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Ekaterina Pavlovna Skavronskaia - Scandaleuse

lafouine77 - 05/12/2020

Comtesse Bagration, Lady Caradoc (1783-1857)

Année du scandale : 1804.
Epoque : Règne du tsar Alexandre 1er.
Objet du scandale : Ekaterina Skavronskaia, comtesse Bagration, quitte son époux le prince Bagration et Saint Pétersbourg pour aller vivre à Vienne ; épilogue d’un mariage forcé voulu par le tsar Paul 1er. A Vienne, elle défraiera la chronique par ses nombreuses liaisons.

 

Ekaterina Pavlovna Skavronskaia est née à Naples le 7 décembre 1783. Son père, le comte Pavel Martinovich Skavronsky, est ministre plénipotentiaire de Russie à la cour de Naples. Sa mère est la fameuse beauté Ekaterina von Engelhardt, nièce du prince Gregory Potemkine, lui-même amant de l’impératrice Catherine II.

Ekaterina von Engelhardt et ses cinq soeurs ont été amenées à la cour de Catherine II lorsque leur oncle est devenu le favori de l’impératrice. Outre le fait qu’elles font de très beaux mariages, la rumeur veut qu’elles aient toutes été les maîtresses de leur oncle à un moment ou à un autre. L’impératrice Catherine II (apparemment ignorant ou tout simplement repoussant cette rumeur) les comble toutes de bienfaits : elles ont de belles dots à l’occasion de leurs mariages et deviennent ses dames d’honneur.

Les rumeurs de liaison entre Ekaterina von Engelhardt et son oncle commencent en 1779, mais ce n’est que le 10 novembre 1781 que l’impératrice Catherine II la marie au comte Skavronsky, neveu de Catherine 1ère, seconde épouse de Pierre le Grand. Il est nommé ministre à Naples et emmène dans ses bagages sa jeune et jolie épouse, qui donne naissance en Italie à deux filles : Maria Pavlovna Skavronskaia née en 1782, et Ekaterina Pavlovna Skavronskaia (notre héroïne) née en 1783.

A l’âge de dix ans, les deux fillettes sont orphelines de père : le comte Skavronsky meurt prématurément à trente-six ans, le 23 novembre 1793, et son épouse quitte l’Italie pour retourner vivre en Russie. A quinze ans, la jeune Ekaterina Pavlovna Skavronskaia devient l’une des demoiselles d’honneur de l’impératrice Maria Feodorovna, épouse de Paul 1er (fils de Catherine II) qui a succédé à sa mère en 1796 sur le trône de Russie. En 1798 la mère d’Ekaterina retourne vivre en Italie, et se remarie au comte Giulio Litta, amiral russe : elle laisse sa fille cadette à Saint Pétersbourg.

La beauté naissante de cette dernière ne tarde pas à attirer l’attention d’un des familiers du tsar Paul 1er : le major général Piotr Bagration, qui est aussi qualifié d’homme le plus laid de la cour, tombe amoureux fou de la jeune Ekaterina. Mais c’est un amoureux discret, il cache son secret et se contente de dévorer la jeune fille du regard. Bagration a dix-huit ans de plus qu’Ekaterina Skavronskaia, mais il est issu d’une famille princière qui a régné pendant des siècles sur la Géorgie et l’Arménie. A seize ans son père l’a confié à une parente, Anne de Georgie, épouse du prince Boris Galitzine. Le jeune garçon a intégré les rangs de l’armée russe et, cinq ans plus tard, est devenu colonel. En 1798 il est nommé général major, sous les ordres du feld marechal Souvoroff.

A l’âge de trente-cinq ans, Bagration a déjà connu une brillante carrière dans l’armée impériale russe, dans la guerre contre les Ottomans et la campagne de Pologne en 1794. Il vient de participer à la première campagne contre les français, qui s’est déroulée en Italie et en Suisse, et est promis à un brillant avenir. Son éducation est celle d’un soldat, il parle le russe mais ne sait pas l’écrire, et il ne connait rien à l’art de séduire les demoiselles.

