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Portrait de Vivian Stephens

17/10/2020

Le magazine Texas Monthly a publié en septembre un portrait très intéressant de Vivian Stephens, à qui on vient de demander de prêter son nom aux Vivian Awards, qui remplacent les Rita Awards suite aux accusations de racisme des années passées.

L’auteure de ce long article rappelle que Vivian Stephens a été l’une des fondatrices des Romance Writers of America en 1980, et que les problèmes de racisme ne sont pas une nouveauté dans le monde des auteures de romance. En 2014 une étude a montré que les auteures de couleur gagnaient 60% de moins que les auteures blanches. En 2019 la librairie spécialisée dans la romance Ripped bodice a calculé que seuls 8% des éditeurs de romance avaient publié des livres d’auteures de couleur. Et bien sûr les membres des RWA sont à 86% blanches.

Un problème qu’on retrouve dans le monde de l’édition en général, même si cet été deux femmes de couleur, Dana Canedy and Lisa Lucas, ont été nommées à la tête des grandes maisons d’édition Simon & Schuster et Pantheon Books.

En 1980, Vivian Stephens est éditrice en chef des collections Dell Candlelight et Candlelight Ecstasy. Elle se souvient : « C’était une division dont aucun éditeur n’avait envie de s’occuper. Personne ne m’a rien expliqué, parce que personne ne savait rien et que tout le monde s’en fichait. » Mais elle a dans
l’idée que la vie quotidienne des américaines ne cadre plus avec les héroïnes démunies d’Harlequin, des servantes anglaises et des ingénues écossaises. En interrogeant des lectrices elle se rend compte qu’elles n’achètent pas la collection Candlelight parce qu’elle est trop soft, les héroïnes trop nunuches.

Elle se met alors à la recherche d’auteures capables de créer des héroïnes plus intéressantes. Kathleen E Woodiwiss a déjà prouvé avec The flame and the flower qu’il existe une demande pour des romances plus hot, mais Vivian veut des héroïnes proches de  ce qu’elle vit elle-même. Le premier roman de ce genre qu’elle publie, Morning rose, evening savage d’Amii Lorin, est un énorme succès. Le premier publié dans la nouvelle collection qu’elle vient de créer, Candlelight Ecstasy, est Gentle pirate de Jayne Castle, et il est également plébiscité par les lectrices. La première édition s’écoule en quelques semaines seulement, et ce titre est considéré comme le précurseur de la romance moderne.

Vivian Stephens commence alors à publier des auteurs de couleur, dont les livres sont qualifiés de « romance ethnique » et vendus dans des rayons séparés. Entwined destinies d’Elsie B. Washington est le premier roman à paraitre, et l’édition initiale se vend à 40 000 exemplaires.

Vivian raconte : « Je disais à mes auteurs exactement ce que je voulais. L’héroïne devait avoir un certain âge, un certain métier. Elle devait être en route vers le succès. Le héros n’était que la cerise sur le gâteau, parce que même sans lui elle aurait eu une vie épanouissante.

Si elle voulait des fleurs, elle pouvait s’en acheter. Elle n’avait pas à attendre après un type. » Fin 1982, Candlelight ecstasy a vendu 30 millions de livres.
Alors que Vivian gravit les marches du succès, une autre texane, Rita Clay, devient auteur de romance. A la recherche d’un groupe d’auteurs pour la soutenir dans la construction de sa carrière, elle se rend compte que ceux qui existent sont dirigés par des hommes et pour les hommes. En 1979 elle rencontre Vivian, venue animer un atelier pour des auteurs de romance en herbe. Dans les années qui suivent, cette dernière continue à conseiller leur groupe, leur donne des contacts dans le monde de l’édition et les encourage à se professionnaliser en créant une association. « Ce dont vous avez besoin, c’est de votre propre conférence » dit-elle à Rita Clay, qui saute sur l’idée tandis que Vivian fait venir des intervenants et trouve des sponsors à New York.

C’est ainsi que naissent les Romance Writers of America en 1980. Huit cents femmes assistent à la première conférence à Houston. Rita Clay a décidé d’ouvrir l’organisation à toutes, c’est-à-dire pas seulement aux auteures publiées, mais aussi aux aspirantes. Les RWA ressemblent plus à un club qu’à une organisation professionnelle. Les auteures de couleur, qui ont plutôt besoin de faire décoller leur carrière que de se faire des amies désertent rapidement l’association.

Les dissentions entre Vivian et Rita au cours des années qui suivent viennent peut-être du fait qu’elles ont toutes deux de fortes personnalités. Il y a une dispute au sujet d’un cocktail très coûteux organisé sur le Queen Mary à la conférence de 1983. Mais la rupture est sans doute venue de leurs visions différentes : en incluant des auteures non professionnelles les RWA sont devenus une sorte de club d’étudiantes, où les pestes font la loi. Ce qui laisse peu de place à l’amélioration de la qualité des romans, alors que c’est la priorité de Vivian Stephens. « Je leur demandais : pourquoi ne pouvez-vous être sérieuses ? Je réalise maintenant qu’elles avaient plutôt envie de camaraderie mutuelle que d’écrire. Elles étaient tellement heureuses de trouver des copines que j’ai laissé tomber. »

Vivian s’investit ailleurs. En 1983 elle est débauchée de chez Dell par Harlequin, qui lui demande de créer une collection américaine. Elle aurait préféré rester chez Dell mais ses patrons refusent de lui accorder l’augmentation de 5000$ que lui propose Harlequin. Elle dit à ce sujet : « Je trouve intéressant qu’ils pensent que parce que vous êtes une femme, vous êtes censée vous contenter de ce qu’on vous donne. »

Après son départ de chez Dell, l’éditeur embrasse le mythe assez répandu selon lequel les noirs ne lisent pas. A cette époque, il est en effet courant que les éditeurs encouragent leurs auteurs noirs à changer leurs personnages pour en faire des blancs. Et puis en 1984 Harlequin rachète son principal concurrent, la collection Silhouette qui appartenait à Simon & Schuster, et Vivian Stephens est virée à cette occasion. Quand l’éditeur refuse de payer ce qu’il lui doit elle menace de le poursuivre en justice, ce qui lui vaut une réputation de fauteuse de trouble.

Elle se souvient : « Quand Harlequin m’a licenciée, personne ne m’a contactée. » Lui apporter son soutien aurait été comme se liguer contre un puissant éditeur, ce que la plupart des auteures n’étaient pas prêtes à faire. Malheureusement sans son influence, les auteurs de couleur trouvent de moins en moins de portes ouvertes chez les éditeurs. Vivian gagne ensuite sa vie en tant qu’éditrice freelance d’auteurs de couleur, mais sans le soutien d’un grand éditeur ni les revenus qui vont avec, elle se lasse peu à peu de ce combat. Elle rentre à Houston, dont elle est originaire, en 2002.

Vivian Stephens a quelques regrets de longue date concernant la romance. Elle déplore que le genre n’ait pas encore produit de la grande littérature : « Jane Austen, elle est morte depuis deux cents ans. » Et elle est également frustrée que les RWA se concentrent sur des chamailleries internes plutôt que de pousser le monde de l’édition à se montrer plus inclusif. Elle a proposé de les conseiller sur le sujet, mais personne n’a pris son offre au sérieux.

https://www.texasmonthly.com/the-culture/vivian-stephens-helped-turn-romance-writing-into-billion-dollar-industry/


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