Le site francophone dédié au roman féminin

Gloriande de Lauzières - Scandaleuse

17/10/2020

Dame de Séverac (1602-1635)

Année du scandale : 1635.
Epoque : Règne de Louis XIII.
Objet du scandale : Gloriande de Lauzières, épouse adultère de Louis d’Arpajon, est assassinée par ce dernier, en toute impunité, un jour d’avril 1635. La justice n’aura pas connaissance de ce crime et seul son fils, Jean Louis d’Arpajon, entrera en conflit avec son père afin de venger la mort de sa mère.

 

Gloriande de Lauzières est née à Cahors (Lot) dans le courant de l’année 1602. Elle est la fille aînée de Pons de Lauzières, marquis de Thémines et maréchal de France, et de son épouse Catherine d’Hébrard de Saint Sulpice. Sa famille est l’une des plus riches du Quercy. Son père a été nommé gouverneur du Quercy par Henri IV, et a empêché les ligueurs de s’établir dans le Rouergue et le Haut Languedoc. Sous la régence de Marie de Médicis, il  a reçu le bâton de maréchal de France le 1er septembre 1616.

Il a eu de son épouse deux fils (Antoine et Charles) et deux filles (Gloriande et Claudine) et entend bien marier ces dernières à des fils de barons du Rouergue ou du Quercy, et non à un de ces nobliaux de cour qu’il croise au Louvre lorsqu’il se rend à Paris. Or il a sous son commandement un jeune seigneur issu d’une des plus anciennes familles du Rouergue, Louis d’Arpajon, dont le père Jean d’Arpajon, baron de Séverac, a été nommé gouverneur du Rouergue par Henri IV en 1592.

Les deux provinces (Rouergue et Quercy) sont limitrophes, et leurs gouverneurs qui se connaissent bien (ils sont tous deux d’anciens compagnons du roi Henri IV) conviennent que le jeune Louis épousera Gloriande lorsque celle-ci sera en âge d’être mariée. C’est ainsi qu’à deux ans Gloriande de Lauzières, mademoiselle de Thémines, est fiancée à Louis d’Arpajon qui en a quatorze.

Le marquis de Thémines projette de célébrer le mariage en 1622, lorsque Gloriande aura vingt ans. Malheureusement pour elle sa mère, Catherine d’Hébrard de Saint Sulpice, n’assistera pas à la cérémonie puisqu’elle meurt quelques mois auparavant, au cours de l’hiver 1621. Âgée d’une cinquantaine d’années, la pauvre femme a vu dans le courant de l’année mourir ses trois autres enfants : son fils aîné, Antoine de Lauzières, a été tué au siège de Montauban en septembre 1621, le cadet, Charles de Lauzières, est mort en décembre 1621 à Monheurt, et sa dernière fille, Claudine de Lauzières, est morte à Toulouse en accouchant de son deuxième enfant, issu de son mariage avec Jean de Gontaut, baron de Cabrerès.

Ainsi en ce début d’année 1622 Gloriande n’a plus que son père comme proche parent. Ce dernier lui donne une dot exceptionnelle de 120 000 livres pour son mariage avec Louis d’Arpajon, et elle reçoit une part de l’héritage de sa mère.

Le 1er février 1622, au palais épiscopal de Cahors, est célébré avec faste le mariage de Gloriande de Lauzières et Louis d’Arpajon, fils du baron de Séverac. Il est convenu que les jeunes époux iront ensuite séjourner au château de Séverac (Aveyron) où Gloriande doit faire connaissance avec sa belle-mère, Jacquette de Castelnau Caylus. Tout porte à penser que le couple s’entend bien, et que les deux jeunes gens ont appris à se connaître au fil des années de leurs fiançailles. Louis d’Arpajon, bien qu’ayant une dizaine d’années de plus que son épouse, est semble-t-il sincèrement épris d’elle.

Quelque mois après le mariage la jeune femme tombe enceinte. Elle va donner régulièrement des enfants à son époux : d’abord un fils, Pons d’Arpajon (né en 1623 mais qui mourra la même année), suivi de Jeanne Louise d’Arpajon (en 1624), Jacquette Hippolyte d’Arpajon (en 1625), Gloriande d’Arpajon (en 1626) et enfin Jean Louis d’Arpajon (en 1632). Toutes ces naissances ont lieu à Rodez, en Aveyron, où le couple a un hôtel particulier.

