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Les pseudonymes : enjeux, usages, fonctions. Partie 1

Rinou - 11/12/2019

Le pseudonyme, l’alias et le nom de plume désignent un nom d’emprunt choisi pour dissimuler au public son identité réelle dans l’exercice d’une activité particulière. Dans le domaine littéraire, nombreux sont les auteurs qui ont signé leurs oeuvres d’un pseudonyme.

Quelques exemples : Acton, Currer et Ellis Bell (respectivement Anne, Charlotte et Emily Brontë) ; Pauline Réage (Anne Desclos) ; George Sand (Amantine Aurore Lucile Dupin), Yasmina Khadra (Mohammed Moulessehoul), Lord R’Hoone (Honoré de Balzac), Alcofribas Nasier (François Rabelais), Vercors (Jean Bruller), Hergé (Georges Remi), Peyo (Pierre Culliford), Vernon Sullivan (Boris Vian), Henri Troyat (Lev Aslanovitch Tarassov), Françoise Sagan (Françoise Quoirez), Daniel Pennac (Daniel Pennacchioni), Lewis Carroll (Charles Lutdwidge Dodgson), Pablo Neruda (Ricardo Eliecer Neftalí Reyes Basoalto), Maxime Chattam (Maxime Drouot), Georges Orwell (Eric Arthur Blair), Voltaire (François-Marie Arouet), Robert Galbraith et J.K. Rowling (Joanne Rowling), Richard Bachman (Stephen King), Romain Gary et Emile Ajar (Roman Kacew)…

En 2016, selon les données tirées d’études du Centre National du Livre (CNL), du ministère de la Culture et de la Communication, ainsi que du rapport 2015 de l’Observatoire du dépôt légal de la BnF, le site Actualitte a dressé un état des lieux sur les auteurs français, et on y apprend que sur les 65 470 auteurs publiés cette année-là, 7,9 % des mentions d’auteurs sont réalisés sous pseudonyme. Soit environ 5 000 auteurs.

Pourquoi les auteurs font-ils le choix d’utiliser un pseudonyme ? Quels sont les principaux enjeux de cette pratique ? Telles sont les grandes questions que ce dossier va tenter de cerner en restant dans notre domaine de prédilection : la romance et le roman féminin.
Pour aborder ce sujet, loin de nous l’envie de faire des longs discours, il nous a paru essentiel de donner la parole aux personnes concernées. En effet, rien de mieux que d’aller à la source pour éviter les suppositions. Ainsi nous avons interrogé des auteurs et des éditeurs pour en savoir plus sur ce phénomène.

Toutefois, avant de leur donner la parole, il convient de faire un léger aparté pour tenter de comprendre la complexité et la diversité des usages et des fonctions des pseudonymes, et aussi de s’intéresser à ce que prévoit la loi dans le cadre de l’utilisation d’un pseudonyme.

Les pseudonymes

Le pseudonyme est lié à la fois à la liberté et au cloisonnement des sphères individuelles de chaque auteur.

La pseudonymie, selon Michel Neyraut, psychiatre et psychanalyste, spécialiste de l’identité et du transfert « marque les limites de l’ultime liberté. Celle d’être un autre en demeurant soi-même ».

Dans l’étude « La pseudonymie dans la littérature française » publiée aux Presses universitaires de Rennes en 2016 sous la direction de David Martens (enseignant de littérature de langue française [XIXe – XXIe siècles] à l’Université de Louvain, Belgique) la pseudonymie est associée à « un procédé destiné à établir un clivage entre personne et persona, soit à scinder la sphère de la vie privée et l’espace public de l’écriture et des rites liés à l’institution littéraire ».

Par ailleurs, les raisons qui poussent un auteur à utiliser un pseudonyme sont de tous ordres, il y a la coquetterie ; la supercherie ; la perspective commerciale avec la volonté de masculiniser ou féminiser, franciser ou américaniser (entre autres) son nom pour attirer le lecteur ; la motivation artistique avec la possibilité de redéployer son imaginaire  d’écrivain et d’explorer de nouveaux genres ; la sécurité et la liberté d’expression ; la volonté de séparer l’oeuvre de son auteur dans une sorte de double vie pour sauvegarder sa quiétude familiale et/ou sa crédibilité professionnelle. Et mille et une autres raisons encore, toutes motivées par la liberté…

Les auteurs de romance ne font pas exception ! Dans son ouvrage « Lei non sa chi sono io » (Vous ne savez pas qui je suis), paru en septembre 2017 en Italie (Editions Bompiani), le journaliste Mario Baudino recense les plus célèbres pseudonymes de la littérature et il s’interroge sur les raisons qui poussent un auteur à s’affranchir de l’état civil. Il explique que « La misogynie du milieu littéraire a souvent poussé des femmes à utiliser des noms d’hommes ». Eh bien dans la romance, c’est l’inverse qui se produit. Des hommes publient sous des noms féminins ! Retrouvez le dossier : « Les hommes qui écrivent de la romance » dans le webzine Numéro 118, du mois de mai 2018 (http://www.lesromantiques.com/Webzine/Webzinemai2018.pdf).

Aux États-Unis, l’utilisation de pseudonyme est une pratique courante.

