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Zinaïda Ivanovna Narychkina - Scandaleuse

lafouine77 - 13/10/2021

Princesse Youssoupoff, comtesse de Chauveau (1809 - 1893)

Année du scandale : 1861.
Epoque : Règne d’Alexandre II.
Objet du scandale : La princesse Zinaïda Ivanovna Narychkina, veuve du prince Youssoupoff, âgée de cinquante-deux ans, épouse à Saint Pétersbourg un jeune officier français âgé de trente-deux ans, Charles Chauveau, aux origines modestes et dont le père travaille dans les pompes funèbres en France. Elle en fera un comte français et ira vivre avec lui en Bretagne où, grâce à la fortune de son épouse russe, il se bâtira un avenir politique local.

 

Zinaïda Ivanovna Narychkina est née le 2 novembre 1809 à Moscou. Son père est le chambellan Ivan Dimitrievich Narychkine (1776-1848), sa mère Varvara Nikolaevna Ladomirskaya (1785-1840), fille illégitime du favori de l’impératrice Catherine II, Ivan Rimsky Korsakov (1754-1831) et de la comtesse Ekaterina Stroganova 1754-1815, née Ekaterina Petrovna Trubetskaya).

L’histoire des grands-parents de Zinaïda mérite d’être racontée : Ivan Rimsky Korsakov est devenu le favori de l’impératrice Catherine II en 1778, il est si beau qu’elle l’a rebaptisé « mon Pyrrhus ». De plus il joue du violon et chante à la perfection. Le jeune homme est pendant deux années le favori bien aimé de l’impératrice vieillissante, qui a vingt-cinq ans de plus que lui, mais il va succomber aux charmes d’une femme mariée, Ekaterina Trubetskaya, épouse du comte Stroganoff. Le malheur veut que l’impératrice les surprenne dans une situation compromettante : Ivan est chassé de Saint Pétersbourg et part se réfugier à Moscou. Contre toute attente la comtesse Stroganoff suit son amant et abandonne son mari et ses trois enfants.

L’époux délaissé a une belle âme : il consent à divorcer et donne à sa femme, en cadeau de rupture, le domaine de Bratsevo, près de Moscou, où les amants terribles vont abriter leur bonheur. Ivan et Ekaterina ont quatre enfants illégitimes à qui on attribue le nom de Ladomirsky. L’un d’eux est Varvara (ou Barbara). Il existe un portrait d’elle réalisé par la peintre française Elisabeth Vigée Lebrun, qui rend avec bonheur la beauté de la mère de Zinaïda.

En 1804, à l’âge de dix-neuf ans, Varvara épouse Ivan Dimitrievich Narychkine : Zinaïda est le premier enfant du couple, son frère Dimitri naîtra trois ans plus tard. Les parents font leur possible pour que leurs enfants reçoivent une excellente éducation à la maison. Zinaïda se perfectionne dans la connaissance de la poésie et de l’art. Très tôt sa beauté lui permet d’obtenir une place de demoiselle d’honneur auprès de l’impératrice Alexandra Feodorovna, épouse du tsar Nicolas 1er. A dix-sept ans elle participe avec ses parents aux célébrations du couronnement impérial de Nicolas 1er, qui a lieu le 22 août 1826 à Moscou. Les festivités durent deux mois : Zinaïda y rencontre lors d’un bal celui qui va devenir son mari, Boris Nikolaievitch Youssoupoff, veuf depuis cinq ans de sa première épouse, Prascovia Pavlovna Chtcherbatov, morte en couches et de quinze ans plus âgée que Zinaïda.

Boris Youssoupoff est le fils unique de Nikolaï Borisovitch Youssoupoff (1751-1831) et Tatiana Vassilievna Engelhardt (1769-1841), l’une des nièces de Potemkine, un autre favori de l’impératrice Catherine II. Tatiana a élevé son fils unique à Saint Pétersbourg et l’a mis dans une pension française à la mode. Il entre ensuite au ministère des Affaires étrangères, puis épouse Prascovia Pavlovna Chtcherbatov. A la mort de sa femme en 1820 il voyage pendant deux ans dans toute l’Europe, et vient tout juste de rentrer de ce séjour pour assister aux célébrations du couronnement.