Entre les accouchements Louis d’Arpajon, qui a été nommé maréchal de camp en mai 1626, n’hésite pas à emmener sa jeune épouse avec lui à Paris, lorsque les circonstances le permettent. Là, elle participe aux bals du Louvre, où le roi Louis XIII et son épouse Anne d’Autriche entretiennent une vie de cour faite de distractions qui réunissent les nombreux seigneurs et dames du royaume. Lorsqu’elle n’est pas à Paris, ou à Rodez, Gloriande de Lauzières, dame d’Arpajon, séjourne dans son château de Séverac.

En 1627 elle a la douleur de perdre son père, Pons de Lauzières, qui a quitté la région du Quercy car nommé par le roi Louis XIII au poste de gouverneur de Bretagne en 1626. Il meurt à Auray, dans le Morbihan, loin de sa fille, sa dernière famille, à l’âge de soixante-treize ans.

La famille de Gloriande a été particulièrement proche du roi, qui a permis son élévation sur le plan militaire : son mari va lui aussi gravir les échelons très rapidement. Louis d’Arpajon est un soldat dans l’âme, et tout acquis au roi et à Richelieu. En 1633 il sera nommé chevalier des ordres du roi à la promotion du 14 mai, et en septembre conseiller d’état. Or, cette année-là Gloriande ne suit pas son mari à Paris, et reste au château de Séverac.

Depuis son mariage, et en accord avec son époux, elle a entrepris d’embellir le château. Cette sévère forteresse médiévale avait bien besoin de connaître le rayonnement des châteaux de la Renaissance. C’est auprès d’une femme de la famille de son mari que Gloriande va recueillir des conseils avisés : non pas sa belle-mère, Jacquette de Castelnau Caylus, mais la belle-mère de celle-ci, Françoise de Montal (veuve de Charles d’Arpajon) et donc grand-mère de Louis.

Françoise de Montal a été dame d’honneur de la reine Catherine de Médicis et a connu le Louvre et les châteaux de la Loire dans sa jeunesse. Lorsqu’elle a épousé le baron Charles d’Arpajon en 1573 (au Louvre en présence du roi Charles IX), elle a la première mis la main au projet d’aérer la vieille forteresse de son mari. Ce dernier lui a laissé carte-blanche, d’autant qu’elle avait été richement dotée. Françoise de Montal a vécu au château de Séverac jusqu’en 1622, date du mariage de son petit-fils Louis avec Gloriande, et en a été la vraie châtelaine au détriment de sa bru, Jacquette de Castelnau Caylus.

En effet, lorsque son fils a épousé (contre son gré) la jeune fille en 1589, Françoise a continué à régner sur le château en dépit de la venue de cette dernière, qu’elle détestait et qui très vite le lui a bien rendu. Cette mainmise de Françoise de Montal a été consolidée légalement par le testament de son époux, qui lui a laissé les droits sur le château au moment de sa mort en 1579. Et Jacquette se voit encore dépossédée du titre de châtelaine de Séverac par l’épouse de son fils, Gloriande de Lauzières, qui en 1622 relève le titre au départ de Françoise de Montal, laquelle a gracieusement cédé sa place à la femme de son petit-fils pour se retirer en son château de Castelnau.

Ainsi, Gloriande arrive dans un château où la propre mère de son mari n’a jamais pu tenir aucun rôle décisif. Dès le début de son union, la jeune femme se trouve confrontée à la jalousie et la haine de sa belle-mère, qui est reléguée dans une autre pièce et doit subir les transformations d’un château sur lequel elle n’a jamais pu mettre son empreinte. Au moment où Gloriande en franchit le portail, toute jeune mariée, le lien de sympathie se fait donc avec Françoise de Montal, et non avec Jacquette de Castelnau Caylus.

Françoise de Montal aura le temps d’apprendre la naissance de son arrière-petit-fils, Jean Louis d’Arpajon, en juillet 1632, avant de mourir en décembre de la même année. Elle aide Gloriande à aménager la vieille forteresse, et notamment l’imposant logis dont la façade mesure quatre-vingt-cinq mètres, et qui comprend trois étages et deux sous-sols, ainsi qu’une cuisine avec un âtre impressionnant pour contribuer aux dîners et aux fêtes que donne Louis d’Arpajon en conviant toute la noblesse du voisinage.

