manchester,  grande amie de feu la princesse Alice, venu à Darmstadt pour apprendre l’allemand, et Henry Wilson, étudiant à l’école militaire de Darmstadt, qui dit d’elle plus tard «Elle était la plus belle des créatures de Dieu que j'ai jamais vues.» Un autre soupirant éconduit n’était autre que Frederick II, grand-duc de Baden, le cousin de Guillaume, qui lui aussi la demanda en mariage. Si la reine Victoria se montra déçue du refus d’Elisabeth, l’impératrice Augusta, grand-mère de Frederick et Guillaume, fut quant à elle furieuse et en voulut longtemps à la jeune femme.

Mais le coeur d’Elisabeth ne resta pas libre très longtemps, grâce à sa grand-tante, l’impératrice Marie de Russie, qui rendait souvent visite à la famille de Hesse avec ses plus jeunes fils, Serge et Paul. Né en mai 1857, Serge était le septième enfant de l’empereur Alexandre II de Russie. Jeune homme sérieux, un peu timide, très porté sur la religion, il fit des études militaires et fut nommé colonel à vingt-et-un ans, pour son courage lors de la guerre russoturque. En 1881, il fit une première fois sa demande à Elisabeth, qui refusa, le considérant hautain et ennuyeux.

Après le décès de ses parents à un an d’intervalle, Serge fit un pèlerinage en Terre Sainte où il créa une association consacrée à l'entretien des lieux de culte orthodoxes, puis en 1882 son frère, l’empereur Alexandre III, le nomma commandant du 1er bataillon du régiment de la Garde Préobrajenski, régiment d'élite fondé par Pierre le Grand, avec le grade de colonel. Alors âgé de vingt-six ans, le grand-duc Serge était un bel homme réservé, raffiné, et d'une grande érudition, qui portait parfaitement l’uniforme. Il était décrit comme un homme «grand et blond, aux traits fins et de beaux yeux vert clair», mais au maintien raide et au regard dur.

Lorsqu’il revit Elisabeth, celle-ci, comprenant le chagrin causé par la perte d’un parent, perçut le changement en lui. Serge et Ella découvrirent qu’ils partageaient un même goût pour la culture et la religion, et ils passèrent plus de temps en compagnie l’un de l’autre. Finalement, en septembre 1883, Élisabeth accepta d'épouser le grand-duc.

Elle écrivit à sa grand-mère, la reine Victoria, qui était opposée à cette union : «Chère grand-maman, j'ai bien peur que cette lettre ne vous cause pas autant de plaisir que je l'aimerais, mais elle concerne mon bonheur et vous avez toujours été très gentille avec moi. J'aimerais que vous sachiez ce que je pense de Serge... Je serai heureuse avec lui... nous avons les mêmes goûts et, même si certaines de ses opinions me déplaisent, ne pensez-vous pas, chère grand-maman, que je puisse l’aider à s'améliorer ? Nous avons tous deux éprouvé le grand chagrin de perdre quelqu'un que nous aimions et cela nous a rapproché

Leurs fiançailles furent annoncées publiquement le 26 février 1884, et le mariage fut célébré au Palais d'Hiver à Saint-Pétersbourg le 15 juin 1884. A cette occasion se rencontrèrent pour la première fois Nicolas, neveu de Serge et futur tsar de Russie, et Alix, jeune soeur d’Elisabeth, qui devait devenir l’impératrice Alexandra. Elisabeth favorisa plus tard les rencontres entre les jeunes gens, et convainquit sa soeur de se convertir à la religion orthodoxe et d’accepter la demande en mariage de Nicolas en 1894.

La nouvelle grande-duchesse fit bonne impression en Russie. Un des cousins de Serge écrivit même : «Tout le monde est tombé amoureux d’elle dès qu’elle est arrivée en Russie.» Le couple s’installa d’abord à Saint-Pétersbourg, où Serge fut nommé major général, et eut la tâche d’éduquer le tsarévitch Nicolas à la vie militaire. Le tsar Alexandre III confia de plus en plus de fonctions à son frère, et lors du jubilée de la reine Victoria en 1887, Serge et Elisabeth représentèrent la Russie Impériale. L’année suivante, c’est aussi le couple qui représenta le tsar lors de la consécration à Jérusalem de l'église Sainte Marie-Madeleine, construite en mémoire de la mère de Serge. Elisabeth y pria pour avoir enfin un enfant, et revint transformée par la découverte du rite orthodoxe, elle qui maintenait jusqu’alors ses croyances luthériennes. Ce nouvel intérêt la rapprocha encore de son époux, qui prit plaisir à lui enseigner sa religion. Finalement, en 1891, elle se convertit et devint la grande-duchesse Elizabeth Feodorovna.

