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Françoise de Maridor - Scandaleuse

Rinou - 28/01/2021

Dame de Montsoreau (1555-1620)

Année du scandale : 1579.
Epoque : Règne du roi Henri III.
Objet du scandale : Bussy d’Amboise, favori du duc d’Alençon (frère d’Henri III), l’un des plus galants gentilhommes de la cour, est assassiné au château de la Coutancière par le comte de Montsoreau qui le soupçonne d’être l’amant de son épouse Françoise de Maridor. Le crime demeurera impuni.

 

Françoise de Maridor est née au château de la Freslonnière, dans la Sarthe, en 1555. Elle est l’aînée de trois filles : ses soeurs se nomment Philippe et Anne. Les trois fillettes sont très belles : Françoise est une jolie brune aux yeux verts, et elle ne le sait pas encore mais plusieurs hommes vont, dans le futur, s’entretuer pour elle.

Les parents de Françoise de Maridor sont de confession protestante : Olivier de Maridor, seigneur de Vaux (1515-1575) est écuyer de la reine de Navarre, Jeanne d’Albret, et son épouse, Anne Goyon de Matignon (1532-1599) est dame d’honneur de la même Jeanne d’Albret (mère du futur roi Henri IV). Au château de la Freslonnière, les fillettes sont donc élevées dans la foi protestante.

Leur père est un homme de tempérament colérique : dans sa jeunesse il a eu à son actif le meurtre de deux nobles, car il tue avec aisance ceux qui ont le malheur de ne pas être de son avis. Il se fait remarquer une première fois en 1534, quand il se prend de querelle avec Louis de Chenevyères (dit « Haultboys ») un natif de Normandie qui s’est permis de critiquer ses hôtes lors d’un séjour au château de la Freslonnière ; le ton monte entre Chenevyères et Olivier de Maridor : ce dernier sort son épée et blesse son adversaire au ventre. Chenevyères mourra trois jours plus tard au château du seigneur de Bailleul, où il s’est fait transporter. Informé, le roi François 1er accordera une rémission pour ce meurtre à Olivier de Maridor, qui est seulement condamné à faire pendant quelques années l’aumône aux pauvres mendiants de la ville de Paris.

Le deuxième meurtre a lieu en août 1551 : Olivier de Maridor assassine son oncle, Hercule de Maridor. Lors d’un séjour chez ce dernier au château du Breuil (paroisse de Lucé sous Ballon), Olivier de Maridor se permet des remarques sur les frais élevés qu’occasionne la garde de sa nièce orpheline, qui a
été confiée aux bons soins d’Hercule de Maridor et de son épouse.

Olivier de Maridor doit participer aux frais de son éducation et estime que la fillette coûte fort cher : se sentant critiqué dans sa propre maison, Hercule de Maridor hausse le ton lors du départ d’Olivier ; les deux hommes décident de continuer leur discussion à cheval sur le chemin du retour, alors qu’Hercule raccompagne Olivier. Mais la promenade n’apaise en rien l’humeur des deux hommes ; hors de vue du château ils descendent de cheval, le ton continue de monter et, exaspérés, ils tirent leurs épées. Olivier de Maridor reçoit un coup qui lui transperce la cuisse, il réplique en passant l’épée au travers du corps de son oncle. Blessé, il réussit à remonter à cheval et se réfugie au presbytère de Teillé. Puis il se cache tandis que sa femme envoie une lettre d’explication au roi Henri II ; ce dernier délivre, comme son père François 1er quelques années auparavant, une lettre de rémission en  septembre 1551, qui permet au coupable de regagner son logis de la Freslonnière.

Françoise de Maridor et ses soeurs sont donc élevées par un père turbulent au tempérament colérique, mais aussi par une mère tout acquise à l’austère foi huguenote. Lorsque Françoise atteint l’âge de dix-huit ans, son père commence à lui chercher un bon parti parmi les seigneurs de la province. Son choix se porte sur le fils aîné de l’un des plus riches des environs, Louis de Coesmes, baron de Lucé.