Pourtant son coeur de soldat bat dès qu’il rencontre à la cour de Saint Pétersbourg Ekaterina Skavronskaia, une jolie brune de dix-sept ans. Elle, elle ne le remarque même pas. Elle n’a d’yeux que pour le superbe Paul von der Pahlen, qui a huit ans de plus qu’elle et fréquente assidûment Maria Skavronskaia, sa soeur aînée, elle aussi fille d’honneur de l’épouse du tsar. Pour compliquer encore ce chassé-croisé amoureux, la rumeur veut que la propre fille de Paul 1er, la jeune Ekaterina Pavlovna (soeur du futur tsar Alexandre 1er) soit passionnément amoureuse du major général Bagration, et ce malgré sa laideur !

Lors d’une fête impériale dans le courant de l’été 1800, les évènements vont s’accélérer pour Ekaterina Skavronskaia. Au cours d’une conversation avec le tsar, Bagration laisse échapper qu’il est tombé sous le charme de la jeune fille, mais qu’il est bien conscient qu’elle l’a à peine remarqué. Paul 1er, connu pour son excentricité, va dès lors se faire le chevalier servant de Bagration : il a l’habitude de marier les membres de sa cour à sa fantaisie, et pour une fois il entend satisfaire les sentiments profonds du major général, qu’il va d’ailleurs élever au rang de prince dans les jours suivants. Pour souligner l’éclat de cette promotion, il annonce à la cour impériale, stupéfaite, qu’il a l’intention de se présenter au mariage de Bagration avec la jeune et jolie Ekaterina Skavronskaia : c’est ainsi que les futurs époux apprennent qu’ils sont destinés l’un à l’autre.

Ekaterina le prend très mal. Elle n’a eu aucun début de cour de la part de son futur mari, qu’elle connait à peine, et qui d’ailleurs ne lui plait pas. Pour ajouter à son désespoir, elle apprend que sa soeur Maria va elle aussi convoler, mais avec l’élu de son coeur, Paul von der Pahlen, quelques semaines après son propre mariage à Bagration.

Ekaterina n’a personne à qui se confier : son père est décédé, sa mère remariée vit en Italie, et ses proches n’ont aucune intention d’aller à l’encontre des désirs du tsar, qui est suffisamment versatile dans ses humeurs pour exécuter quiconque se mettrait en travers de ses ordres et de ses désirs. L’impératrice Maria Feodorovna, qui est bonne et douce, a compris la détresse de sa jeune demoiselle d’honneur et tente de lui redonner le moral en lui montrant les qualités indiscutables de son futur époux, qui est promis à une belle carrière militaire. Et puis, en tant que soldat, il ne sera pas souvent à la cour du tsar !

Le 2 septembre 1800, le mariage a lieu dans la chapelle du palais Gatchina à Saint Pétersbourg : la mariée est magnifique, l’époux vêtu en militaire. Le général Louis Andrault de Langéron, émigré français qui combat dans l’armée russe contre les armées révolutionnaires françaises, est présent au mariage. Il relate dans ses mémoires : « Bagration épousa la petite nièce du grand prince Potemkine. Cette épouse riche et toute jeune était mal assortie à son futur époux : Bagration était un simple soldat, avec le ton et les manières d’un soldat et il était extrêmement laid. Son épouse était aussi blanche de peau qu’il était tanné, et elle était belle comme un ange, brillante, et la plus vivante de toutes les beautés de la cour de Saint Pétersbourg ; elle ne sera pas heureuse très longtemps avec un époux comme le sien... »

Les jeunes mariés entament une vie conjugale compliquée, entre deux êtres que tout sépare. Bagration est nommé commandant des chasseurs de la Garde Impériale du tsar, quant à Ekaterina elle reprend le chemin de la cour, mais cette fois en tant que dame d’honneur de la tsarine. Il ne semble pas que ce mariage forcé l’ait finalement rendue heureuse. Elle constate avec amertume que sa soeur semble comblée, avec celui qui a été l’élu de son coeur. De plus son époux est souvent absent, et elle s’ennuie énormément dans ce mariage sans amour. Pour couronner le tout, une machination contre le tsar (menée par le père de son beau-frère, Pierre von der Pahlen) renverse Paul 1er pour mettre à sa place son fils, le futur Alexandre 1er.