L’année suivante, Serge fut nommé Gouverneur-Général de Moscou, et le couple s’installa près du Kremlin. Serge était chargé de réprimer l’opposition montante, et Elisabeth tenta d’adoucir ses opinions ultraconservatrices, mais en vain. Elle fut particulièrement choquée par l’expulsion de 20 000 juifs de Moscou, prédisant : «Dieu nous punira.» Elle se dévoua alors à sa nouvelle religion et aux oeuvres de charité, créa la Société bénévole Elizaveta pour les mères célibataires, et s’occupa de la filiale russe du Comité des Dames de la Croix-Rouge. La popularité d’Elisabeth crût vite, alors que celle de Serge diminuait avec chaque répression. Malgré la sévérité dont il faisait preuve dans sa politique, il était impliqué dans des organisations caritatives, comme la Société pour les soins et l’éducation des enfants aveugles.

Après le mariage d’Alexandra et Nicolas, et leur couronnement, Elisabeth passa beaucoup de temps auprès de sa soeur au palais royal, à essayer de l’aider au maximum dans ses fonctions officielles et sa vie de tous les jours. En effet, la tsarine était de nature timide et pas très appréciée, d’autant qu’elle aimait s’entourer de mages et de guérisseurs dans l’espoir de concevoir enfin un héritier mâle, et Elisabeth tentait d’arrondir les angles, y compris avec la mère de Nicolas, qui supportait mal de laisser la place à sa belle-fille.

Devant l’absence persistante de progéniture du couple, des rumeurs se firent entendre sur l’homosexualité de Serge. Néanmoins, rien dans le comportement de l’un ou de l’autre ne peut confirmer cette éventualité, et leur correspondance n’a pas survécu à la révolution russe. Lorsqu’en 1902 Paul, le plus jeune frère de Serge, fut exilé par le jeune tsar Nicolas pour s’être remarié sans autorisation et avec une femme divorcée, Elisabeth et Serge
furent nommés tuteurs de ses enfants, le grand-duc Dimitri Pavlovitch et la grande-duchesse Marie Pavlovna. Néanmoins ceux-ci en voulaient au couple, qu’ils tenaient en partie pour responsables de la séparation d’avec leur père. Marie dira plus tard que Serge était strict, sévère et égocentrique, mais affectueux avec eux, tandis qu’Elisabeth était plus froide et distante. «Ma tante Ella n'a jamais montré le moindre intérêt envers nous, elle nous voyait le moins possible, notre présence et l'affection que nous montrait notre oncle lui semblaient désagréables

En février 1905 la Russie avait beaucoup souffert du conflit avec le Japon. Le grand-duc Serge, qui était devenu au fil du temps le point de mire des opposants au régime, fut assassiné près du Kremlin par un révolutionnaire moscovite, Ivan Kalyayev, qui jeta une bombe dans sa voiture. Elisabeth fut d’abord tétanisée par la nouvelle, et la famille craignit qu’elle ne fasse une dépression. Mais elle se remit vite et se réfugia dans la prière. Elle alla même rendre visite en prison à Ivan Kalyayev, lui apportant le pardon au nom de Serge à la condition qu’il se repente de son geste, ce qu’il refusa. Il fut pendu en mai de la même année. La croix érigée sur les lieux de l’attentat fut détruite sur ordre de Lénine en 1918.

Après la mort de son époux, Elisabeth se retira de toute vie sociale et se tourna de plus en plus vers la religion. Elle montra plus d’affection pour ses pupilles, chacun s’appuyant sur les autres pour surmonter le chagrin, et créa un hôpital dans la ville où ils avaient passé leur lune de miel. Lorsqu’Alexandra tomba sous la coupe de Raspoutine, Elisabeth la prévint qu’il n’était qu’un charlatan, mais la tsarine refusa de se séparer de celui qui soulageait le petit tsarévitch Alexis, atteint d’hémophilie. Les deux soeurs prirent leurs distances.