Louis de Coesmes a épousé la nièce d’Anne de Pisseleu, favorite du roi François 1er, qui se nomme aussi Anne de Pisseleu et lui donne un fils : Jean de Coesmes, né la même année que Françoise de Maridor. Les deux jeunes gens sont mis en présence l’un de l’autre et se plaisent. Mais il y a un obstacle de taille pour la mère de Françoise de Maridor : le jeune Jean de Coesmes est catholique.

Anne Goyon de Matignon fait une scène mémorable à son époux : elle ne peut accepter pour gendre un homme de confession catholique. Rien n’y fait, Olivier de Maridor est bien décidé à nouer une alliance avec l’un des barons les plus fortunés du voisinage. Le mariage de Françoise de Maridor et Jean de Coesmes a lieu au château de la Freslonnière le 25 novembre 1573 : ils ont tous deux dix-huit ans. Le jeune couple va ensuite vivre au château de Lucé, laissé à leur disposition par les beaux-parents de Françoise, qui eux résident au château de Bonnétable.

Françoise de Maridor est devenue Françoise de Coesmes, dame de Lucé. On a conservé l’inventaire du mobilier de sa chambre au château de Lucé : « Une couchette dorée, peinte, garnie d’une paillasse, d’une couette, d’un traversier, d’une couverture de sargette rouge et vert, la chappe et les côtés dudit pavillon de velours cramoisi, accoutré de franges d’argent et de soie verte... »

Jean de Coesmes emmène sa jeune épouse à Paris au début de l’année 1574, et Françoise plait à Catherine de Médicis qui la nomme dame d’honneur de sa maison. Mais pour le plus grand malheur de la jeune femme, son époux est lieutenant d’une compagnie d’armes et ne vit que pour l’armée et la vie de camps. C’est ainsi que Jean de Coesmes part au siège de Lusignan, combattre les huguenots, et y trouve la mort le 25 novembre 1574. Ils n’ont pas eu d’enfants.

Françoise de Maridor, devenue veuve, doit quitter Paris et va s’installer chez ses parents à la Freslonnière. L’atmosphère du château lui est bientôt insupportable : sa mère y fait régner une ambiance toute huguenote et rigide, et Françoise regrette amèrement les quelques mois qu’elle a passés en tant que dame de Lucé. Il n’y a qu’une échappatoire à tout ceci : le remariage ! A Paris, sa beauté a bouleversé bien des coeurs : la sachant veuve et toujours aussi belle, les prétendants ne se font pas attendre.

Deux jeunes seigneurs se mettent sur les rangs : Jean de Beaumanoir, seigneur de Lavardin, et Charles de la Rochefoucauld, seigneur de Randan. Le premier est de foi huguenote et sert Henri roi de Navarre (futur Henri IV) ; le second est catholique et fortement épris de Françoise.

En mai 1575, les deux rivaux apprennent que Françoise séjourne chez ses parents à la Freslonnière, et Randan décide de lui rendre visite. Françoise de Maridor le prie par lettre de ne pas venir, car le seigneur de Lavardin doit lui aussi arriver à la Freslonnière, et elle craint que les deux jeunes gens ne se provoquent en duel pour elle, tant ils en sont venus à se détester l’un l’autre. Randan passe outre les conseils de Françoise et prend la route du Maine avec un équipage de deux cents chevaux. Le seigneur de Lavardin, apprenant la venue de son rival, part le rejoindre avec trente cavaliers. La rencontre se fait dans le Perche, Lavardin tue le jeune Randan d’un coup de pistolet dans la tête, et l’écuyer de Randan, désireux de venger son maître, est tué après avoir désarçonné Lavardin, et alors qu’il est en passe de le massacrer.