Dans les jours qui suivent ce coup d’état, le tsar Paul 1er est assassiné le 12 mars 1801, soit six mois après le mariage imposé avec Bagration. Le règne du nouveau tsar n’apporte aucun changement dans la morne vie de la princesse Bagration. Elle voyage beaucoup dans les villes d’eau afin de soigner sa santé fragile, toujours aussi belle et toujours aussi seule, son mari étant rarement présent. Elle s’ennuie mortellement de cette existence, qui est de plus
non couronnée par un début de maternité.

C’est ainsi que trois ans après son mariage Ekaterina Skavronskaia, princesse Bagration, décide de quitter son mari et la Russie. Son mariage ne la rend pas heureuse et le seul passe-temps que les époux partagent lorsqu’ils sont ensemble à la cour, c’est leur addiction aux jeux de hasard. Bagration comme son épouse accumulent les dettes de jeu à Saint Pétersbourg.

De plus Ekaterina remarque que la jeune soeur du tsar, Ekaterina Pavlovna, fréquente beaucoup sa maison et semble rechercher la présence de Bagration (quand il est là) pour la bonne raison qu’elle l’aime depuis toujours. Bagration a-t-il succombé aux charmes de la soeur du tsar (qui est d’ailleurs très belle) et son épouse s’en est-elle rendu compte ? En tout cas, pour la princesse Bagration la coupe est pleine. Elle décide de partir au début de l’année 1804, dans le plus grand secret, et de se rendre en Italie où vit sa mère.

A l’occasion de ses nombreux voyages dans les villes thermales pour raisons de santé, elle a fait aménager par le passé un carrosse confortable qui contient un lit entier, ce qui lui permet de voyager couchée. A l’extérieur des sangles retiennent les bagages divers, la princesse monte par une échelle dans sa berline et en descend par le même moyen. Elle baptise son carrosse le « dortoir ». Mais son projet d’aller en Italie s’interrompt lorsque démarrent les guerres napoléoniennes ; en fait, elle ne va pas plus loin que Vienne, capitale de l’Autriche, où elle s’installe confortablement : elle est alors âgée de vingt-trois ans.

Évidemment à Saint Pétersbourg son époux, revenu  des champs de bataille dans une demeure vide, tente de la rappeler auprès de lui. Elle lui répond qu’elle est souffrante, et que sa santé lui impose de demeurer à Vienne pour raison médicale. Ce qui ne l’empêche pas de fréquenter les salons viennois, où sa tenue vestimentaire provoque l’étonnement et le scandale : elle revêt des robes extrêmement légères et transparentes, et on la surnomme « the white cat » (la chatte blanche) ou « le bel ange nu » car ses tenues ne cachent rien de sa silhouette mince et élancée. Elle affole tous les hommes : un anglais, lord Palmerston, écrit que la princesse Bagration porte des mousselines de tissu indien transparent qui collent à sa silhouette de façon indécente. Ce vêtement blanc rehausse son visage angélique, sa peau très blanche, ses yeux bleus et sa cascade de cheveux châtains.

Bien sûr, à Vienne elle entretient un mode de vie digne d’une princesse russe, et les factures sont expédiées à son époux directement à Saint Pétersbourg. Ce dernier paie les dettes de sa femme sans protester, et prend sa défense lorsque les mauvaises langues soulignent sa fuite. Bagration maintient qu’elle est toujours son épouse, et que les affaires de son ménage ne concernent que lui. Elle est à Vienne pour raison de santé. Les premiers temps, il est persuadé qu’elle reviendra rapidement. Même la mère d’Ekaterina, d’Italie où elle réside, se plaint à son gendre du comportement de sa fille à Vienne. Mais il lui tient tête, et répète qu’il soutient son épouse. Il continue à régler les milliers de roubles de dettes qui s’accumulent à Vienne.