En 1908 Marie, la pupille d’Elisabeth, épousa le prince Guillaume de Suède, mariage de raison qui ne dura que six ans. La même année, son frère Dimitri entra à l’école de cavalerie. Elisabeth vendit alors ses bijoux personnels et ses biens et acheta une propriété à Moscou, où elle fonda le couvent des Saintes-Marthe-et-Marie, avec l’autorisation des autorités religieuses. Il abritait un hôpital, un orphelinat pour jeunes filles, une église, et un bâtiment pour les religieuses hospitalières, les premières de l’Eglise russe orthodoxe. Elle en devint la mère supérieure.

Pendant la première guerre mondiale, Elisabeth et ses religieuses prodiguèrent des soins aux soldats russes, mais aussi allemands, provoquant des soupçons de trahison, d’autant que le frère de la grande-duchesse était allemand. En 1916, Elisabeth tenta une fois encore de convaincre Alexandra de se débarrasser de Raspoutine, mais la tsarine refusa, la chassant du palais. Les deux soeurs ne devaient plus se revoir. Raspoutine fut assassiné en décembre de la même année, lors d’un complot auquel participa Dimitri. Des télégrammes retrouvés plus tard tendent à prouver qu’Elisabeth était au courant du projet et le soutenait. Il était malheureusement trop tard pour le tsar, qui dut abdiquer quelques mois plus tard.

Ernest-Louis de Hesse-Darmstadt, son frère, et Guillaume II de Prusse, son ancien prétendant, tentèrent plusieurs fois de convaincre Elisabeth de fuir la Russie, mais elle refusa. Elle fut finalement arrêtée en avril 1918, avec deux de ses religieuses qui refusèrent de la quitter, et envoyée à Perm puis à Ekaterinbourg, non loin de l’endroit où la famille impériale était prisonnière. Elles y rejoignirent les princes Ioann, Constantin et Igor Constantivotch de Russie, le grand-duc Serge Mikhaïlovitch et son secrétaire Fiodor Semionovitch, et surtout le prince Vladimir Pavlovitch Paley, demi-frère de Marie et Dimitri, qu’elle ne connaissait pas.

Au bout de deux semaines, les prisonniers furent transférés dans une école désaffectée à Alapaïevsk. Les valets et une des religieuses furent renvoyés. Dans la nuit du 18 juillet 1918, les prisonniers furent emmenés dans des charrettes, mains attachées et yeux bandés, jusqu’au puits de mine de Selimskaïa. Les gardes rouges les assommèrent à tour de rôle, avant de les pousser dans le puits, puis jetèrent sur eux des grenades.

En octobre 1918, des soldats de l’armée blanche anticommuniste retrouvèrent les corps. L’autopsie révéla qu’Elisabeth, avant de mourir, avait bandé les blessures du prince Ioann avec des morceaux de son voile. Ils furent inhumés dans la cathédrale d’Alapaïevsk. Mais en juin suivant, dans la crainte que l’Armée Rouge ne profane les tombes si elle reprenait le territoire, les cercueils furent emmenés dans un monastère à Tchita, en Sibérie, puis à Pékin, où ils furent de nouveau inhumés à l’exception de ceux d’Elisabeth et de la religieuse qui l’avait accompagnée, lesquels furent transportés jusqu’à l'église Sainte Marie- Madeleine de Jérusalem, selon des voeux exprimés par la grande-duchesse à sa soeur aînée Victoria Mountbatten, marquise de Milford Haven.

En 1981, Elisabeth fut canonisée par l'Église orthodoxe russe de l'étranger en tant que néo-martyr, mais il fallut attendre 1990 pour que le Patriarche de Moscou déclare la grande-duchesse Élisabeth de Russie victime de l'oppression soviétique. Elle fut canonisée en 1992 par l'Église orthodoxe russe. Sa statue est l’une des dix statues de martyrs du 20ème siècle qui orne le portail ouest de l’Abbaye de Westminster.

La crypte où reposait le grand-duc Serge, sous le monastère Tchoudov au Kremlin, détruit en 1928, fut retrouvée par hasard lors de travaux du parking du Presidium en 1990. Il fut exhumé, puis officiellement inhumé au monastère Novospassky de Moscou.


Rinou

Sources :
https://en.wikipedia.org/wiki/Grand_Duke_Sergei_Alexandrovich_of_Russia

https://en.wikipedia.org/wiki/Princess_Elisabeth_of_Hesse_and_by_Rhine_(1864–1918)

http://www.oocities.org/jibarrahdez/Ella.html

 


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