C’est là qu’il remarque la toute jeune Zinaïda, et sa beauté retient son attention. Or, dès le début du flirt, les parents de la jeune fille ne sont pas du tout en sa faveur. Ils savent que Boris Youssoupoff cherche à se remarier : il lui faut en effet une descendance.

Mais les Youssoupoff ont mauvaise réputation, ils sont soi-disant victimes de la malédiction d’un sorcier qui a condamné la dynastie à n’avoir qu’un héritier par génération ; si par hasard le prince Youssoupoff et son épouse arrivent à avoir plusieurs enfants, un seul survivra et les autres mourront avant l’âge de vingt-sept ans. Et curieusement cette malédiction s’est avérée au fil des années. De plus la propre mère de Boris n’est pas enchantée du choix de son fils lorsqu’il lui déclare qu’il souhaite épouser Zinaïda.

Malgré sa richesse et son titre, Boris sent que sa demande de mariage va rencontrer des obstacles des deux côtés. Il n’a alors d’autre choix que de se tourner vers l’empereur Nicolas 1er et de le mettre dans la confidence. Celui-ci approuve son choix et l’impératrice, qui est satisfaite de sa toute jeune demoiselle d’honneur, donne aussi son aval.

On annonce les fiançailles du couple le 11 octobre 1826, mais la date du mariage est reportée en raison de l’hostilité de la mère de Boris, Tatiana Vasilievna. Elle pense que Zinaïda est trop jeune, dix-sept ans, et que son fils peut trouver mieux. A la fin de l’année 1826, Boris écrit sa déception dans une lettre adressée à l’un de ses amis :
en rentrant de Moscou, j’espérais que mon bonheur allait enfin se réaliser, lier ma vie à celle de Zinaïda, mais maman, contre laquelle je n’oserai jamais aller, a demandé de reporter le mariage. Mon chagrin fut si grand à cause de ce retard que je faillis tomber malade...

Enfin le mariage est fixé au 19 janvier 1827 à Moscou. Or le jour des noces une série d’incidents va bouleverser la cérémonie : d’abord le marié, impatient de se rendre à l’église, s’aperçoit au dernier moment qu’il n’a pas la bénédiction de son père, Nikolaï Borisovitch Youssoupoff. Il retourne alors au domicile de celui-ci pour qu’il le bénisse. Puis pendant la cérémonie Zinaïda, trop émue, laisse tomber l’anneau nuptial qui, malgré les recherches, demeure introuvable, ayant dû se faufiler entre deux dalles du sol de l’église. Boris confie donc à Zinaïda l’une de ses bagues en guise de remplacement. La cérémonie terminée, l’un des témoins du marié écrira :
…un marié extraordinaire doit avoir des incidents extraordinaires. À l’église, la mariée était très gaie et le marié était pensif et fronçait les sourcils...

Zinaïda devient à l’âge de dix-sept ans la princesse Youssoupoff. Le jeune couple décide de résider à Saint Pétersbourg, et bientôt elle tombe enceinte. En mai 1827 elle écrit à son frère Dimitri pour lui dire qu’elle s’ennuie beaucoup. En effet, traumatisé par la mort en couches de sa première épouse, Boris lui a interdit toute activité dangereuse comme la danse, les promenades en carrosse, et l’a littéralement enfermée dans le palais. Elle ne reçoit que les visites familiales et trompe son ennui en se jetant dans la poésie.

