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Charles d’Eon de Beaumont

lafouine77 - 06/11/2015

Charles Geneviève Louis Auguste André Timothée d’Eon de Beaumont

(1728 - 1810)

· Année du scandale : 1755.
· Epoque : Louis XV.
· Objet du scandale : lors d’un bal masqué, il attire l’attention du roi Louis XV alors qu’il est déguisé en femme. Ce travestissement lui sera alors imposé pour certaines missions d’espionnage, qu’il accomplira pour les services secrets du roi en Russie et en Angleterre. Il sera par la suite contraint, pendant trente-deux ans, de porter des vêtements de femme.


Charles d’Eon de Beaumont nait à Tonnerre, à l’hôtel d’Uzès, le 5 octobre 1728 : son père, Louis d’Eon de Beaumont, avocat à Paris, a fait fortune dans le commerce du vin et sa mère, Françoise de Charanton, est la fille d’un commissaire général des guerres d’Espagne. Il est le dernier enfant du couple : une soeur aînée le précédait, Marguerite Françoise Victor, et un frère, Théodore André, né et mort l’année précédant sa naissance.


On notera que ses parents avaient donné le prénom de «Victor» à leur fille aînée et celui de «Geneviève» à leur dernier fils, ce dont ce dernier usera et abusera quelques années plus tard. Deux ans après sa naissance, le père de Charles est élu maire de Tonnerre : le jeune homme a sa destinée toute tracée, il sera avocat comme lui.


Adolescent, il quitte le collège de Tonnerre pour monter à Paris où il devient élève au collège Mazarin. Hébergé chez son oncle, il obtient un diplôme en droit civil et en droit canon en 1749, à vingt-et-un ans. Il apprend avec succès le latin et les mathématiques et se lance dans l’écriture.


Il s’inscrit comme avocat au parlement de Paris et comble ses loisirs en développant ses talents dans les domaines de l’escrime et de l’équitation. Le jeune homme possède un physique fluet, de beaux cheveux blonds, et il a la chance d’être imberbe. Il a aussi un talent pour l’écriture et publie «Considérations politiques et historiques» en 1753, qui obtient un certain succès auprès des nobles de cour. Il rencontre Mme du Deffand et Horace Walpole dans les salons parisiens.


Dans ses mémoires (inachevées) qu’il rédigera à la fin de sa vie, il raconte avec humour comment il réussit à duper son monde la première fois qu’il se déguisa en femme. Il était alors l’amant de la jolie Marie Françoise de Brancas, veuve du comte de Rochefort, qui semble-t-il le dépucela à l’âge de vingt-sept ans. Auparavant, expliquera-t-il dans ses mémoires, ses «sens ne s’étaient jamais éveillés».


En 1755 il est invité à un bal costumé chez Louis Jules Mancini Mazarini duc de Nivernais (qui fera de Mme de Rochefort sa seconde épouse) et, encouragé par ses compagnons, il décide de s’y rendre habillé en femme (Mme de Rochefort lui prête l’une de ses robes). Poudré, maquillé, corseté, le jeune Charles d’Eon se rend à l’hôtel de Nevers et fait rapidement sensation. Or, parmi les invités du duc figurent le roi Louis XV et sa favorite, Mme de Pompadour.


Le roi s’ennuie mortellement au quotidien, et la perspective d’un bal a émoustillé cet homme déjà blasé. La foule des dames et des masques retient un temps son attention, jusqu’à ce qu’il concentre son regard sur une jolie blonde qu’il ne connait pas. Discrètement, il demande à son valet Le Bel de transmettre un message à la jeune femme, dans l’optique d’un rendez-vous galant dans l’un des salons voisins.

 

Le valet se renseigne sur l’identité de l’inconnue, et aborde le cavalier de celle-ci (qui est l’un des compagnons de Charles d’Eon et voit là l’occasion de faire une farce à son jeune ami) : il affirme à Le Bel que la jolie blonde est sa cousine, et qu’il n’aura aucune difficulté à la mener secrètement dans l’un des salons.