Cette transformation du château, qui a débuté en 1607, va se poursuivre pendant quarante-trois ans. C’est tout d’abord un architecte florentin, Sebastiano Gargioli, qui restaure l’aile sud, puis un poitevin, Pierre Didry, qui est le créateur du grand escalier monumental et de la tour carrée de sept étages. En cette année 1633, le château est toujours en chantier et Gloriande a préféré demeurer à Séverac. C’est au printemps que le drame va se nouer : Louis d’Arpajon est parti à Paris pour recevoir sa promotion de chevalier des ordres du roi. Le dernier accouchement de Gloriande l’a laissée épuisée, quelques mois auparavant, et il a consenti à ce qu’elle reste au château.

On ne sait trop pourquoi Gloriande en vient à se laisser conter fleurette par un jeune seigneur du voisinage à ce moment-là. Son dernier accouchement l’a peut-être rendue dépressive, et à l’âge de trente ans elle a envie de se sentir désirable. Or, elle est encore jeune et belle, et sa beauté a attiré au château pendant les premières années de son mariage les barons du voisinage, charmés de rencontrer la dame de Séverac, et de répondre à l’invitation de Louis d’Arpajon, qui sait recevoir avec faste et dont les banquets sont dignes d’un prince.

L’un de ces seigneurs a commencé à adresser des vers, en secret, à la jeune châtelaine. Gloriande de Lauzières est toujours en proie à la sourde rancoeur de sa bellemère, éternelle présence hostile au château, qui lui rend la vie impossible dès que son époux n’est plus présent. Charmée, elle a lu les poésies enflammées du jeune seigneur, et un soir elle s’abandonne entre les bras de son séducteur, un nommé Jean de Lauziac.

Le couple est discret, mais dans un château tout se sait et se voit, et Gloriande est trahie par une de ses dames de compagnie, Catherine Levesque, femme du viguier Barthélemy Levesque. Cette dernière, qui est l’une des fidèles de Jacquette de Castelnau Caylus, lui fait part de ses soupçons : Gloriande a un amant ! Les deux femmes épient discrètement la dame de Séverac, et accumulent les indices et les preuves de son infidélité.

Au retour de son époux, dès le printemps 1634, Gloriande sent une froideur inaccoutumée de la part de celui-ci, qui entre-temps a été informé par écrit par sa mère de l’infidélité de sa femme. Louis d’Arpajon est jaloux de tempérament, mais jusqu’ici rien n’a pu ébranler la foi qu’il a en sa jeune épouse. Il l’adore, et l’a souvent soutenue contre sa mère lorsque celle-ci dépassait les bornes. Cette fois-ci, alors qu’il revient auréolé de gloire de Paris, sa mère lui demande un entretien particulier, lui fournit des preuves et produit le témoignage de la dame de compagnie de Gloriande.

Louis connait bien le viguier de Séverac, Barthélemy Levesque, qu’il estime profondément, et lorsque son épouse relate ce qu’elle avait vu (les petits mots de poésie, les rencontres furtives le soir entre les deux amants), il se sent trahi et envahi d’une immense colère froide qui se transforme en dédain. Il décide de patienter et d’attendre son heure.

Au cours de l’hiver 1634, Jean de Lauziac est retrouvé égorgé sur la route menant de Séverac à Rodez. On conclut à une attaque de brigands, ces derniers ayant dévalisé et détroussé le jeune homme. Gloriande de Lauzières ne fait aucun commentaire lorsqu’elle apprend la mort de son amant, mais commence à se méfier : son époux est-il au courant ? Comme pour apaiser ses craintes, ce dernier lui confie qu’au printemps suivant ils partiront tous deux en pèlerinage à l’église de Ceignac (où sont enterrés les seigneurs de Séverac) afin de faire des dévotions dans la chapelle de ses ancêtres. Ce voyage n’a rien d’inhabituel et Gloriande accepte avec plaisir.

En avril 1635 plusieurs litières, dont une transportant Gloriande, quittent Séverac et s’en vont sur le chemin de Montrozier en direction de Ceignac. Louis d’Arpajon suit à cheval avec quelques hommes d’arme, les chemins n’étant pas sûrs et une troupe permettant toujours d’arriver à bon port. Gloriande de
Lauzières a pris place avec sa dame de compagnie, Catherine Levesque, dans la première litière.

Elle comprend que quelque chose d’anormal se passe lorsque la litière fait halte, et reprend le chemin de Palanges tout en s’enfonçant au milieu des bois. Inquiète,  elle demande à sa dame de compagnie pourquoi l’on a changé de route. Celle-ci répond que ce nouveau trajet correspond à un souhait de Louis d’Arpajon. A cet instant, la jeune femme prend peur : la litière s’arrête brusquement et les rideaux sont ouverts.