Le meurtre de Randan crée un scandale à la cour d’Henri III, car le jeune homme était l’un de ses favoris. Le roi envoie un prévôt des maréchaux pour se saisir de Lavardin, mais celui-ci a trouvé refuge en Gascogne chez Henri de Navarre. Le meurtre de Randan ne fait qu’accroitre l’attrait de la beauté de Françoise de Maridor, à l’origine de cette tuerie. Dans les mois qui suivent elle est courtisée par Jean de Chambes comte de Montsoreau, âgé de quarante-cinq ans. Catholique, il s’est distingué par son zèle à massacrer des protestants après la Saint Barthélémy dans les villes de Saumur et d’Angers, en août 1572. Son château de Montsoreau a été pillé en 1568 par les protestants, et il les hait. Il a participé au siège de Lusignan au côté du premier mari de Françoise de Maridor, et a hérité d’une réputation de cruauté sur les champs de bataille : on dit de lui que sur cent hommes qu’il fait prisonnier, il en garde douze et massacre le reste. Et c’est cet homme qui fait la cour à la belle Françoise de Maridor. Nul doute que la mère de cette dernière, Anne de Matignon, se retire dans ses quartiers lorsqu’il arrive tout fringant au château de la Freslonnière. Bien souvent il est accompagné de son frère cadet, Charles de Chambes, qui a seulement six années de plus que Françoise et est grand veneur de François d’Alençon, frère cadet d’Henri III.

Il est urgent que Françoise se remarie car son père, Olivier de Maridor, est mort en 1575 et elle ne peut pas demeurer à la Freslonnière où réside sa mère, qui ne s’entend plus avec elle qui est devenue, au contact de son premier mari, catholique. Hélas, la malchance frappe à nouveau : en septembre 1575 Jean de Chambes, baron de Montsoreau, est assassiné par une bande d’adversaires.

L’héritier de Jean de Chambes est son frère cadet, Charles. Il reçoit toutes les terres de son frère aîné et s’empresse de demander la main de Françoise de Maridor. Charles de Chambes est un homme d’étude, qui apprécie les livres. Il est timide et doux, et sincèrement amoureux de Françoise. Cette dernière accepte la demande en mariage, lequel a lieu au château de la Freslonnière en janvier 1576. Dans le courant de l’année, le jeune couple est appelé à Paris où Charles exerce sa charge auprès du jeune frère du roi, et Françoise de Maridor, dame de Montsoreau, est à nouveau nommée dame d’honneur de la reine Catherine de Médicis.

Pendant trois ans le couple vit l’été à la cour à Paris pour remplir ses obligations, et à l’automne regagne le château de la Coutancière, sa résidence de chasse. L’hiver les voit revenir au château de Montsoreau, à huit kilomètres de celui de la Coutancière. Or, bien malgré elle, Françoise de Maridor va de nouveau faire parler d’elle. En 1576 François de Valois duc d’Alençon (et frère d’Henri III) reçoit l’apanage du duché  d’Anjou : pour le représenter à Angers, il nomme l’un de ses fidèles, Bussy d’Amboise, qui devient gouverneur de son duché et commandant du château d’Angers.

Bussy d’Amboise, dit « le beau Bussy » se nomme en réalité Louis de Clermont d’Amboise. Il est né en 1549 et a vécu toute sa vie à la cour du roi de France. Pierre de l’Etoile le décrit ainsi : « ...Il était d’un courage invincible, haut à la main, fier et audacieux, aussi vaillant que son épée... »

D’abord gentilhomme d’Henri, duc d’Anjou (futur Henri III), il l’a suivi en Pologne lorsque ce dernier en a été nommé roi en 1573. Mais l’atmosphère austère de la cour de Pologne a fortement déplu à de nombreux fidèles du duc d’Anjou, et plus particulièrement à Bussy d’Amboise, qui risque sa tête à une ou deux occasions en serrant de trop près quelques belles polonaises dotées de maris jaloux et vindicatifs. Décidément, la vie agitée et gaie de Paris lui manque trop et c’est ainsi que, moins de six mois après son arrivée à Cracovie, et sous le prétexte d’apporter une missive à Paris, il abandonne le roi de Pologne et regagne la France. C’est un mauvais calcul : Henri lui en voudra toujours de l’avoir froidement laissé tomber. Mais personne n’aurait pu soupçonner que bientôt il allait devenir héritier du trône de France et abandonner la Pologne sur un coup de tête pour reprendre l’héritage de son frère aîné, Charles IX, sur son lit de mort.

