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On se reverra à Noël - Chapitre 1

Les Romantiques - 03/12/2015

Début novembre 1888

Chapitre un

La foudre et l'amour
Laissent les vêtements intacts
Et le cœur en cendres.

 

Une bise glacée s’était abattue sur le paysage. Il n’y avait plus de feuilles aux arbres, la nature semblait figée. Elvira était assise, accoudée contre la fenêtre. Elle regardait au loin, mais ne voyait pas les dernières feuilles poussées par le vent, ni les corbeaux qui, tels des voiles noires, s’abattaient sur ce qui restait des champs de blé. Un seul nom tournoyait dans sa tête : «Nathan».

Ce matin, comme après tous les petits déjeuners, mère avait ouvert son courrier. Il y avait des nouvelles de tante Bertha, une carte de son frère Edmond qui voyageait à travers l’Europe. Aux dernières nouvelles, il se trouvait en Italie. Heureux homme, loin du froid, du gel et des pieds glacés. Et puis cette lettre, celle que Nathan avait envoyée, cette invitation pour Noël. Pourquoi ?

Nathan, le fils du comte de Portsmouth, qui avait été le meilleur ami de son père. Ils s’étaient vus souvent dans leur enfance, lors des cessions parlementaires à Londres lorsque leurs pères respectifs devaient s’y rendre. Que de souvenirs. Elvira soupira. Il avait huit ans de plus qu’elle, et il était plutôt irrité par cette petite fille qui le suivait partout.

Parfois aussi, l’été, ils passaient des vacances les uns chez les autres. Elle en gardait de merveilleux souvenirs. D’ailleurs la plupart du temps elle ne voyait pas vraiment Nathan, qui préférait passer son temps avec ses amis. Et puis il n’était pas spécialement patient avec la petite fille qu’elle était. Il avait même l’habitude de la taquiner. Par contre, elle se souvenait de sa sœur Agatha, qui cherchait toujours sa compagnie. Elle était la plus jeune enfant du comte et se sentait un peu délaissée, puisque l’écart entre ses frères et sœurs était conséquent. Mais quelles espiègleries. Pourtant, de temps à autre, Nathan les emmenait faire des promenades sur leurs poneys, alors que lui galopait fièrement sur son pur-sang arabe du nom de Bucéphale.

Et puis il était allé à Cambridge et, pendant quelques années, ils ne s’étaient plus vus. Jusqu'à l’enterrement du comte. Il semblait si seul devant la tombe. Il soutenait sa mère et ses trois sœurs. Il semblait encore si jeune pour prendre en main le grand domaine légué par son père. Elle n’avait pas beaucoup parlé avec lui, mais ne le vit plus comme un camarade de jeux, mais comme un homme. Il était beau. Il l’avait toujours été, mais ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle s’en était rendu compte. Ses cheveux noirs soulevés par le vent lui donnaient une allure lointaine. Ses yeux verts semblaient briller de larmes contenues. Et comme un éclair elle avait su que c’était lui, l’homme de sa vie.

Puis au printemps dernier, lors de la Saison où elle avait fait ses débuts, son cœur avait battu plus vite lorsqu’elle l’avait reconnu dans la salle de bal, et elle aurait voulu courir vers lui. Mais il ne l’avait pas regardée, tout occupé qu’il était avec la jeune fille qui l’accompagnait. Elle était si jolie, et Elvira avait senti que son cœur se serrait. Est-ce que c’était sa fiancée ? Plus tard il était venu présenter ses hommages à sa mère, et l’avait même invitée à danser.

- Bonjour Pâquerette, tu as grandi.

C’est par ces mots qu’il l’avait saluée avec un sourire, avant de leur présenter lady Pamela Port Maine. Elle avait des boucles blondes comme les blés, et ses yeux avaient la couleur d’un ciel d’été. On aurait dit une poupée de porcelaine, avec des lèvres en forme de cœur. Elle était menue et avait l’air si fragile que certainement Nathan avait envie de la protéger.

Elvira poussa un soupir. Pourquoi l’avait-il appelée par ce surnom ? Pâquerette, quand elle avait dix ans elle aimait en cueillir, c’était les premières fleurs qui parsemaient Hyde Park. Il s’était moqué d’elle, et depuis la surnommait ainsi. Mais pourquoi ce soir-là, devant cette créature de rêve, l’avait-il appelée Pâquerette ?

Et puis il avait dû sacrifier à la politesse et l’inviter à danser. Elle se sentait maladroite, sous son regard amusé. Et à côté de son amie, elle avait l’impression d’être une géante, avec des pieds trop grands. Elle qui était pleine d’orgueil lorsque sa camériste lui avait dit qu’elle avait des cheveux d’une teinte merveilleuse, allant du brun chaud au châtain le plus clair. Elle s’était mirée dans sa glace, avant de venir à ce bal qui marquait ses débuts. Et à présent, sous l’œil de l’homme qu’elle aimait en secret, elle se sentait gauche et laide.

- Alors as-tu brisé beaucoup de cœurs ? lui avait-il demandé, toujours avec ce sourire.

- Non je n’ai pas de soupirants. Et toi, est-ce que c’est ta fiancée ?

