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On se reverra à Noël - Chapitre 4

Les Romantiques - 06/12/2015

Chapitre quatre

Les gens qui viennent en visite
Font toujours plaisir,
Si ce n'est en arrivant, c'est en partant

 

Le lendemain, le train s’arrêta de bonne heure à la gare de Chichester. Il était très tôt, à peine cinq heures du matin, et le froid avait dessiné des arabesques sur les fenêtres des compartiments. Le sermon que Jeffrey dut subir fut d’autant plus véhément que le baron était de fort mauvaise humeur. Jeffrey se voyait déjà privé de dessert jusqu’à la fin de sa vie, ce qui devait être pire au moment de Noël. Et puis on trouva une auberge pas trop loin de la gare, où ils purent se restaurer et se reposer un peu avant que les voitures envoyées par le comte n’arrivent pour les chercher.

L’humeur n’était vraiment pas au beau fixe. Le baron bougonnait contre les aléas des voyages, et les jeunes gens qui ne respectent pas les consignes de leurs parents. Sa femme sentait poindre une migraine, Louise pleurnichait parce qu’elle ne retrouvait pas, dans tout ce fourbi, sa poupée préférée. Jeffrey boudait dans son coin, et Elvira pensait que ces vacances chez les Sorel étaient bien mal parties.

Lorsque les voitures arrivèrent, autant dire que l’ambiance semblait glaciale et, malgré l’entrain qu’affichait la baronne, tous les membres de la famille avaient un air morose. Les cahots de la route n’arrangèrent pas les choses.

Pourtant, lorsque le véhicule s’arrêta devant le porche, les occupants parurent retrouver un semblant de bonne humeur. Agatha, toujours aussi exubérante, descendit les marches en courant. Elle fit une révérence au baron, embrassa poliment sa femme, mais ne put s’empêcher de sauter au cou d’Elvira.

- Qu’est-ce que c’est bien que tu sois venue pour Noël. Enfin, je vais arrêter de m’ennuyer comme un poisson mort.

- Agatha !! dit la comtesse, la voix sévère, surveille un peu ton langage.

Puis elle s’approcha de ses visiteurs pour les saluer dignement.

Tout le monde entra, le cœur d’Elvira battait comme un fou. Et cette question qu’elle avait sur la langue, ou était Nathan ? elle refusa de la poser. D’ailleurs elle n’avait pas vraiment besoin d’en parler car sa compagne, qui l’avait prise par le bras, lui dit :

- Figure-toi que Nathan a dû s’absenter, l’une de nos métairies a pris feu et il s’est précipité pour aider et voir les dégâts.

Déjà, le cœur d’Elvira se calma. Les domestiques portèrent les bagages dans les chambre et l’on se retira chacun dans son domaine. La baronne dut s’occuper d’installer ses enfants à la nursery, puisque leur gouvernante n’avait pu venir. Mais la comtesse lui avait affirmé que sa fille Bernice n’allait pas tarder à arriver, et qu’elle demanderait à la nanny de ses enfants, de se charger des siens.

Agatha n’avait pas lâché Elvira et elle continuait à babiller. Son amie ne l’écoutait que d’une oreille. Elle pensait à Nathan. Elle était enfin chez lui et il n’était pas là. La déception était grande.

- Et puis, continua Agatha, Nathan est en plein chagrin d’amour pour cette pimbêche de Pamela.

Elvira sursauta et regarda Agatha.

- Il... euh ! Est très malheureux ?

- Penses-tu, il est plutôt fou de rage. Elle se mit à rire gaiement. Je n’aurais jamais supporté une telle bécasse comme belle-sœur.

- Vraiment Agatha ? Ce n’est pas gentil ce que tu dis là, il l’aimait peut-être sincèrement. Et puis d’ailleurs que s’est-il passé ?

- Crois-moi, il est beaucoup mieux sans elle. Et pour savoir ce qu'il s’est passé, eh bien il paraît, d’après les ragots des domestiques, que la belle Pamela est partie en Australie retrouver un amour d’enfance. Quelle idiote.

Elvira se laissa tomber sur le lit. Elle devait assimiler tout ce qu’elle venait d'apprendre. D’une part Nathan était libre, et cela lui donnait à espérer qu’elle avait une chance. Mais d’autre part, s’il avait le cœur brisé...

- Alors j’ai pensé, continua Agatha, que tu serais la belle-sœur idéale.

Elvira la regarda avec de grands yeux hébétés.

- Quoi ! Mais pourquoi... comment...

- Ne fais pas cette tête, je suis sûre que tu ferais une bonne comtesse, et tu connais bien mon frère, tu sauras par quel bout le prendre.

- Mais...

Agatha lui sourit et continua :

- En plus, je suis persuadée que tu as un faible pour lui.