En attendant, de retour à Paris, Bussy d’Amboise s’est trouvé un protecteur en la personne du dernier frère du roi : François duc d’Alençon, éternel trublion et mécontent. Le départ du duc d’Anjou de la cour lui a laissé le champ libre comme héritier présomptif de Charles IX, qui n’a aucun enfant mâle de son union avec Élisabeth d’Autriche. François d’Alençon accueille Bussy d’Amboise à bras ouverts et en fait l’un de ses favoris. Bussy, qui est un séducteur né et a un esprit vif et la répartie facile, en profite pour devenir l’amant de la reine Margot, soeur de Charles IX et du duc d’Anjou et épouse délaissée d’Henri roi de Navarre (le futur Henri IV).

Entre deux bals, il se prête à son jeu favori : le duel, où d’ailleurs il excelle. Mais en 1574 le roi Charles IX meurt. Aussitôt la reine-mère, Catherine de Médicis, en avertit son fils préféré, le duc d’Anjou, en lui faisant porter une missive à Cracovie. A la faveur de la nuit, Henri fausse compagnie aux polonais et rentre à Paris pour se faire couronner roi de France.

A la cour, le roi Henri III ne tarde pas à redistribuer des faveurs à ceux qui l’ont suivi en Pologne, dont certains vont devenir ses compagnons les plus fidèles, les Mignons. Évidemment Bussy d’Amboise, qui appartient désormais à la maison du duc d’Alençon, ne reçoit rien. Henri III déteste les compagnons de son frère et particulièrement Bussy, qui l’a si rudement abandonné en Pologne. De son côté, celui-ci ne peut souffrir de rencontrer les Mignons du roi sur son chemin, et les provocations entraînent bien souvent des duels. De plus il excite la jalousie du duc d’Alençon vis-à-vis de son frère, le poussant à réclamer plus de terres puisqu’il est l’héritier du trône, en cas de mort d’Henri III.

En 1575 le duc d’Alençon s’enfuit de Paris. Un an plus tard, le roi lui concède les terres qu’il réclame depuis des mois : l’Anjou, la Touraine et le Berry. Alençon peut maintenant récompenser ses fidèles, et c’est ainsi que Bussy d’Amboise est nommé gouverneur d’Anjou le 8 mai 1576. Dès le mois de juin il quitte Paris pour Angers où, en novembre, il fait une entrée remarquée au son des cloches de toutes les églises de la ville : les notables de la cité, les échevins et les bourgeois accueillent le nouveau gouverneur à bras ouverts. Bussy s’installe au château d’Angers en compagnie de la troupe de mercenaires qui l’accompagne et trouve à se loger dans la ville même ou aux alentours. Bientôt des plaintes s’élèvent contre les exactions qu’ils commettent. Averti, le roi Henri III conseille à son frère de demander à Bussy de modérer les ardeurs de ses troupes.

Pour éviter les récriminations des gens d’Angers, Bussy d’Amboise finit par s’installer à quelques lieux, au Pont de Cé. Et puis, de temps en temps, il retourne à Paris où son arrogance et sa fierté en irritent plus d’un. Insupportable, il provoque en duel l’un des Mignons du roi, le jeune Jacques de Levis comte de Quelus. Henri III, alarmé, demande à Bussy de renoncer au duel, ce qu’il fait ne pouvant passer outre la décision du monarque. Par contre, en agissant ainsi, il se met à dos son protecteur le duc d’Alençon, fâché de voir son favori se plier au désir du roi. Pour tenter de réconcilier tout le monde la reine-mère, Catherine de Médicis, propose de partir pour l’Anjou avec le duc d’Alençon et de raccompagner Bussy en son gouvernement.

Le 14 février 1578, elle et sa suite arrivent à Angers. A Pâques il est prévu que la reine-mère et tout ce beau monde fassent le tour des châteaux des environs pour rencontrer les courtisans et seigneurs des alentours. C’est ainsi qu’en revenant de la Flèche le duc d’Alençon, Bussy et la reine-mère s’arrêtent chez une ancienne dame d’honneur de celle-ci, au château de la Coutancière, qui appartient au mari de Françoise de Maridor, dame de Montsoreau.