Aussitôt il s’empresse de dire à d’Eon qu’une dame l’attend. Intrigué, celui-ci se rend seul dans le salon particulier, et est rejoint à la minute par le roi qui va droit au but et se montre tout de suite très entreprenant. Confus, embarrassé, d’Eon ne sait comment se tirer de ce mauvais pas. Il trébuche sur une chaise et chute dans le canapé : or, dans sa chute, le roi aperçoit l’entrejambe de la jeune femme et ne sait plus que penser. Le jeune homme se confond en excuses, mais le roi prend le parti d’en rire puis, avec un air sérieux, le convie à se rendre à Versailles dans les jours suivants. A la fin du bal les amis d’Eon le questionnent, l’interrogent et veulent savoir l’issue de l’entrevue avec le roi, mais il ne dévoile rien.


Quelques jours plus tard le jeune d’Eon se rend à Versailles, où il est reçu par le roi et la marquise de Pompadour dans un petit boudoir des appartements privés de la favorite. Il ya  aussi un troisième homme à cet entretien, qui n’est autre que le prince de Conti, chargé du cabinet noir de Louis XV, le fameux «Secret du Roi» qui mène une politique en parallèle des conseils officiels. Le roi va tirer parti de la mystification dont il a été la victime. Si d’Eon le désire, il peut servir la politique secrète du roi, et sa première mission sera de se rendre en Russie pour prendre contact avec l’impératrice Elisabeth afin de renouer l’alliance francorusse, à l’insu des ministres de la tsarine qui prônent l’alliance avec l’Angleterre et la Prusse, ennemis de la France.


D’Eon accepte et se rend, sous l’identité de Lia de Beaumont, à Saint Petersbourg où l’ambassade de France l’accueille. Il raconte qu’il partit avec deux malles, l’une remplie de ses vêtements habituels, et l’autre de ses atours féminins. Arrivé à Saint Petersbourg il aurait été dans l’obligation de révéler à l’ambassadeur le double rôle qui l’attendait. «Jamais la postérité ne pourra croire de tels faits, si vous et moi n’avions pas toutes les pièces nécessaires pour les constater et de plus incroyables encore.»


Il arrive à prendre contact avec la tsarine (âgée de quarante-sept ans), et obtient une entrevue particulière. Lors de cet entretien le jeune homme révèle son identité. La tsarine, d’abord stupéfaite, est charmée par son naturel et, grande consommatrice d’hommes, termine l’entretien dans son lit.


Le lendemain elle fait de Lia de Beaumont sa lectrice particulière, et le jeune d’Eon rejoint la tsarine tous les soirs dans son antichambre, sous ses habits de femme. Au bout de quelques semaines le jeune homme doit repartir à Versailles (toujours vêtu en femme), et son retour dans le cabinet du roi est un triomphe. Il ramène des lettres privées de la tsarine, qui s’engage à signer un traité d’alliance. Le roi, ravi, offre à d’Eon une pension de trois mille livres et une tabatière en or.


Charles d’Eon repart à Saint Petersbourg, mais comme secrétaire d’ambassade sous sa vraie identité : sur place il parle beaucoup de sa soeur, Lia de Beaumont, demeurée en France et qui a, l’année précédente, accumulé les admirateurs russes. Jamais on n’a vu un frère ressembler autant à sa soeur, et pour cause ! De 1758 à 1760 il réside à Saint Petersbourg, puis doit de nouveau rentrer en France où Louis XV le nomme capitaine de Dragons. En 1762 l’impératrice Elisabeth de Russie meurt, et toute la politique de rapprochement avec la France s’écroule : le neveu d’Elisabeth, Pierre III de Russie (époux de la future Catherine II), se détache de l’influence française.

Reprenant sa vraie identité, le chevalier d’Eon va participer aux dernières campagnes de la guerre de Sept ans, mais il quitte l’armée en 1762 pour se consacrer entièrement, à trente-quatre ans, à l’espionnage. En effet, le prince de Conti souhaite exploiter le don peu commun du jeune d’Eon : il s’agit cette fois d’aller à Londres en tant que secrétaire de l’ambassade de France, pour conclure la paix générale. Apprécié par le roi George III, il réussit à subtiliser les papiers concernant le futur traité de paix. A son retour à Versailles le roi lui accorde un an de salaire, et un brevet de chevalier de l’ordre de Saint Louis.