Désormais seul, le prince Bagration poursuit une brillante carrière militaire : en 1805 il commande l’avant-garde d’une armée envoyée au secours des Autrichiens. Avec 6 000 hommes il tient tête à l’armée du général Murat, et protège vaillamment la retraite de l’armée russe après Austerlitz.

A Vienne sa femme continue de briller et, bien sûr, n’est pas fidèle. Elle entame une liaison avec le comte Friedrich von der Schulenberg, puis avec le prince Louis Ferdinand de Prusse, un neveu de Frédéric le Grand. Celui-ci l’emmène vivre à Berlin. C’est un militaire, comme son mari, mais aussi un musicien et compositeur renommé. Ça ne l’empêche pas de combattre, comme Bagration, les armées de Napoléon. Mais le sort lui est contraire, et le 10 octobre 1806 il meurt lors de la bataille de Saafeld, alors qu’il combat les troupes françaises menées par le général Lannes.

A l’annonce de la mort de son amant, Ekaterina doit quitter Berlin et s’en revient à Vienne. Au cours de l’hiver 1808 elle y devient la maîtresse du prince Clément von Metternich, ministre autrichien des Affaires Etrangères et chancelier de l’empire d’Autriche, et pour la première fois la jeune femme tombe enceinte. Elle accouche à Vienne d’une fille prénommée Marie Clémentine, le 29 septembre 1810. Quand la naissance de cette enfant est connue, le scandale éclate à la cour de Russie. Tout le monde sait que le prince et la princesse Bagration vivent séparés depuis des années. Le tsar Alexandre 1er ordonne au général Bagration de reconnaître l’enfant comme issu de son mariage avec Ekaterina, pour sauver l’honneur de la jeune femme et celui de la maison Bagration. Il s’exécute de bonne grâce mais refuse de recevoir l’enfant, qui est confiée à la famille du comte de Metternich, laquelle s’occupera de son éducation jusqu’à son mariage.

Pour l’anecdote, Metternich s’est marié trois fois : lors de sa rencontre avec la comtesse Bagration il est marié depuis quatorze ans à Marie Eleonore von Kaunitz Rietberg qui lui donnera huit enfants ; à sa mort en 1825 il se remarie avec Marie Antoinette de Leykam qui mourra en donnant naissance à leur fils Richard ; enfin en 1831 Metternich épouse Melanie de Zichy Ferraris qui lui donnera cinq enfants. Marie Clémentine est élevée avec les filles de son premier mariage.

La naissance de cette enfant illégitime est une rude épreuve pour le comte Bagration, qui commence à comprendre que sa femme non seulement ne l’aime pas, mais ne reviendra probablement jamais vivre à ses côtés en Russie. L’un de ses biographes rapporte une anecdote à propos du prince ; un soir, à la veille d’une bataille, il livre ses pensées intimes à son aide de camp, il lui demande :
- Mon vieux Paul, tu es marié, es-tu heureux ?
- Oui, Altesse.
- Moi aussi, je suis marié, et je ne le suis pas : ma femme n’est bonne à rien. Depuis de nombreuses années, elle habite Vienne où elle passe son temps à s’amuser avec les ministres autrichiens, pendant que je risque ma vie en combattant contre Bonaparte et son demi fou de beaupère. J’ai bientôt trente ans de service, dont vingt-trois années de guerre. Nos femmes à nous, militaires, ce sont nos fusils.

Quand les combats lui laissent quelque répit, Bagration vient prendre du repos dans le domaine de Sima, qui appartient à son parent le prince Boris Galitzine. Il est devenu une légende, les russes l’admirent et ses soldats le vénèrent, seule sa femme le méprise et l’ignore.