Bussy d’Amboise a déjà rencontré Françoise de Maridor, d’abord lorsqu’elle a accompagné son premier époux à Paris, puis à l’occasion de son remariage. Remarquet- il alors l’extrême beauté de la jeune femme ? Estil jaloux de constater que les deux époux s’aiment tendrement ? Il n’a pas le temps de s’attarder dans la région d’Angers : un nouveau projet du duc d’Alençon se profile à l’horizon. En quête d’un titre plus ronflant, ce dernier tente de s’approprier les Pays Bas qui sont alors sous la coupe du roi d’Espagne. C’est un échec retentissant… Le duc d’Alençon, qui n’admet pas de perdre, est de plus un prince faible et versatile : il lui faut un coupable pour expliquer ce revers de fortune et son mécontentement se porte sur Bussy d’Amboise, auquel il reproche peut-être de l’avoir encouragé dans cette chimère. Ce dernier voit à partir de là sa faveur pâlir auprès de celui qu’il sert depuis des années.

En avril 1579, le duc d’Alençon se rend auprès du roi Henri III à Paris et y fait une entrée remarquée, entouré des grands du royaume : le duc de Guise, le duc de Nevers… Mais Bussy d’Amboise ne fait pas partie des fidèles qui l’accompagnent, il est resté au Pont de Cé et n’a pas été convié. Abandonné à son sort, il se laisse gagner par l’ennui : Paris lui manque, les dames lui manquent, et soudain une vision enchanteresse traverse sa mémoire… il y a à quelques kilomètres d’Angers une bien belle dame qui a aussi connu la cour à Paris et qu’il serait agréable de revoir.

Enhardi, il envoie un billet à Françoise de Maridor lui demandant la permission de lui rendre visite. La jeune femme répond positivement et ne manque pas d’en informer son époux resté à Paris. Elle ne voit aucun mal à recevoir chez elle le gouverneur d’Angers, ils ne sont d’ailleurs jamais en tête à tête, la dame de Montsoreau prenant garde de s’entourer de fidèles serviteurs.

Dans le courant de l’été 1579, les visites de Bussy d’Amboise deviennent plus fréquentes. Elles sont rafraîchissantes : avec Françoise, il ressasse les souvenirs de fêtes organisées par Catherine de Médicis et de bals à la cour… bref, Bussy l’exilé se sent revivre… Mais que se passe-t-il réellement entre la dame de Montsoreau et le beau gouverneur d’Angers ? Les mauvaises langues disent qu’ils sont amants, mais rien ne laisse penser que Françoise ait été infidèle à son mari. D’autant qu’elle l’informe de ces visites. Bientôt Bussy, qui ne sait pas tenir sa langue et a tendance à être arrogant, voire vantard, ne peut s’empêcher de chanter sa bonne fortune et, lorsque le duc d’Alençon lui écrit enfin et mande de ses nouvelles, il répond qu’il « a pris dans ses filets la biche du grand veneur ». On ne saurait être plus explicite, puisque Charles de Chambes est grand veneur à la cour.

Or, à cette époque, le duc d’Alençon est toujours exaspéré par le comportement de Bussy d’Amboise ; le roi Henri III n’a pas manqué de souffler à l’oreille de son frère que Bussy est un impertinent, qu’il pille la belle province d’Anjou et que chaque mois les angevins se plaignent du gouverneur d’Angers qui se comporte comme en pays conquis. Le ressentiment ressurgit chez le duc d’Alençon : il se rappelle la vantardise de Bussy et sa suffisance, et un soir il profite d’un entretien avec Henri III pour glisser à celui-ci que Bussy d’Amboise est devenu l’amant de la belle Françoise de Maridor, dame de Montsoreau. Pour preuve il lui laisse la lettre de Bussy, un chef d’oeuvre de vantardise. Or, Charles de Chambes se trouve à cette époque au Louvre. Henri III, ravi de l’aubaine de pouvoir se venger des provocations passées de Bussy vis-à-vis de ses Mignons, convoque le comte de Montsoreau et lui fait lire la lettre : celui-ci tombe des nues puis éclate de colère.