Nathan l’avait regardée avec un peu de malice dans l’œil.

- Peut-être qu’elle va le devenir.

Elvira n’avait rien pu répondre là-dessus. Elle avait senti son cœur se briser en mille morceaux et choir aux pieds de cet homme qui ne l’avait même pas remarquée.

Pendant le reste de la saison elle avait été triste, et même si elle se forçait à rire et plaisanter avec ses cavaliers, elle tremblait à l’idée que les fiançailles de Nathan soient proclamées.

Lorsqu’en juin ils s’en revinrent dans leur manoir du Buckinghamshire, les fiançailles n’étaient toujours pas aux nouvelles. Et elle avait été heureuse de se trouver loin de la capitale, le jour où cela se produirait.

Pendant tout l’été elle avait guetté le courrier, regardé les annonces dans le Times, qui avait toujours du retard, mais rien. Et puis elle s’était efforcée de ne plus trop y songer. Et voilà qu’il envoyait une invitation pour la semaine de Noël. Pourquoi ? Il est vrai que leurs familles étaient proches, du temps de leur enfance, mais depuis le décès du comte, leurs relations s’étaient quelque peu relâchées.

Beaucoup de choses passaient dans la tête d’Elvira. Est-ce qu’il allait se marier à Noël ? Est-ce qu’il l’était déjà et voulait présenter sa femme à l’occasion des fêtes ? Mais non, quand un comte se marie, c’est écrit dans les gazettes, à moins qu’il ne s’agisse d’un mariage précipité. Serait-elle... enceinte ? Mon Dieu, pourvu que non. Jamais, pensa Elvira, elle ne pourrait supporter un tel choc.

«Allons, ma vieille, se dit-elle, il ne faut pas laisser ton imagination vagabonder, il peut s’agir d’une foule de choses. Elle n’est pas sa femme, donc elle n’est pas enceinte, et peut-être que....» La porte s’ouvrit d’un coup et deux enfants entrèrent en courant avec un chien sur les talons.

Elvira tourna la tête vers eux. Son frère Jeffrey, âgé de douze ans, et sa sœur Louise, huit ans, se précipitaient vers elle.

- Maman a dit que tu dois descendre, nous allons visiter les métayers. La cuisinière a déjà préparé les paniers, il ne manque plus que toi, lui dit Jeffrey.

Elvira se leva et sourit à ses frères.

- J’arrive, dit-elle.

Sa mère allait une fois par semaine visiter les gens du domaine, et elle emmenait toujours ses enfants afin de leur donner l’exemple. Elle apportait de la nourriture pour les plus pauvres, et visitait les vieilles personnes et les malades. Partout, elle était considérée comme une Sainte.

Le temps était sec mais froid lorsqu’ils se serrèrent tous dans le carrosse, emmitouflés dans leurs chauds habits d’hiver. Leur mère entonna une chanson que les enfants reprirent en chœur. Elvira chantait avec les autres, mais ses pensées étaient ailleurs.

Au retour, Louise dormait et Jeffrey s’était assis à côté du cocher, qui lui apprenait à tenir les chevaux.

- Dis-moi ce qui se passe ? demanda sa mère.

Elvira la regarda avant de répondre :

- Pourquoi Nathan nous invite-t-il pour Noël ?

Sa mère poussa un soupir, prit la main de sa fille aînée et la fixa.

- Tu l’aimes encore ?

Elvira considéra sa mère avec étonnement :

- Comment... le sais-tu ?

- Je m’en doutais, je n’ai rien dit, j’attendais que tu m’en parles en premier. Et puis, vois-tu, j’espérais aussi que ce ne soit qu’une passade.

- Non maman, ce n’est pas une passade. Cela fait deux ans que je l’aime et, crois moi, j’ai tout fait pour l’oublier. Rien que de penser qu’il... épouse une autre femme, me fait mal.

Sa mère soupira à nouveau, avant de lui dire :

- En réalité, je ne sais pas vraiment pourquoi il nous invite, mais d’après ce que je sais, il était très attaché à cette lady Pamela. Je pensais qu’ils allaient se fiancer à la fin de la Saison, mais je n’ai aucune idée de ce qu'il s’est passé. Peut-être qu’elle a décliné sa demande. Qui sait ?

Elvira regarda dehors, les étoiles montaient au firmament et il faisait de plus en plus froid. Le pas régulier des chevaux balançait l’habitacle, comme une berceuse. Le bruit cadencé des roues semblait suivre le rythme de son cœur. Et toujours ce refrain lancinant dans sa tête, cette phrase qui revenait inlassablement : «Pourquoi Nathan nous a-t-il invités pour Noël ?»

Eglantine


Commentaires

krapokouk (le 03/12/2015)
quel bon suspens. Et oui "pourquoi cette invitation? Que veut Nathan? Vive les paquerettes!

bancale38 (le 04/12/2015)
C'est bien mené et on attend la suite. Merci Eglantine

anjouly (le 07/01/2016)
Je n'avais pas eu le temps en décembre de vous lire mais maintenant que j'ai un peu de temps libre, j'en profite pour commencer votre récit... et je compte bien continuer ma lecture, ce premier chapitre me plait beaucoup. Merci

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