Le 12 octobre 1827, neuf mois après le mariage, Zinaïda donne naissance à son fils Nicolaï. Deux ans plus tard, en 1829, elle a une fille, Anastasia, qui ne vivra que quelques jours. Le traumatisme de cette mort amène le prince Youssoupoff à ne plus fréquenter la couche de sa femme. Il ne veut plus d’enfant. Lui aussi pense à la malédiction familiale : son fils Nicolaï sera donc un enfant unique, et élevé en tant que tel. Quant à Zinaïda, il lui apprend de façon non équivoque qu’elle ne sera plus jamais mère. En entendant la sentence elle se rebelle et retourne à la cour de Saint Pétersbourg, où cette fois le tsar Nicolas 1er la remarque, d’autant que ses deux maternités l’ont épanouie. La jeune femme est devenue ravissante et on la décrit ainsi :
...Grande, mince, avec une taille charmante, et un visage altier, elle a de beaux yeux noirs, un visage très vif avec une expression gaie qui lui va merveilleusement bien.

Le comte Vladimir Alexandrovitch Sollogoub, poète et écrivain russe, la décrit comme « jolie, gentille et affable ». Elle se distingue « par une grande bienveillance envers tout le monde et, en général, une douceur remarquable ».

La même année, son mari reçoit du tsar l’ordre de Saint Vladimir et Zinaïda devient l’une des dames à la mode de Saint Pétersbourg. Nicolas 1er la convie souvent avec son mari à la cour. Il aime les jolies femmes et la comtesse Dolly de Ficquelmont, née Daria Feodorovna et épouse du comte von Ficquelmont, qui tient un journal de l’époque, écrit à l’occasion d’un séjour à la capitale :
« …la gentillesse immuable de l’empereur et le plaisir qu’il éprouve à fixer son regard sur un visage beau et sophistiqué, est la seule raison qui le pousse à témoigner son respect pour la princesse Youssoupoff… »

A l’âge de vingt-et-un ans, Zinaïda n’est pas décidée à abandonner sa vie de femme pour se plonger dans le célibat : sa beauté a retenu l’attention du tsar, mais elle provoque aussi bien des battements de coeur parmi les courtisans qui fréquentent la cour ; l’un d’eux, Nikolaï Andreevich Gervais, garde de la cavalerie russe, va tomber amoureux d’elle en 1831. Zinaïda et Nikolaï ont le même âge et sont fous amoureux l’un de l’autre. Dans les bals où ils se rencontrent, ils n’essaient même pas d’être discrets. De plus ils se retrouvent lors des séances de poésie dont ils sont férus l’un et l’autre.

La comtesse Dolly de Ficquelmont remarque encore :
...Non moins remarquable est le flirt trop prolongé et dévorant de la charmante princesse Youssoupova avec Gervais, un officier du régiment de cavalerie. Elle est connue de tous, car elle est jeune d’esprit, tout en étant gaie, naïve, innocente. Avec une innocence étonnante, elle s’est abandonnée au pouvoir de ses sentiments. Elle ne semble pas voir le piège tendu devant elle et aux bals elle se comporte comme si dans le monde entier elle était seule avec Gervais. Il est très jeune, avec un visage peu attrayant, pour le moins insignifiant, mais très amoureux, constant dans ses sentiments et, peut-être, plus adroit qu’on ne le croit…

Bientôt les langues se délient et quelqu’un finit par prévenir le mari de son infortune. On commence à faire comprendre à Gervais que son assiduité auprès de la princesse pourrait porter préjudice à cette dernière. Dolly de Ficquelmont écrivit dans son journal : « Le halo de gaieté qui entourait le beau et si jeune visage de la princesse a soudainement disparu. J’ai bien peur que la raison en soit Gervais. » En effet, pour sauver Zinaïda des commérages malveillants il décide de quitter Saint Pétersbourg : dévasté, il mourra dix ans plus tard lors d’une expédition en Tchétchénie.