Gloriande se retrouve face à un homme qui est le barbier de son mari, un dénommé Brunet, qui lui demande sèchement de descendre. Elle refuse, le barbier se saisit de son poignet et la force à quitter la litière. Bousculée, la jeune femme tombe rudement sur les pierres du chemin : en se relevant elle croise le regard de son mari dont le cheval vient de surgir dans la clairière, suivi d’une troupe qui sont ses hommes d’arme.

Ce regard est glacial. Lorsque Gloriande, en faisant quelques pas vers lui, lui demande ce qu’il se passe et la raison de cette halte imprévue, Louis d’Arpajon lui répond d’un ton sec qu’il connait la vérité sur son infidélité, qu’elle a souillé le nom des d’Arpajon, qu’il vient pour laver son honneur et que seule la mort de son épouse pourra racheter ce crime.

Sans entendre les cris de protestation de Gloriande, qui les supplie de lui laisser la vie sauve, les hommes d’arme du baron la saisissent par les bras et les jambes et la clouent au sol ; ils dégagent ses poignets et ses chevilles et le barbier lui ouvre promptement les veines d’un coup de rasoir. La jeune femme se débat de toutes ses forces, mais elle est maintenue au sol par quatre hommes alors que la terre se gorge de son sang sous le regard impassible du baron, qui n’a pas mis pied à terre. Malgré les cris et les pleurs de Gloriande, personne ne vient à son secours.

Lorsque le barbier juge que suffisamment de sang s’est répandu, il bande sommairement les plaies de la jeune femme exsangue, qui est remise dans sa litière, évanouie, et ramenée à petits pas vers le château de Séverac qu’elle vient de quitter quelques heures plus tôt. Le temps d’arriver au château, Gloriande de Lauzières, dame de Séverac, a rendu son âme à dieu.

Devant les serviteurs affolés d’un malheur si soudain, Louis d’Arpajon explique que son épouse a été prise d’un malaise sur le chemin, qu’elle a perdu connaissance, et qu’il a préféré revenir au château de toute urgence. La belle-mère de Gloriande fait préparer la veillée funèbre de la jeune femme, qui est enterrée le lendemain. On est le 8 avril 1635, Gloriande de Lauzières n’avait que trente-trois ans.

Dans les mois qui suivent, le viguier Barthélémy Levesque ainsi que le barbier sont comblés de bienfaits par le baron de Séverac. Puis Louis d’Arpajon reprend le chemin de Paris et continue sa brillante carrière militaire : en 1638 il est fait gouverneur de Nancy ; en 1641 lieutenant général des armées du roi Louis XIV.

En 1647 Cyrano de Bergerac, de passage au château de Séverac pour assister à l’une des fêtes que donne Louis d’Arpajon, entrevoit l’une des filles  de Gloriande, la jeune et jolie Jacquette Hippolyte d’Arpajon : poète à ses heures, il lui adresse ces vers dédiés « à Mademoiselle de Séverac » :
Le vol est trop hardi que mon coeur se propose
il veut peindre un soleil par les dieux abîmé
un visage qu’Amour de ses mains a formé
où des fleurs du printemps la jeunesse est éclose.
Une bouche ou respire une haleine de rose
entre deux arcs flambants d’un corail allumé
un balustre de dents, en perles transformé
au devant d’un palais ou la langue repose.
Un front ou la pudeur tient son chaste séjour
dont la table polie est le trône du jour
un chef d’oeuvre où s’est peint l’Orient admirable.
Superbe, tu prétends par dessus ses efforts !
L’éclat de ce visage est l’éclat adorable
de son âme qui luit au travers de son corps.

L’idylle n’a pas de suite, la jeune fille n’ayant pas encouragé les tentatives du galant homme, et quelques mois plus tard elle entre au couvent. En 1647, Louis d’Arpajon est envoyé par Mazarin en Pologne comme ambassadeur extraordinaire, et en 1650 le roi Louis XIV le fait duc d’Arpajon et pair du royaume. En 1653, il est ministre d’état.