De retour à Londres, d’Eon assure l’intérim de l’ambassadeur (le duc de Nivernais, malade, a dû rentrer en France), mais prend ce remplacement très à coeur et mène une vie fastueuse. Choiseul, ministre des affaires étrangères, refuse de payer ses dettes. En effet, d’Eon entretient alors vingt-deux domestiques, douze chevaux, et organise des réceptions à l’ambassade de France tous les jours.


L’arrivée du nouvel ambassadeur officiel (Claude Louis François Régnier de Guerchy) est un désastre pour d’Eon, qui ne s’entend pas avec le comte de Guerchy : il estime ce dernier incompétent. Et comment redevenir conseiller lorsqu’on a été ambassadeur par intérim ?

 

Pendant l’année 1763 le conflit entre les deux hommes est tel que le roi Louis XV demande le retour en France du chevalier. Celui-ci refuse et est déchu de son poste de conseiller. Déçu, aigri (en France il perd tous ses grades), d’Eon commence à livrer des secrets dans le but de discréditer le nouvel ambassadeur, et l’accuse d’avoir voulu l’empoisonner. Celui-ci riposte en engageant un procès contre d’Eon, redevenu simple civil. La presse anglaise se passionne pour ce différend entre français, d’autant que le dernier procès de septembre 1767 donne raison au chevalier. Mais d’Eon sent que la roue tourne, et la seule façon de se soustraire aux attaques est de reprendre ses habits de femme. Dès lors l’ambassadeur accumule les coups bas, il le traite de fou, d’hermaphrodite et de femme. Les anglais, toujours aussi intrigués, lancent des paris sur le sexe du chevalier.


En France, la mort de Louis XV en 1774 provoque la disparition du «Secret du roi» et l’avenir du chevalier est alors bien incertain : que va-t-il devenir ? D’autant que le nouveau roi s’interroge sur le cas d’Eon. Il charge Beaumarchais de récupérer auprès du chevalier des lettres échangées avec Louis XV. Beaumarchais se rend à Londres et les deux hommes tombent d’accord : le chevalier reçoit une somme substantielle (12 000 livres), un sauf conduit pour aller en France, en échange de quoi il s’engage à ne plus porter que des habits de femme, et à confier les papiers compromettants qu’il détient.


D’Eon doit cependant prouver à Beaumarchais qu’il est bien une femme : par un stratagème ingénieux il utilise un élastique pour dissimuler son sexe à l’entrejambe en le tirant vers l’arrière, puis Beaumarchais inspecte la «demoiselle» à travers ses vêtements, et ne rencontrant aucun «obstacle» dans son attouchement conclut que d’Eon est bien une femme. Le roi Louis XVI lui verse une pension, mais d’Eon n’est plus un espion.


Hélas deux ans plus tard, en 1777, il revient à Versailles et se présente dans son costume de capitaine de Dragons. Louis XVI, persuadé que d’Eon est une femme, lui intime l’ordre de ne paraitre qu’en vêtements de son sexe : «De par le roi, il est ordonné à Charles Geneviève Louise Auguste Andrée Timothée d’Eon de Beaumont de quitter l’habit uniforme de dragons qu’elle a continué à porter et de reprendre les habits de son sexe avec défense de paraitre dans le royaume sous d’autres habillements que ceux convenables aux femmes…»


C’est habillé en robe à paniers que le chevalier d’Eon est présenté à la Cour le 23 novembre 1777, sous le nom de Melle d’Eon. Il devient pour un temps la coqueluche des salons parisiens : on s’interroge sur cette femme aux bras poilus, à la stature masculine, aux gestes brusques (le chevalier n’est plus le jeune homme imberbe qui pouvait porter une robe, une perruque et des dentelles sans que personne ne s’étonne). Charles a maintenant presque cinquante ans, et l’obligation de porter une robe doit certainement lui peser : il a toujours l’habitude de s’asseoir les jambes écartées, et de monter les escaliers quatre à quatre.