En 1831, le mari de Zinaïda hérite de l’énorme fortune de son père qui vient de décéder. Il prend possession du domaine d’Arkhangelskoie et l’organise lui-même. Pendant l’épidémie de choléra il n’hésite pas à s’y rendre et, sans crainte de l’infection, ouvre un hôpital, fournit des médicaments et des médecins. En 1834 et 1835, lorsque le seigle est vendu huit fois plus cher que son prix habituel, il nourrit jusqu’à 70 000 personnes sur ses domaines répartis dans dix-sept provinces, sans recourir aux aides du gouvernement. Sa femme le suit dans ses domaines et tient son rôle auprès de lui.

En 1834 un drame va frapper Zinaïda à l’âge de vingt-cinq ans : à l’automne sa voiture se renverse dans un fossé, et elle a la jambe brisée. Mal soignée
par les médecins, elle gardera à vie une boiterie qui l’empêche de vivre sa passion de la danse. Elle continue à fréquenter les bals de la cour, mais doit rester assise et regarder les autres danser.

En 1839, le mari de Zinaïda est promu maréchal de la noblesse de Tsarskoie Selo. Ses contemporains le décrivent ainsi :
« ...le prince Youssoupoff a un esprit limité, il est pourvu d’une arrogance immense et il est intouchable de par sa richesse illimitée : il a pour habitude d’exprimer ses pensées ouvertement, même devant l’empereur, sans aucun filtre, et il a au fil des années accaparé les rancunes de ses interlocuteurs qui ne lui pardonnent pas son franc parler. »

Dix ans plus tard, en 1849, Boris Youssoupoff meurt à l’âge de cinquante-cinq ans : Zinaïda se retrouve veuve à quarante ans. A part l’épisode de son aventure avec Gervais, la princesse est demeurée relativement sage et discrète dans ses liaisons : la mort de son mari va la libérer. Elle ouvre sa maison à ses prétendants presque aussitôt après sa disparition.

Amoureuse du néo-baroque, elle se jette dans la rénovation des intérieurs du palais de la Moïka à Saint Pétersbourg, dans un style complexe, et lance la
construction de bâtiments tels que la Maison Liteiny à Saint Pétersbourg et la Yusupovskaya Dacha à Tsarskoïe Selo. Ses appartements sont décorés de meubles imitant la chambre de la reine Marie Antoinette à Versailles.

En 1856 son fils unique se marie : Zinaïda décide d’abandonner au jeune ménage la Moïka pour s’installer rue Liteinaïa dans une maison qu’elle a fait construire sur le modèle de celle de la Moïka. Au fil des années son comportement trop libre irrite l’empereur Alexandre II, fils de Nicolas 1er, et la princesse Youssoupoff se querelle avec le tsar.

Veuve, riche et libre d’elle-même, elle décide alors de se lancer dans un grand voyage en Europe, que son mari lui avait toujours refusé et qu’il avait pourtant exécuté au temps de sa jeunesse. En l’espace de quelques semaines elle prépare son départ pour la France de Napoléon III, où elle arrive au début de l’été 1860. Elle achète une parcelle au n°2 boulevard Victor Hugo à Boulogne et fait construire un hôtel particulier par Antoine Martin Garnaud, qui existe toujours et est devenu une école, le cours Dupanloup. Elle est bientôt invitée dans les salons parisiens grâce à l’influence de la princesse Mathilde Bonaparte, mariée à un russe, le comte Anatole Nikolaïevitch Demidoff.

Lors d’un bal à l’Élysée, elle rencontre un jeune capitaine d’état-major général de la Garde Nationale de la Seine : il s’appelle Louis Charles Honoré Chauveau et il est de vingt ans son cadet. Familier de Napoléon III, Charles Chauveau a de la prestance et porte avec panache l’uniforme des Gardes Nationaux.

A la stupéfaction de tous la princesse russe tombe éperdument amoureuse du jeune Chauveau, si bien qu’elle décide de l’épouser. Mais pour être reçu en Russie il faut un titre de fonction bien réel, et Chauveau n’en a pas. Il réside à Neuilly sur Seine mais décide de se présenter comme Conseiller général du Finistère, département qu’il ne connait pas mais où il a « l’intention de prendre racine », alors même qu’il est curieusement originaire de Champagne. Aux élections de 1860, par
1 435 suffrages sur 1 914 inscrits, Louis Charles Chauveau est élu au canton de Concarneau.