A Vienne, la liaison d’Ekaterina avec le prince Metternich se poursuit ; la jeune femme a fait de son salon le temple des opposants aux français et à l’empereur Napoléon : elle est à l’origine de la coalition anti-napoléonienne et du boycott de la haute société viennoise à l’encontre de l’ambassadeur de France à Vienne. Elle est profondément anti-française et considère Napoléon comme un ennemi. Or, l’armée française a envahi la Russie le 30 juin 1812.

Napoléon déclare alors : « A l’exception de Bagration, la Russie n’a pas de bons généraux ». Lorsque les français sont aux portes de Moscou, l’époux d’Ekaterina est à la tête des troupes russes à la bataille de Borodino, le 26 août 1812, où un éclat d’obus lui brise le tibia. Il essaie de cacher sa blessure pour ne pas décourager ses troupes. On l’emporte hors du champ de bataille « ses vêtements et son linge couverts de sang, son uniforme déboutonné, une de ses bottes enlevée, sa tête ensanglantée, une large plaie sanguinolente au-dessus de son genou ».

Ses soldats le croient mort, mais il n’est que grièvement blessé. Il est transporté à Sima, dans la propriété des Galitzine, où le médecin lui donne de l’opium pour calmer ses douleurs. Revenu à lui, Bagration demande des nouvelles de la ville de Moscou : a-t-elle été prise par les français ? Personne ne veut lui dire la vérité : l’armée russe s’est en effet repliée le 7 septembre, abandonnant la capitale qui va tomber aux mains des ennemis le 14 du même mois.

Le 8 septembre, se sentant un peu mieux, il dicte une lettre  de remerciements au tsar qui vient de lui accorder 50 000 roubles de rentes annuelles. Il insiste pour qu’elle soit portée sur le champ à l’empereur Alexandre à Moscou, au palais du Kremlin, et c’est alors que l’aide de camp chargé de le faire lui répond que Moscou est aux mains des français. A cette nouvelle, Bagration s’effondre. On le porte sur son lit avec une forte fièvre et le 12 septembre, après une longue agonie, il rend son âme à Dieu à l’âge de quarante-sept ans.

Il est inhumé à Sima, où il résidait, mais dix-huit ans plus tard, en 1830, l’empereur Nicolas 1er va édifier un monument sur le champ de bataille de Borodino, et y fera transporter le cercueil de Bagration qui y repose désormais (la tombe a été détruite pendant les combats de la Seconde Guerre Mondiale, mais reconstruite). Avant de mourir, cet homme qui a toujours adoré sa femme infidèle et volage, commande un portrait d’elle au peintre Volkov.

La nouvelle de la mort de son époux atteint Ekaterina à Vienne, et renforce ses sentiments anti-français. En 1815, lorsque Napoléon est vaincu à Waterloo, la princesse Bagration occupe une place prépondérante lors du Congrès de Vienne. Auguste de la Garde de Chambonas écrit alors : « Le salon de la princesse Bagration était le salon russe par excellence ; cette dame faisait en quelque sorte les honneurs de Vienne à ses compatriotes. Elle était un des astres les plus brillants dans cette foule de constellations que le Congrès avait réunies. Par son charme et la distinction de ses manières, elle semblait avoir été chargée de transporter là les formes polies et cette aisance aristocratique qui faisaient alors des salons de Pétersbourg les premiers de
l’Europe. Sous ce rapport jamais ministre plénipotentiaire ne sut mieux tirer parti de ses instructions ».

Elle donne un grand bal en l’honneur de la venue du tsar Alexandre 1er à Vienne le 30 septembre 1814 ; ils se connaissent de longue date puisqu’elle a été la demoiselle d’honneur de la tsarine, sa mère. Elle recevra aussi la visite de Talleyrand, qu’elle trouve « peu intéressant dans la conversation, peu causant et presque insipide ». Le tsar Alexandre lui accorde son amitié, et elle lui envoie plus tard des lettres diplomatiques, où elle le renseigne sur les courants politiques qui se tiennent à Vienne et dans les autres cours d’Europe. En mars 1815, elle confie à une relation qu’elle a trois adorateurs dont deux veulent l’épouser : il s’agit du prince royal de Wurtemberg, du prince régnant de Cobourg, et de lord Stewart, l’ambassadeur d’Angleterre.