En 1655 Madeleine de Scudéry trace ce portrait du duc d’Arpajon :
« Il a de l’esprit, de l’étude, de la capacité et de l’expérience. Il est bon soldat et grand capitaine ; il sait tenir ses troupes dans une exacte discipline, et il sait admirablement l’art de se faire craindre et aimer de ses soldats en particulier et de ses sujets en général. Il a de plus tout à fait le procédé d’un homme de sa naissance ; car il est doux, civil et obligeant, principalement pour les dames. Il entend et parle avec facilité plusieurs langues ; il aime les lettres et toutes les belles choses ; il est magnifique et libéral, et a le coeur sensiblement touché de la belle gloire. Il prend tous les plaisirs des honnêtes gens, et il conserve un certain air galant qui fait voir à ceux qui s’y connaissent qu’il a eu le coeur très sensible à l’amour. »

En 1654, il semble que Louis d’Arpajon ait soulagé sa conscience auprès d’un prélat qui lui aurait vivement conseillé, pour l’absolution de son péché, de faire en pénitence le voyage à Notre Dame de Lorette. Le duc d’Arpajon part en pèlerinage et, en revenant à Séverac, fait construire les chapelles de Saint Joseph, de Saint Louis et du Saint Sépulcre.

En 1657 il est nommé sénéchal du Gévaudan. C’est cette même année qu’il décide de se remarier : il épouse en février 1657 une riche héritière, Marie Elisabeth de Simiane, âgée d’une trentaine d’années alors qu’il en a soixante-sept ! Dans les semaines qui suivent, la duchesse d’Arpajon apprend à son époux qu’il va être père : très amoureux, et enchanté de la nouvelle, il décide de l’emmener avec lui à Pézenas, où il doit tenir les Etats de la province du Languedoc.

Hélas, malgré toutes les précautions prises, le voyage est éprouvant pour la jeune femme qui est au stade d’une grossesse avancée. Elle doit s’aliter en arrivant à Pézenas, et quelques heures plus tard elle ressent les premières douleurs de l’enfantement : elle accouche d’un fils mort-né le 9 novembre 1657. Prise de vertiges, se sentant malade et affaiblie, elle veut dicter son testament (où elle lègue tous ses biens à son frère, mais en laisse l’usufruit à son mari), puis décède le lendemain, victime d’une hémorragie qui lui est fatale.

Ce deuxième mariage n’a donc pas offert l’héritier souhaité à Louis d’Arpajon. A son grand dépit, car depuis des années il est en lutte ouverte contre son fils Jean Louis (né en 1632), issu de son union avec Gloriande de Lauzières, qu’après la mort de celle-ci il a considéré comme né de la liaison adultère de son épouse, et donc entaché de bâtardise.

La haine du père pour le fils, et vice versa, a empoisonné leur relation, d’autant que Jean Louis d’Arpajon a recueilli des rumeurs disant que son père a bel et bien assassiné sa mère. Il n’a pas pu interroger sa grand-mère, Jacquette de Castelnau Caylus, morte à quatre-vingt-quatre ans au printemps 1659 dans le château de Brusque, où elle s’était retirée.

Afin d’avoir enfin un héritier digne de lui (et non entaché de soupçon de bâtardise), Louis d’Arpajon décide de convoler pour la troisième fois avec Catherine Henriette d’Harcourt le 24 juillet 1659 à Paris : la jeune épouse a trente-sept ans, le marié soixante-neuf ! A cette époque le duc d’Arpajon réside à Paris dans un hôtel du Marais, rue d’Orléans. Contre toute attente, la nouvelle duchesse d’Arpajon (qui n’est plus toute jeune) va donner un fils à son vieil époux, que l’on prénomme Louis et qui naîtra neuf mois après le mariage en mars 1660. Mais hélas mourra quelques semaines plus tard.

Or, ravi de la naissance de ce nouvel héritier, Louis d’Arpajon en profite pour retirer de sa succession le fils de Gloriande de Lauzières : exaspéré par la conduite de son fils aîné le duc va l’exhéréder par acte du 4 mars 1660 dûment enregistré au Châtelet de Paris : « …que malgré les soins qu’il a pris de l’éducation de son fils, il n’a rencontré en lui que de mauvaises inclinations ; que ce fils ingrat lui a toujours désobéi, qu’il s’est livré à toutes sortes de dérèglements ; qu’il s’est marié, depuis un an non seulement sans son consentement mais qu’il a contracté une alliance indigne de lui et de sa naissance ; qu’en ayant eu avis, il lui a député des personnes de sa maison pour lui faire part des défenses ; qu’au lieu de les écouter, il les a injuriées que son impiété l’a poussé jusqu’à porter son lit dans l’église de Calmont de Plancatge et à y coucher ; quoiqu’il eut une maison dans le lieu, à lui délaissée par son père ; qu’il s’est emparé à main armée du château de Séverac dans la nuit du 19 février 1660 et qu’après l’avoir occupé pendant un mois, il l’a pillé, enlevant or, argent, bijoux, objets d’art, titres, qu’à cause de tous ces crimes, il a exhérédé et exhérède son fils, ne voulant pas qu’il prenne aucune part dans ses biens, en quelque lieu qu’ils soient situés, soit meubles soit immeubles… »