Devant la colère légitime et sincère de Charles de Chambes, le roi lui accorde la permission de retourner en Anjou. En galopant à bride abattue, il arrive en deux jours et deux nuits au château de la Coutancière. En pleine nuit, il fait ouvrir les portes du château et trouve sa femme, seule, dans la salle d’honneur en train de dîner avec quelques suivantes. D’emblée il l’accuse d’adultère. Devant ce mari déchaîné et furieux, la jeune femme est interdite et stupéfaite. Le comte de Montsoreau la prend par le bras et, sans ménagement, la mène dans leur chambre. Là, l’explication est encore plus orageuse : le comte accuse, Françoise se défend âprement et répond que tout n’est que calomnie, que Bussy d’Amboise n’a jamais été seul avec elle et que l’accusation est mensongère. D’ailleurs elle n’a jamais caché que le gouverneur d’Anjou venait lui rendre visite, elle n’est coupable de rien !

Charles de Chambes ne la croit pas, et il exige qu’elle écrive aussitôt une lettre à Bussy d’Amboise : une invitation pour qu’il vienne au château le lendemain soir. Résignée, et sous la contrainte, Françoise de Maridor rédige le billet fatidique. Peut-être pense-t-elle que les deux hommes, lors de cette entrevue, s’expliqueront en bonne intelligence : elle n’a jamais connu son mari violent, et il n’y a pas de raison pour que cette histoire dégénère.

Le messager de la dame de Montsoreau arrive à Angers au début de l’après-midi du 19 août 1579 : en lisant la missive Bussy d’Amboise ne réfléchit pas, il se précipite, réclame son cheval et se met en route. En partant d’Angers, il s’arrête à Saumur et demande à l’un de ses amis, un dénommé Colasseau, de l’accompagner : en effet, les chemins ne sont pas sûrs jusqu’au château de la Coutancière, et de plus il fait nuit. Colasseau accepte et, à la tombée du jour, les deux hommes partent avec pistolet et épée. Ils arrivent au château vers dix heures du soir.

Or le comte de Montsoreau a préparé une véritable embuscade, qui a pour but de mettre à mort Bussy d’Amboise : dans l’après-midi, il a recruté une  dizaine de serviteurs du château, de solides gaillards qu’il a équipés d’épées et de poignards. Il leur donne aussi des cottes de maille pour les protéger, car Bussy est un redoutable bretteur. Les serviteurs du comte de Montsoreau ont pour mission de fondre sur Bussy dès lors que celui-ci franchira la grande salle.

Lui s’est retiré dans ses appartements privés, et a fait enfermer Françoise à l’autre bout du château. Seule une chandelle est restée allumée au premier étage, et un serviteur a pour mission d’introduire Bussy dès qu’il franchira le seuil de la grande porte du château. Les deux cavaliers ne tardent pas à arriver : mettant pied à terre, Bussy d’Amboise et Colasseau frappent à la porte ; un serviteur de la maison vient leur ouvrir. Il laisse passer Bussy et introduit Colasseau dans une pièce du rez-dechaussée où une collation l’attend. Impatient, Bussy grimpe les marches qui mènent à l’étage à la suite du
serviteur qui montre le chemin ; parvenu devant la porte de la grande salle, celui-ci tourne la clé et ouvre. Pendant ce temps, au rez-de-chaussée, un autre serviteur a enfermé Colasseau à double tour.

Dès que la porte de la grande salle s’ouvre, Bussy se précipite : il sait que la chambre de Françoise se trouve de l’autre côté. Mais alors qu’il pénètre dans la pièce éclairée, le serviteur qui l’a accompagné referme la porte et tourne la clé, l’enfermant à l’intérieur. Aussitôt des quatre coins de la pièce surgissent des hommes armés qui se précipitent sur lui.