En attendant, Zinaïda, impatiente d’officialiser sa liaison, emmène le jeune Charles en Russie où leur union est célébrée le 7 mai 1861 dans la chapelle du palais Youssoupoff. On s’étonne beaucoup à Saint Pétersbourg de cette mésalliance : Charles Chauveau est roturier, et son père a exercé le métier d’administrateur des pompes funèbres, ce qui n’a rien de reluisant. De plus la mariée a cinquante-deux ans, et lui trente-deux.

Tout de suite après le mariage, les jeunes époux partent en lune de miel en Suisse. Revenu en France, le couple décide de
prospecter dans la région de Concarneau afin de trouver une demeure à Charles pour compléter son statut de Conseiller général du Finistère. Zinaïda commence à explorer la région : elle tombe en extase devant le domaine de Keriolet, sur les hauteurs de Concarneau, et l’achète en 1862. Grâce au goût de Zinaïda Ivanovna, le château austère est peu à peu transformé en un palais luxueux rempli de beaux meubles et d’oeuvres d’art. La princesse dépense un million et demi de francs or et prend comme architecte Joseph Bigot : les travaux vont durer de 1863 à 1883.

L’une des fantaisies de la princesse est d’installer le chauffage au sol dans la chambre de son mari, la sienne et celle du roi, une chambre que tout château français devait réserver à l’usage du souverain dans le cas où celui-ci se présenterait : inutile de préciser que celle du château de Keriolet, richement ornée, ne fut jamais utilisée. Au sommet du toit du château, l’architecte installe la statue d’un ours assis regardant vers l’Est, vers la Russie, pays natal de Zinaïda.

Puis Zinaïda achète le titre de comte de Chauveau et de marquis de Serre pour son époux. Et le couple s’installe au château de Keriolet, où il reçoit avec faste les représentants de la noblesse locale. Son mari continue à appeler sa femme « princesse » et lui est fidèle les vingt premières années. Puis, vers 1882, Charles de Chauveau entame à la vue de tout le monde une liaison avec la cuisinière du château, Bathilde Ducos, âgée d’une trentaine d’années : elle devait donner naissance aux deux enfants naturels du comte, Yves, né en 1883, et Anne Marie, née en 1885.

Il semble que Zinaïda ait parfaitement été au courant de cette liaison et qu’elle ait pardonné les incartades de ce mari qui était de vingt ans plus jeune qu’elle. Et puis les amours ancillaires ne la dérangeaient en rien. En tant que princesse russe, elle n’allait pas s’abaisser à être jalouse d’une domestique bretonne.

En 1889, le mari de Zinaïda meurt soudainement à l’âge de soixante ans d’une crise cardiaque, et c’est un choc pour elle,
qui se retrouve veuve une seconde fois à l’âge de quatre-vingts ans. Le comte de Chauveau est enterré dans le cimetière de la commune avoisinant le château, Beuzec-Conq dont il fut le maire, dans un très beau mausolée où il repose avec ses parents, ses frères et ses soeurs. Juste avant de quitter la Bretagne pour Paris, en 1892, la princesse Youssoupoff s’inquiète du repos éternel de son époux bien aimé : elle achète dans la commune de Beuzec-Conq un terrain où elle fait construire une école pour jeunes filles dont l’administration est confiée à des religieuses : ces dernières s’engagent à assurer l’entretien du caveau du comte, une bougie doit rester allumée tous les jours et une prière être dite pour le repos de l’âme du défunt. Les religieuses s’acquittent de cette tâche en faveur de leur bienfaitrice jusqu’en 1945, date de leur départ de la commune.