Jean Louis d’Arpajon s’est en effet emparé du château de Séverac, par ruse, et en a chassé les soldats de son père. De plus il a traqué tous les hommes d’arme présents lors de la mort de sa mère survenue vingt-cinq ans plus tôt (les langues se sont déliées et les témoins du crime se sont manifestés) et les a froidement assassinés. Il a aussi poursuivi le viguier de Séverac et son épouse, ancienne dame de compagnie de sa mère, et les a fait fouetter en place publique.

Il n’a malheureusement pas pu mettre la main sur le barbier responsable de la mort de Gloriande, qui n’était pas à Séverac à l’époque. La colère du fils
désireux de venger la mort de sa mère va même aller plus loin. Afin de narguer son père il recherche une alliance avec la fille d’un des ennemis jurés des Séverac, issue de la famille de Vernou : Charlotte de Vernou, qui est une fille d’honneur de la reine Anne d’Autriche.

La jeune fille, belle et bien dotée, épouse Jean Louis d’Arpajon à l’âge de vingt-trois ans, le 3 mai 1661 à Paris, en présence du roi Louis XIV et de sa mère la reine Anne d’Autriche, mais sans le consentement de Louis d’Arpajon, qui en est fou de rage. Les de Vernou sont en effet alliés à la famille d’Ambres, qui est en procès depuis des années avec les d’Arpajon. Le duc d’Arpajon continue d’espérer un fils de son troisième mariage, mais son épouse lui donne ensuite une fille : Catherine Françoise d’Arpajon, née en 1661, l’année même du mariage honni de son fils Jean Louis, et il n’y aura plus d’enfants issus de ce couple.

La mésentente continue entre le père et le fils aîné, jusqu’à la mort prématurée de Jean Louis d’Arpajon à l’âge de trente-six ans : il laisse trois jeunes enfants de son mariage avec Charlotte de Vernou, que leur grand-père Louis d’Arpajon a aussi reniés et déshérités, et qu’il a refusé de voir. En guise de révolte vis à vis de son beau-père, Charlotte de Vernou, qui a vu ses enfants déshérités, se remarie en 1671 avec le marquis d’Ambres, François de Gelas, l’ennemi juré de la famille d’Arpajon, et entame procès sur procès pour récupérer l’héritage de son mari.

En août 1672 Louis d’Arpajon rédige son testament à Séverac, et afin d’écarter définitivement la lignée issue de son mariage avec Gloriande de Lauzières il donne sa terre de Séverac à sa fille Catherine Françoise (née de son troisième mariage) qu’il émancipe pour cela le 24 septembre 1678. Il mettra aussi dans son testament le viguier de Séverac et sa femme (témoins silencieux du meurtre de Gloriande) ; il n’oubliera pas non plus le barbier, complice du crime.

Catherine Françoise d’Arpajon, unique enfant du duc, va donc hériter de tous les biens de Louis d’Arpajon. Elle épousera en 1689 François de la Rochefoucauld, comte de Roye. Sa petite-fille, Françoise Pauline de la Rochefoucauld, sera guillotinée en juin 1794.

Par une curieuse coïncidence, la petite-fille de Louis d’Arpajon (issue de Gloriande par le biais de son fils Jean Louis), qui se nomme Louise d’Arpajon, mourra elle aussi sur l’échafaud en juin 1794 : elle a été dame d’honneur de la reine Marie Antoinette d’Autriche, épouse de Louis XVI, qui la surnommait « Madame Étiquette » tant elle était intransigeante sur les us et coutumes de la cour à Versailles.

Quant aux filles nées de l’union de Louis d’Arpajon avec Gloriande de Lauzières, elles n’ont pas de descendance car elles se réfugient au couvent pour fuir un père et deux belles-mères qu’elles n’apprécient guère : Jeanne Louise d’Arpajon devient abbesse de Vielmur en 1665, et Jacquette Hippolyte d’Arpajon entre aux Carmélites du Faubourg St Jacques à Paris.