Le jeune homme comprend aussitôt la trahison, sort son épée qu’il a gardée à son côté, et pare les premiers coups. Il rugit de colère et se précipite sur les assaillants ; ceux-ci, surpris, reculent à leur tour : quatre d’entre eux sont grièvement blessés par Bussy qui se déchaîne. Les autres se regroupent et l’entourent, son épée se rompt finalement sur une cotte de mailles : il se sert alors d’un escabeau qui se trouve à ses pieds, et le lance à toute volée. Un banc suit la même trajectoire. Son but est d’atteindre la fenêtre qui donne sur la cour, s’il arrive à la franchir il est sauvé et pourra échapper à ses assaillants. Il a eu beau appeler à son secours Colasseau, il a compris que celui-ci était empêché de le rejoindre.

Il se protège le corps de son manteau et s’apprête à briser le carreau de la fenêtre, mais l’un des serviteurs du comte de Montsoreau sort alors un pistolet, vise et tire au moment où la vitre se brise. Blessé, Bussy d’Amboise bascule dans le vide et son corps atterrit sur les grilles du soubassement de la fenêtre, où il s’empale. Ses assaillants se penchent et l’achèvent alors à coups d’arquebuse… Son corps est bientôt criblé de flèches… Au rez-de-chaussée, son ami a entendu le bruit de la rixe et tenté d’aider Bussy. Hélas, au moment où s’ouvre la porte de la pièce où on l’a enfermé, les serviteurs du comte de Montsoreau se précipitent sur lui et le transpercent de leurs dagues. Impuissant face au nombre, il succombe sous leurs coups.

Les deux hommes sont morts, et leurs corps sont traînés dans la cour devant la porte du château. Charles de Chambes sort alors de ses appartements et contemple avec mépris la dépouille de Bussy d’Amboise. Quant à Françoise de Maridor, elle n’apprend son sort funeste qu’au matin de cette nuit d’horreur. Le corps de Bussy d’Amboise est ramené à Angers ; les moines de l’abbaye de Saint Pierre de Bourgueil le réclament : en effet il était leur abbé commendataire depuis 1578. Il est enterré dans cette abbaye bénédictine. Quelques jours plus tard, Charles de Chambes retourne à Paris auprès du roi. Il ne sera pas poursuivi pour cet assassinat.

Quant au duc d’Anjou, il ne manifeste aucun chagrin à la nouvelle de la mort de son ami. A la cour, la stupeur laisse place à une sorte de satisfaction : même si certains l’appréciaient, beaucoup le jalousaient et se félicitent de voir ce vantard bel et bien mort. Et puis les circonstances de son décès demeurent confuses : si tous s’étonnent du rôle qu’a joué Françoise de Maridor dans cet assassinat, beaucoup applaudissent le mari cocu d’avoir fait rendre gorge à l’impudent personnage. Mais la comtesse de Montsoreau a-t-elle vraiment succombé au charme de Bussy d’Amboise, ou celui-ci s’était-il seulement vanté bien haut de faveurs qu’il n’avait jamais obtenues ?

Les chroniqueurs de Paris, comme Brantome ou Pierre de l’Estoile, optent pour l’adultère ; les chroniqueurs angevins, comme Louvet, sont beaucoup plus nuancés. Ce drame, qui aurait dû séparer les deux époux, leur permet au contraire de rester plus que jamais unis. Françoise de Maridor n’a que vingt-quatre ans à la mort de Bussy d’Amboise, et son mari a toujours montré qu’il était fortement épris de son épouse. S’il y a eu faute, il pardonne, mais il semble bien que Françoise n’ait jamais été la maîtresse de Bussy. Charles de Chambes et Françoise de Maridor auront six enfants à la suite de cet épisode : elle donne naissance au premier, une fille prénommée Françoise, à l’âge de trente ans en 1585. Puis elle met au monde René (1587), Françoise (1588), Marguerite (1590), Charles (1594) et enfin Suzanne (1600).

En 1583 Françoise de Maridor reprend sa place de dame d’honneur auprès de Catherine de Médicis à Paris. Quant à son mari, il poursuit sa carrière auprès du duc d’Alençon : en 1585 il est nommé conseiller d’État et obtient l’abbaye de Saint-Georges près d’Angers. En 1587 il est blessé à Coutras et fait prisonnier. Le 5 juin 1589 il obtient 4 200 écus et suit le duc de Montpensier comme maréchal de camp en Bretagne pour réduire une insurrection. En 1592, il participe à la défaite de Craon devant les troupes du duc de Mercoeur. En 1596 il sert au siège de Tigné.