Lorsque Napoléon est envoyé en exil à Sainte Hélène, Ekaterina prend la décision de quitter Vienne pour venir s’installer à Paris. Il semble aussi qu’elle se soit vite lassée des infidélités de son amant Metternich, qui est d’ailleurs un homme marié. En effet celui-ci a pris une nouvelle maîtresse, Wilhelmine de Sagan, duchesse de Sagan, aux moeurs tout aussi libres qu’Ekaterina, et délaisse petit à petit la princesse Bagration. A Paris où elle s’installe, elle loue une grande maison au 45 rue du Faubourg Saint Honoré, résidence que la police secrète de Louis XVIII mettra en filature. Elle y ouvre un salon où de nombreuses célébrités se rencontrent : Stendhal, Benjamin Constant, le marquis de Custine…

Elle entretient aussi une liaison sérieuse avec le comte  Stanislas Potocki. Honoré de Balzac est l’un des fidèles des salons d’Ekaterina. Il confiera plus tard qu’une de ses héroïnes, Feodora dans son roman « La peau de chagrin », lui a été inspirée par la princesse Bagration. En 1828 elle marie sa fille naturelle Marie Clémentine (née de sa liaison avec Metternich) au prince Otto von Blome. Enceinte, cette dernière vient mettre au monde un fils, Otto Paul, à Paris le 25 mai 1829, et meurt le lendemain des suites de l’accouchement à l’âge de dix-neuf ans.

C’est un rude coup pour la princesse Bagration qui se retrouve seule à Paris : elle qui n’est que locataire décide d’acheter pour 366 000 Francs l’immeuble où elle réside « y compris les poêles, glaces, tentures, boiseries, dorures, stucs, marbres, sculpture et autre agencements » le 4 octobre 1830. A l’âge de quarante-sept ans, peut-être minée par la solitude, elle décide de se remarier. Elle rencontre dans son salon un attaché de l’ambassade britannique à Paris, le baron John Hobart Caradoc deuxième du nom. Il a trenteet- un ans et est promis à un brillant avenir politique. Ils se marient en octobre 1834. Ses contemporains le décrivent comme « l’un des plus bels hommes d’Europe et l’un des plus élégants ».

Par son contrat de mariage, Ekaterina procède à une séparation des biens, mais elle fait donation à son deuxième mari, si elle devait mourir avant lui, de toutes ses possessions en France ou en Angleterre : meubles, immeubles, bijoux, titres… Cependant, dans ce contrat il est stipulé qu’elle ne prendra pas le nom de son mari, mais conservera le nom et les titres honorifiques de sa haute noblesse, conformément aux lois et usages anglais. Évidemment aucun enfant ne nait de ce mariage, l’épouse étant trop âgée. Le mari d’Ekaterina est nommé officier de liaison entre l’Angleterre et Bruxelles. Il semble que, devenue lady Caradoc, elle refuse de quitter Paris. Au fil des mois le couple se disloque, et les époux se séparent dans le courant de l’année 1848.

En 1849 on retrouve Ekaterina en visite à Londres pour la première fois. Elle provoque l’hilarité des britanniques lorsqu’elle arrive sur invitation revêtue de ses fameuses robes de mousseline qui, au temps de sa jeunesse, avaient pu révéler ses formes magnifiques, mais soulignent maintenant le corps empâté d’une quinquagénaire. Quelqu’un la décrit comme « jaunie et vieillie ».