Avant de partir, Zinaïda lègue le château de Keriolet et toutes les richesses qu’il contient au Département du Finistère, charge à ce dernier d’en faire un Musée ouvert à la visite. Puis elle revient dans son hôtel de Boulogne. Son arrière-petit-fils, Felix Youssoupoff, alors âgé de six ans, lui rend visite à Paris ; il racontera dans ses Mémoires :
« ...J’ai eu, dans mon enfance, la chance assez rare de connaître une de mes arrières-grand-mères, Zinaïda Ivanovna, princesse Youssoupoff, devenue par son second mariage comtesse de Chauveau. Je n’avais que dix ans lorsqu’elle mourut mais son souvenir est resté gravé dans ma mémoire : sa merveilleuse beauté avait fait l’admiration de tous ses contemporains. Elle avait mené une vie fort gaie et connu de nombreuses aventures.

Longtemps après sa mort, comme je classais ses papiers, je trouvai, parmi toute une correspondance signée des plus grands noms de l’époque, des lettres de l’empereur Nicolas 1er qui ne laissaient aucun doute sur le caractère de leur intimité. Deux ou trois ans plus tard, s’étant querellée avec l’Empereur, elle partit pour l’étranger. Elle s’installa à Paris, dans un hôtel qu’elle avait acheté au Parc des Princes. Tout le Paris du Second Empire défila chez elle, et Napoléon III ne fut pas insensible à ses charmes et il lui fit des avances qui restèrent sans écho. C’est lors d’un bal qu’elle tomba amoureuse d’un jeune officier français de bonne mine mais de petite fortune. Elle l’épousa et le nantit d’un titre de comte.

Nous lui rendions visite chaque année, elle vivait seule avec une dame de compagnie dans son hôtel du Parc des Princes : nous logions dans un pavillon relié à l’hôtel
par un souterrain et n’allions chez elle que le soir. Je la revois, trônant dans un grand fauteuil dont le dossier était orné de trois couronnes : une de prince, une de marquis et une de comte. Malgré son âge avancé, elle était encore belle et avait conservé toute la majesté de son allure et la noblesse de son maintien. Toujours fardée et parfumée, elle portait une perruque rousse et se paraît d’un nombre imposant de colliers de perles. Elle se révélait, dans certains détails d’une singulière avarice. C’est ainsi qu’elle nous offrait des chocolats moisis qu’elle conservait dans une bonbonnière en cristal de roche incrustée de pierreries. J’étais seul à y faire honneur et je crois bien que de là venait la préférence qu’elle me marquait. En me voyant accepter ce que tous les autres refusaient, Bonne Maman me caressait avec affection en disant : « cet enfant me plaît »…

Au début de l’année 1893, Zinaïda éprouve le désir de revenir sur sa terre natale de Russie. Le tsar lui envoie une autorisation et elle s’apprête à faire ses bagages quand la mort la saisit. Elle décède à Paris le 16 octobre 1893 dans son palais du Parc des Princes. Selon sa volonté, son corps est transporté en Russie et enterré dans l’ermitage Trinity-Sergius sur la route de Peterhof, dans la limite inférieure de l’église Saint-Serge de Radonezh.

Felix Youssoupoff, l’arrière-petit-fils qui est venu lui rendre visite, est célèbre pour avoir organisé l’assassinat de Raspoutine : c’est lui qui, le 16 décembre 1917, tue le conseiller occulte et haï de l’impératrice Alexandra et du tsar Nicolas II. Il a épousé une nièce de Nicolas II, Irina Romanoff, et hérité des biens colossaux de la famille Youssoupoff. La révolution russe le contraint à l’exil : il ira passer quelques années au château de Keriolet, qu’il a récupéré au prix d’un long procès avec le Département, mais bien vite l’endroit ne lui plait plus. Harcelé par les créanciers, il vend au gré de ses dettes les riches collections qu’a laissées Zinaïda. Les quarante-trois hectares du parc sont réduits à deux hectares et demi lorsqu’il commence à dilapider les terres. Il meurt ruiné à Paris en septembre 1967.