En 1599 Anne de Matignon, mère de Françoise de Maridor, meurt : dans son testament elle déshérite sa fille aînée et effectue des dons aux deux autres et à leur descendance. La fière huguenote a-t-elle rayé Françoise car elle est devenue catholique (au contraire de ses deux soeurs, Anne et Philippe, qui sont restées protestantes) ou bien parce qu’elle a été mêlée à l’assassinat de Bussy d’Amboise et au scandale qui en a résulté ? Les historiens sont encore partagés pour conclure…

Le comte et la comtesse de Montsoreau vont briller une dernière fois en accueillant une nouvelle reine de France à Angers : le 19 septembre 1613, Charles de Chambes reçoit la reine Marie de Médicis à la tête des représentants de la noblesse angevine ; il a à ses côtés la toujours belle Françoise de Maridor. Le chroniqueur Louvet relate la rencontre : « Le seigneur de Montsoreau, fort vieux, tout blanc et chenu, âgé de soixante-quatre ans, avait les cheveux et la barbe blancs comme neige. Il était vêtu d’un pourpoint de toile d’argent à ramage, de chausses toutes couvertes de clinquants, l’épée dorée, les bottines accommodées de boutons d’or, avec un beau panache blanc et il faisait voltiger et aller son coursier à bonds et à voltes, comme un jeune homme de vingt-cinq ans ».

Sept ans après cet évènement, la dame de Montsoreau rend son âme à Dieu : Françoise de Maridor meurt au château d’Avoir (commune de Longué, Maine et Loire) le 29 septembre 1620, âgée de soixante-cinq ans, et elle est inhumée en l’église de Souligné sous Ballon (Sarthe), commune toute proche du château de la Freslonnière qui l’a vue naître. Son mari, inconsolable de la perte de son épouse, mourra un an plus tard, le 16 juin 1621, âgé de soixante-et-onze ans.

Alexandre Dumas s’emparera de l’histoire du meurtre de Bussy d’Amboise : son livre « La dame de Monsoreau » (sans la lettre « t ») est un roman historique qui fait partie d’une trilogie : il fait suite à « La reine Margot » et précède « Les Quarante Cinq ». Il change le prénom de Françoise de Maridor en « Diane de Maridor » et dépeint son mari comme un vieillard jaloux. Et le beau Bussy est bel et bien, dans cette fiction, l’amant bienaimé de la belle dame de Monsoreau.

Suite au succès du livre Alexandre Dumas, aidé d’Auguste Maquet, monte un opéra en cinq actes également intitulé « La dame de Monsoreau ». Il sera joué pour la première fois le 19 novembre 1860 au théâtre de l’Ambigu. Il existe aussi quatre séries télévisées tirées de « La dame de Monsoreau », dont une faite par la télévision russe ! La plus connue en France est celle où Diane de Monsoreau est jouée par la belle actrice Karin Petersen en 1971. Enfin le cinéma s’empare aussi de l’histoire et il y a trois films muets sur le sujet (en 1909, 1913 et 1923).

Les lieux authentiques où a vécu Françoise de Maridor n’existent plus : le château de la Coutancière (qui se trouvait à Brain sur Allonnes) a été détruit en 1826, un nouveau logis a été construit qui fait maintenant office d’hôtel restaurant ; le château de la Freslonnière (à Souligné sous Ballon dans la Sarthe) est ouvert pour l’organisation de mariages et possède des chambres d’hôtes. De nos jours, ne reste visible aux touristes que le château de Montsoreau, qui se situe au bord de la Loire et se visite. Le nom de « Montsoreau » est à tout jamais lié à la dame dont la beauté occasionna le meurtre le plus retentissant de la région, qui demeura impuni…

 

Lafouine77

Sources :
« Dames et bourgeoises amoureuses ou galantes du XVIème siècle » de Maurice Rat
« La vraie histoire de la dame de Montsoreau » de Jacques Levron


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