Elle continue ses voyages en Europe, et vend au fil des années les derniers bijoux qui lui viennent de son héritage Potemkine, et notamment le fameux diamant « le Potemkine » qui sera acheté plus tard par l’empereur Napoléon III, lequel l’offrira à son épouse Eugénie. En juin 1857, la princesse Ekaterina se trouve à Venise, en Italie, où elle ressent une grande fatigue qui l’oblige à s’aliter. Cela fait plusieurs mois que ses jambes la font souffrir, et elle a de terribles maux de tête.

Le 2 juin 1857 elle est retrouvée morte dans son lit : elle avait soixante-quatorze ans. On l’enterre dans le cimetière de San Michele de Venise. Son vieil amant, Metternich, meurt deux ans plus tard en 1859. Quant à son mari, devenu lord Howden à la mort de son père, il est général et ambassadeur à Madrid : il recueille, conformément aux clauses de son contrat de mariage, tous les biens de sa femme en France et en Angleterre. Il meurt sans s’être jamais remarié en 1873 dans son château de Caradoc, à Bayonne.

En Russie, le nom de Bagration est toujours vénéré grâce au mari d’Ekaterina, et un astéroïde porte même son nom ; et c’est grâce à son mari qu’on se souvient un peu d’Ekaterina…

Lafouine77

Descendants d'Ekaterina Skavronskaya :
Ekaterina Skavronskaya, née le 7 février 1783, décédée le 2 juin 1857, Venezia (à l’âge de 74 ans). Mariée le 2 septembre 1800, Gatchina, avec Pyotr Bagratid, né en 1764, décédé le 12 septembre 1812, bataille de Borodino (à l’âge de 48 ans)...
Mariée en octobre 1834, Paris, avec John Hobart Caradoc, baron Howden (2e, 1839), né le 16 octobre 1799, Dublin (Ireland), baptisé, St. Peter's Church (Dublin), décédé le 8 octobre 1873, Casa Caradoc, Bayonne (à l’âge de 73 ans), colonel britannique, écuyer de la duchesse de Kent, member of Parliament for Dundalk 1830-31, ministre plénipotentiaire à Madrid 1850-58
Relation avec Clemens Wenzel, Fürst von Metternich-Winneburg (2e), Duque de Portella (1er août 1818), né le 15 mai 1773, Koblenz, décédé le 11 juin 1859, Wien (à l’âge de 86 ans)... dont
   • Marie-Clementine Bagration, née le 10 novembre 1803, Wien, décédée le 26 mai 1829, Paris (à l’âge de 25 ans).
Mariée le 1er mai 1828 avec Otto Blome, né le 1er octobre 1795, Salzau, décédé le 1er juin 1884, Salzau (à l’âge de 88 ans)... dont
     • Otto, Graf von Blome, né le 18 mai 1829, Hannover, décédé le 24 août 1906, Kissingen (à l’âge de 77 ans). Marié le 1er septembre 1858 avec Joséphine, Gräfin von Buol-Schauenstein, née le 10 octobre 1835, Karlsruhe, décédée le 21 mai 1916, Salzburg (à l’âge de 80 ans)... dont
         • Maria Klementine, née le 23 juin 1860, décédée.
        • Johannes Hubert Xaver, né le 23 février 1867, Wien (Österreich), décédé le 19 juillet 1945, Bra?ov, Transilvania (România) (à l’âge de 78 ans). Marié le 18 novembre 1901, Paris VIIIe, avec Martha Stirbey, née le 23 avril 1877, Paris, décédée le 2 septembre 1925 (à l’âge de 48 ans)
        • Anne, Gräfin Blome, née le 11 février 1871, Genève (Suisse), décédée le 9 janvier 1960, Salzburg (Autriche) (à l’âge de 88 ans). Mariée le 21 novembre 1896, Wien, avec Franz von und zu Eltz genannt Faust von Stromberg, né le 25 juillet 1868, Linz (Autriche), décédé le 26 juin 1921, Marienbad (à l’âge de 52 ans), capitaine au 2ème régiment de dragons. Mariée avec Karl von Ebelsberg

 

Sources :
Wikipédia
Revue des deux mondes, « M et Mme Bagration »
1965


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