Le château de Keriolet se visite depuis une vingtaine d’années et on retrouve quelques objets chers à la princesse Zinaïda : notamment dans la salle de bal, elle s’était fait aménager une « niche » à l’étage où, assise, elle assistait aux bals donnés en contrebas, et d’où elle pouvait voir son époux, le beau Charles, tourbillonner aux bras des aristocrates de la région. Sa boiterie l’empêchait de danser depuis bien longtemps, mais on peut l’imaginer avec un lorgnon, qui guette d’un oeil attentif les mouvements des danseurs.

Elle laisse à sa mort tous ses bijoux à sa petite-fille Zinaïda comtesse Sumarokov, la mère de Felix. A celui-ci elle lègue ses maisons de Saint Pétersbourg et Moscou, et l’hôtel du Parc des Princes à son frère aîné, Nicolas, qui n’en profitera guère puisqu’il meurt en duel à l’âge de vingt-cinq ans, tué par un mari jaloux, laissant son cadet, le prince Felix, unique héritier de la colossale fortune de Zinaïda, qu’il engloutira jusqu’au dernier sou.


Lafouine77

Sources :
Mémoires de Felix Youssoupoff
Wikipedia (russe)
Le château de Keriolet

 

Descendance de Zinaïda Ivanovna Narychkina :
Zinaïda Ivanovna Narychkina, comtesse de Chauveau (1861), née le 2 novembre 1809, Moscou (Russie), décédée le 16 octobre 1893, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), inhumée, Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) (à l’âge de 83 ans).

Mariée avec Boris, prince Youssoupov (1847), né le 9 juin 1794, Moscou (Russie), décédé le 25 octobre 1849, Palais, Arkhangelsk (Russie) (à l’âge de 55 ans) ... dont
• Nicolas, prince Youssoupov, né le 12 octobre 1827, Moscou (Russie), décédé le 31 juillet 1891, Baden-Baden (Allemagne) (à l’âge de 63 ans), maître de la Cour Impériale, vice-directeur de la Bibliothèque Impériale de Saint-Pétersbourg. Marié le 26 septembre 1856 (julien) (8 octobre 1856) avec Tatiana de Ribeaupierre, née le 29 juin 1828, décédée le 14 janvier 1879 (à l’âge de 50 ans) ... dont
   • Boris, mort jeune.
   • Tatiana.
   • Zénaïde, princesse Youssoupov, née le 2 octobre 1861, Saint-Pétersbourg (Russie), décédée le 24 novembre 1939, Paris, inhumée en 1939, Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) (à l’âge de 78 ans). Mariée le 4 avril 1882, Saint-Pétersbourg (Russie), avec Felix, comte Sumarokov-Elston, prince Youssoupov (1885), né le 5 octobre 1856, Saint-Pétersbourg (Russie), décédé en 1928 (à l’âge de 72 ans), aide de camp du grand-duc Serge, général major à la suite de l’Empereur ... dont
     • Nicolas Youssoupov, prince Youssoupov (4 août 1891), né en 1883, décédé en 1908 (à l’âge de 25 ans).
     • Félix Youssoupov, comte Sumarokov-Elston, prince Youssoupov (2e, 1915), né le 24 mars 1887, Saint-Pétersbourg (Russie), décédé le 27 septembre 1967, Paris, inhumé en 1967, Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) (à l’âge de 80 ans). Marié le 22 février 1914, Saint-Pétersbourg (Russie), avec Irène Romanov, princesse de Russie, née le 3 juillet 1895, Peterhof, décédée le 27 février 1970, Paris, inhumée en 1970, Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) (à l’âge de 74 ans)


Mariée le 7 mai 1861, Saint-Pétersbourg (Russie), avec Charles Chauveau, comte de Chauveau, né le 29 janvier 1829, Paris 11e, décédé le 31 octobre 1889, château de Keriolet, Beuzec Conq (Finistère) (à l’âge de 60 ans), chef de cabinet du grand chambellan de Napoléon III, capitaine d’état-major de la Garde nationale, conseiller général du Finistère (1860)


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