C’est au château de Séverac que Louis d’Arpajon rend son âme à Dieu le 27 avril 1679 à l’âge de quatre-vingt-neuf ans ; il n’aura jamais été inquiété pour le meurtre de son épouse, et la justice des hommes le laissera tranquille. Il aura même eu une carrière militaire assez remarquable à la cour du roi soleil, pour terminer duc de France et ministre d’état.

A la fin de sa vie il demandera à être enterré aux côtés de sa seconde épouse, Marie Elisabeth de Simiane, dont le corps reposait dans l’église de Notre Dame de Ceignac à Calmont (Aveyron). Leurs deux coeurs sont réunis dans un coffret et placés sous une dalle de l’église Notre Dame de Lorette à Séverac : à la Révolution, les sans-culottes s’y rendent et brisent le coffret pensant y trouver un trésor. Ils ne découvrent qu’un petit tas de cendres qui est tout ce qui reste des coeurs du duc et de sa seconde épouse. Ils jettent le tout aux quatre vents.

Quant à la troisième épouse du duc, Catherine Henriette d’Harcourt, duchesse d’Arpajon, elle devient dame d’honneur de la Dauphine Marie Anne de Bavière en 1685, et finira sa vie sans se remarier, à Paris, où elle sera enterrée. Saint Simon relate qu’étant veuve, elle consacre sa vie aux procès afin de conserver l’héritage de sa fille contesté par les enfants issus du fils de Gloriande, Jean Louis d’Arpajon, et par sa veuve Charlotte de Vernou.

Si la justice des hommes l’a laissé tranquille, il semble que le duc ait été la proie des remords : vers 1651 il élève une chapelle (celle de Notre Dame de Nazareth qui sera dévalisée pendant la Révolution) sur un pic  en face du château de Séverac dans le but d’expier son crime envers Gloriande. En effet, une légende tenace prétend que la chambre du duc d’Arpajon est hantée les soirs de pleine lune par la silhouette blanche d’une jeune femme aux poignets ensanglantés, qui erre ensuite dans les couloirs du château.

Le duc aurait aperçu une nuit ce fantôme et reconnu la silhouette gracile de sa première épouse, Gloriande de Lauzières. Afin de permettre à celle-ci de connaître la paix (et aussi pour apaiser ses remords) il ordonne l’édification de cette chapelle. Le poids du meurtre de Gloriande semble avoir déclenché une malédiction sur la descendance du duc d’Arpajon. Aucun de ses enfants n’aura une fin heureuse, et la guillotine achèvera de faucher les descendants du meurtrier.

Un mystère demeure cependant : nul ne sait où repose le corps de Gloriande de Lauzières. Les archives du château ont enregistré la date du décès, mais rien n’indique son lieu de sépulture. Si vous prenez l’autoroute de Clermont Ferrand pour vous rendre dans le sud, n’hésitez pas à en sortir pour visiter le château de Séverac (en Aveyron) : il se dresse fièrement à quelques kilomètres de la sortie d’autoroute et on le distingue parfaitement.

La petite ville de Séverac, au pied de ce château monumental, est aussi digne d’intérêt pour les férus de vieilles pierres : ses rues tortueuses et piétonnes vous mèneront au château des d’Arpajon, qui se trouve dans l’état actuel suite à deux incendies et à la fougue des révolutionnaires qui en ont fait une carrière de pierres. La mairie de Séverac en est propriétaire depuis 1966. Si vous passez par là, ayez une pensée pour la pauvre Gloriande…

 

Lafouine77

Sources
« Histoire de Séverac le Château » (Association des amis du château).
« Histoire de Séverac, son origine, sa grandeur, sa décadence », édition de 1911, Edition Lacour, de Dominique de Saint Léons.

 

Descendance de Gloriande de Lauzières :