Aussi lorsque la guerre d’indépendance éclate en Amérique se rhabillet-il en Dragon, ce qui lui était formellement interdit par le roi. Arrêté en mars 1779, Louis XVI l’exile à Tonnerre, sur ses terres familiales.


La petite vie de province ne lui suffit bientôt plus (pourtant il fait sensation, il est fêté partout par la bourgeoisie locale, qui invite cette «chevalière d’Eon» si intrigante), il se languit de Londres où il a connu ses meilleures années, et surtout sa belle bibliothèque lui manque. Et puis les Anglais l’ont toujours apprécié !


En novembre 1785 il retourne à Londres et retrouve son ancien logement : il a la mauvaise surprise d’y retrouver aussi son propriétaire, qui lui réclame les loyers dus en son absence. Il menace de vendre les 8000 livres que d’Eon a amoureusement entreposés dans sa chambre. Acculé, ce dernier est forcé de vendre ses chers livres, un par un, pour payer ses dettes. Quand la Révolution française éclate en 1789, sa pension (qui était versée par le roi sur la cassette personnelle) est supprimée.


Les évènements de Paris conduisent d’Eon, prudent, à rester à Londres, où il possède encore quelques amis. Quand la France déclare la guerre à l’Angleterre en février 1793, il se retrouve dans la gêne. Ses amis les plus chers ne sont plus de ce monde : le duc de Nivernais est mort en 1798, sa femme, la comtesse de Rochefort, en 1782. Le chevalier d’Eon survit grâce à des duels (où il s’habille en femme), ou des représentations payantes où il donne (toujours habillé en dame) des cours d’escrime (il gagne alors environ 400 livres).

 

Une vieille dame britannique, la veuve Mary Cole, le recueille dans sa pension. Il est alors assez corpulent, mais excelle toujours dans ses manifestations d’escrime. En août 1796 il est gravement blessé lors d’un duel, l’épée de son adversaire lui transperce le poumon. La déchéance ne va pas tarder pour la «chevalière d’Eon» : en 1804 il est conduit en prison à Londres à cause de ses dettes et y reste cinq mois. Ses mémoires auraient pu le sauver, car les éditeurs le pressent de les rédiger, mais elles sont encore à l’état embryonnaire et il lui faut une certaine concentration pour écrire. Concentration qu’il n’a pas, surtout après avoir été victime d’une attaque vasculaire.


Il vivra encore quatre ans dans la misère à Londres (il est contraint de vendre sa tabatière en or et sa croix de Saint Louis garnie de diamants) avant de mourir le 21 mai 1810, à l’âge de quatre-vingt-un ans, dans ses habits de femme. Le chirurgien qui effectuera la toilette mortuaire de la défunte constatera (à sa grande stupéfaction) qu’il s’agit d’un homme et «qu’il a trouvé sur ce corps les organes mâles de la génération parfaitement formés sous tous les rapports».


Le chevalier d’Eon, qui s’habilla quarante-neuf ans en homme, et trente-deux ans en femme, fut enterré à Londres au cimetière de la paroisse de Saint Pancras. Dans son testament il avait demandé à y être inhumé auprès de son cousin d’Eon de Mouloise. Pour la petite histoire, en 1860 la construction de la voie ferrée de la Midland Railway amputa une partie du cimetière et les restes du chevalier d’Eon furent portés dans une fosse commune au St Pancras Coroner’s Court.


Charles de Beaumont, chevalier d’Eon ne s’était jamais marié et n’aura aucune descendance. Ses amours le portaient vers les femmes (son travestissement l’avait aidé à approcher nombre d’épouses infidèles, sans que le mari ne se doute de quoi que ce soit) et il n’était pas du tout attiré par les hommes. Il finira par devenir l’égérie des travestis et donnera naissance à des histoires comme «Lady Oscar» en dessin animé. Mylène Farmer lui rendra hommage dans sa chanson «Sans contrefaçon » où elle dit qu’elle est comme «d’Eon, un mouchoir au creux du pantalon…».


Lafouine 77


Sources :
– Wikipedia
– Histoires d’amour de l’Histoire de France (Le siècle des Lumières) de Guy Breton
- Le chevalier d’Eon d’Evelyne Lever, Editions Fayard, 2009


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