Elvira baissa la tête. Si une adolescente de seize ans avait remarqué l’attachement qu’elle pouvait ressentir pour le comte, d’autres personnes avaient aussi dû le soupçonner. Quelle humiliation. Agatha s’assit à côté de son amie, sur le lit, et lui passa le bras autour des épaules. Doucement, elle lui dit :

- Je l’ai remarqué à l’enterrement de père. Tu le regardais d’une telle façon que je m’en doutais un peu, et en voyant la figure que tu fais, cela me convainc que tu es vraiment atteinte.

Elvira tourna la tête vers Agatha et lui répondit :

- Ce n’est pas parce qu’on a tellement envie de quelque chose qu’on l’aura nécessairement. On ne peut pas forcer les sentiments.

Son amie lui sourit derechef.

- Ah ! Bah, je connais Nathan depuis seize ans, je pense qu’il t’aimera lorsqu’il te verra tous les jours, et puis il a demandé si tu étais fiancée.

- C’est vrai ?

Agatha hocha la tête, puis se pencha vers Elvira comme pour lui dire un secret :

- Et il a été drôlement soulagé d’apprendre qu’il n’en était rien.

- Tu n’exagères pas un peu ?

- Oh, à peine.

Sautant du coq à l’âne, elle reprit : 

- Il faudrait voir quelles robes tu possèdes, et puis peut-être que si tu demandes à la camériste de ma mère, elle pourra te faire de belles coiffures. Et montre-lui que tu es intelligente, bien que je ne croie pas que cela marchera, puisque Pamela était une sotte. Mais quoi ! On improvisera. Elle se leva et poursuivit : bon je te laisse, le lunch va être servi d’ici une heure, fais-toi belle. Tu verras, il tombera dans tes bras, il faut juste savoir s’y prendre.

Et sur un dernier éclat de rire, elle disparut.

Elvira resta assise sur le lit, un peu sonnée. Une femme de chambre frappa à la porte, entra et lui demanda si elle avait envie d’un bain. Oui, elle en avait envie. La servante pénétra dans la salle de bain à côté, tout en disant que le comte avait modernisé le château. La baignoire avait des pieds de griffons et semblait merveilleusement profonde. Elle s’y laissa aller avec joie. L’eau était bien chaude et le savon parfumé à la rose lui chatouillait agréablement le nez. Elle se mit à réfléchir au chemin à suivre. Est-ce qu’Agatha avait raison ? Pouvait-elle vraiment espérer gagner le cœur de Nathan ? Rien que d’y songer, une douce langueur la submergea. Oui, elle essaierait de le séduire. Après tout, elle n’avait rien à perdre et tout à gagner.

La femme de chambre avait déballé ses affaires. Elle choisit une jolie robe de velours parme, qui était Légèrement froissée, et s’assit devant sa coiffeuse. Elle regarda son visage dans la glace et se demanda pendant un instant si elle n’avait pas présumé de ses charmes. Elle se trouva tellement quelconque et banale, ni vraiment belle, ni laide. Elle essaya des sourires charmeurs, prit son éventail et se mit à minauder devant la glace en papillonnant des cils. Puis, n’y tenant plus, elle se moqua d’elle-même. Jamais elle ne pourrait faire de telles manières, c’était grotesque. Quand à la coiffure, pour le moment elle devrait se contenter d’un ruban qui retenait ses cheveux en arrière.

Elle prit son visage entre ses mains et se mit à rêvasser. Quel effet cela ferait-il si Nathan l’embrassait ? Elle poussa un soupir et ferma les yeux. Ah ! Sentir ses lèvres sur les siennes, ses mains qui l’enlaceraient, son souffle sur sa joue ! Il lui murmurerait des mots doux, ces mots qu’elle voulait tellement entendre. Dommage qu’on soit en hiver, elle aurait pu se promener dans le parc avec lui, la main dans la main, les yeux dans les yeux. Elle poussa un autre soupir. Tout ça n’était que rêveries, car jamais Nathan ne se jetterait à ses pieds pour lui déclarer qu’elle était la seule femme qu’il aimait. Rien que de l’imaginer dans cette posture, elle sourit. Non, ce n’était pas du tout son genre, certainement qu’il la demanderait en mariage en lui disant : «Comme je suis comte et que j’ai certains devoirs envers ma famille, il faudrait que je me marie. Tu as atteint l’âge pour convoler, on se connaît depuis longtemps, alors pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable, marions nous.» Et elle répondrait «Oh ! Nathan, comme c’est dit de façon romantique.» Elle se mit à rire, se moquant de toutes ces images qui lui passaient par la tête. En tout cas, quelle que soit la façon dont Nathan lui ferait sa demande (si tant est qu’il en fasse une), elle dirait «oui», même pour un mariage de convenance. Après tout, il était le seul homme avec qui elle se voyait faire des enfants et vieillir. C’était ça l’essentiel.

Elle se leva et se dit «jetons-nous dans la bataille !»

Eglantine


Commentaires

ln.lfz (le 06/12/2015)
Toujours aussi bien écrit. Vraiment hâte de lire la suite!!!

suzy972 (le 07/12/2015)
Entierement d'accord avec In.Ifz vivement la suite

anjouly (le 07/01/2016)
Idem, impatiente :)

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