Gloriande de Lauzières, née vers 1602, décédée le 8 avril 1635 (à l’âge de peut-être 33 ans). Mariée le 1er février 1622, palais épiscopal, Cahors (Lot), avec Louis, marquis de Séverac (1632), duc d’Arpajon (décembre 1650), vicomte de Lautrec, né vers 1590, décédé le 27 avril 1679, château de Séverac, Sévérac-le-Château (Aveyron), inhumé le 15 mai 1679, église Notre-Dame, Ceignac, Calmont (Aveyron) (à l’âge de peut-être 89 ans), duc et pair de France (1650), ministre d’état (1653), maître de camp du régiment du roi infanterie (1656), sénéchal du Gévaudan (1657) ... dont
• Pons, né en 1623, baptisé le 8 juillet 1623, cathédrale Notre Dame, Rodez (Aveyron), décédé le 16 juillet 1623, Ceignac Calmont (Aveyron), inhumé le 16 juillet 1623, Ceignac Calmont (Aveyron).
• Jeanne Louise, baptisée le 20 octobre 1624, cathédrale Notre Dame, Rodez (Aveyron), décédée en 1700 (à l’âge de peut-être 76 ans), religieuse de la Visitation à Montpellier, abbesse en 1663 de l’abbaye royale de ND de la Sanhe, Vielmur (81)
• Jacquette Hippolyte, née en 1625, décédée en 1695 (à l’âge de 70 ans), religieuse carmélite au Faubourg St Jacques, à Paris.
• Gloriande, née vers 1626, décédée vers 1627 (à l’âge de peut-être un an).
• Jean-Louis, né le 3 juillet 1632, décédé le 16 mai 1669, Paris (à l’âge de 36 ans). Marié le 3 mai 1661 avec Charlotte de Vernou, dame de La Rivière, née vers 1638, décédée le 19 novembre 1692 (à l’âge de peut-être 54 ans), fille d’honneur d’Anne d’Autriche de 1654 à 1662 ... dont
     • Louis, marquis d’Arpajon (1er, mai 1720), marquis de Montlhéry (1er, 1720), né en 1667, décédé le 21 août 1736, Paris, inhumé, paroisse Saint-Sulpice de Paris (à l’âge de 69 ans), lieutenant général, gouverneur du Berry. Marié le 28 mars 1715 avec Anne-Charlotte Le Bas de Montargis, née le 18  décembre 1697, Paris (Paris), baptisée en décembre 1767, Paris (75) - église Saint André des Arts, décédée le 9 décembre 1767, Paris (Paris) (à l’âge de 69 ans), dame d’honneur par la duchesse de Berry de 1717 à 1719, Dame du palais de la reine douairière d’Espagne (Louise Elisabeth d’Orléans, veuve du roi Louis 1er) en 1724 toutes deux filles du Régent...
dont
           • Philippe Louis, baptisé le 18 juin 1716, paroisse Saint-Roch de Paris, mort jeune.
           • Louis Charles, né le 8 mai 1719, mort jeune.
          • Louise, née le 4 mars 1729, Paris (Palais du Luxembourg), baptisée, Saint Sulpice (Paris), exécutée le 27 juin 1794, barrière du Trône, Paris 12e, inhumée, cimetière de Picpus, Paris 12e (à l’âge de 65 ans), dame du palais puis dame d’honneur (1ère dame) de Marie Lecszinska en 1768, puis dame d’honneur de la Dauphine de 1770 à 1774, puis dame d’honneur (1ère dame) de Marie-Antoinette de 1774 à 1775. Mariée le 27 novembre 1741, Paris (Palais du Luxembourg), avec Philippe de Noailles, duc de Mouchy (1er, - 27 juin 1794), comte de Poix et de Noailles, baron d’Ambres, né le 27 décembre 1715, Paris, exécuté le 27 juin 1794, Paris (à l’âge de 78 ans), maréchal de France, ambassadeur en Espagne
          • Anne Louise, décédée après 1669.
          • Nn, né le 13 juin 1669, Paris.


Commentaires

mc matray (le 08/11/2023)
Bonjour, j'envisage prudemment un roman sur Gloriande de Lauzières Thémines

mc matray (le 08/11/2023)
je recherche le texte de Berthe Cabiron "Traditions sur le meurtre de Gloriande de Lauzières Thémines" où puis-je le trouver ou le lire ? merci 0782289253

Comte de Cahuzac (le 06/12/2023)
recherche en généalogie de l'acte de mariage à Cahors (lot) le 1 fevrier 1622 de Gloriande de Lauziéres

Prénom ou pseudo * :
(Gardez toujours le même pseudo. Les lectrices qui partagent vos goûts pourront ainsi suivre vos commentaires.)
Email :
(Votre email ne sera pas affiché sur le site. Il nous permettra simplement de vous envoyer un petit mot de remerciement.)
Commentaire :
Signature :
 

* : champ obligatoire

Les commentaires sont temporairement désactivés

Les Romantiques sur Twitter  Les Romantiques sur Facebook  Rechercher un livre

 

 

 

 

© Copyright 2012 Les Romantiques
Webdesign Priscilla Saule