Le choix d’un pseudonyme peut être fait pour dissocier la production d’un auteur et son milieu professionnel. C’est le cas par exemple d’Eloisa James, auteur de romances historiques publiées dans 30 pays qui se sont vendues à environ 7 millions d’exemplaires dans le monde. Eloisa James est le nom de plume de Mary Bly, professeure titulaire d’anglais à l’Université Fordham à New York.

Toutefois, les pseudonymes ne sont pas toujours une méthode de dissimulation. Souvent, les auteurs qui en utilisent ne s’en cachent pas, au contraire, ils multiplient les pseudonymes selon les genres dans lesquels ils écrivent pour atteindre davantage de lecteurs.

Les exemples sont nombreux :
• Jayne Ann Krentz utilise plusieurs pseudos pour différencier les sous-genres dans lesquelles elle publie : Amanda Quick pour la romance historique, Jayne Castle (son nom de naissance) pour la romance paranormale/futuriste et Jayne Ann Krentz (son nom d’épouse) pour la romance contemporaine/romantic suspense.
• J.R. Ward, connue pour ses romances paranormales, telles que « La confrérie de la dague noire », a été publiée chez Harlequin à ses débuts sous le nom de Jessica Bird (Jessica Rowley Pell Bird).
• Eleanor Marie Robertson utilise le pseudo Nora Roberts pour ses romances et J.D. Robb pour ses thrillers psychologiques. Ce cas est intéressant parce que dans les traductions françaises, l’ensemble de l’oeuvre a été publié sous le pseudo « principal » de l’auteur, à savoir Nora Roberts.
• Sherrilyn Kenyon, auteure connue à la fois pour ses publications dans le genre de la romance et de la fantasy, notamment sa série « Le cercle des immortels », écrit de la romance historique sous le nom de Kinley MacGregor.
• Kate Watterson écrit des thrillers (« Les proies du lac », « Parmi les cendres », « Secrets enterrés ») alors que sous son pseudonyme Emma Wildes elle écrit des romances historiques (« Les leçons d’une courtisane », « Indécente », la série « Les célibataires »).

Dans la mesure où le lien entre leurs différents pseudos est connu, cela dénote de la part de l’auteure une volonté de dissocier les oeuvres entre elles, notamment lorsqu’un auteur publie à la fois des romances et des romans érotiques. Cela peut être une volonté de l’auteure ou une demande de l’éditeur. Quoi qu’il en soit, l’idée n’est pas de cacher une publication ou de tromper le lecteur. Au contraire, chaque pseudo est associé à un univers et cela permet d’avertir le lectorat pour qu’il n’arrive pas dans la lecture avec une idée préconçue et ne soit éventuellement déçu et dérouté.

Selon Jessica Taylor, une anthropologue linguistique et chercheuse dans le domaine des femmes, du genre et de la sexualité à l’Université d’Harvard, qui a eu l’occasion de collaborer avec l’association des Romance Writers of America (RWA) :
« Les noms sont une part essentielle de nos vies de tous les jours. Mais pour les auteurs de romance, ils sont quelque chose de plus : des outils pour le succès d’une carrière. Les auteurs créent de nouveaux noms dans le but de gérer et développer leur lectorat. Ils les utilisent pour préserver leur anonymat, séparer leur travail en différents genres et créer une marque.
[…]
Elles disent que les noms de plume sont une façon de se démarquer. Comme une marque déposée dans le monde des affaires, un bon nom de plume prépare le terrain pour une relation avec les lecteurs. Les auteurs pensent qu’un bon pseudonyme peut vous lancer sur le marché – ou vous relancer, si vous n’avez obtenu que des ventes médiocres avec votre précédent livre. Les éditeurs eux-mêmes, avec leurs propres noms fortement reconnaissables, comme Harlequin, demandent fréquemment aux auteurs de prendre un nom de plume pour renforcer leur marque particulière. Un nom de plume est vu comme un moyen d’aider les auteurs à prendre le contrôle de leur carrière et à la faire passer au niveau supérieur. Pendant que je faisais des recherches  sur cette communauté, des conseils ont circulé sur le type de nom de plume qui pourrait apporter le succès. Les gens conseillent un nom court, afin qu’il puisse être écrit en gros sur la couverture du livre, et facile à épeler. Il doit être dans le début de l’alphabet, afin que le livre ne soit pas au niveau du sol sur les étagères des librairies. Et vous devez penser à quel auteur va être placé à côté de votre livre dans un classement par ordre alphabétique : cela pourrait par exemple être une bonne chose que le fan d’un auteur tombe sur votre livre, s’il a un style similaire.
[…]
Les noms anglophones assez courts, comme Wiggs et Roberts, semblent être populaires pour les auteures de romance. Aux Etats- Unis, la plupart des lectrices de romance sont des femmes (82%) et blanches (73%) ; quand j’ai fait mes recherches, la perception de l’industrie était que, excepté pour les lectrices des collections de romance afro-américaine, les lectrices attendent des auteures qu’elles soient comme elles. Les noms de famille français, tels que celui de l’auteure de romance Jude Deveraux, étaient autrefois plus populaires, mais pendant mes recherches les auteures franco-canadiennes ont été invitées à angliciser leurs noms de plume. »

En France, pendant longtemps, les catalogues d’éditeurs de romance foisonnaient de pseudonymes anglo-saxons et d’histoires qui se déroulaient dans les mégapoles des quatre coins du monde. Doucement, mais sûrement, cette tendance s’essouffle. Les auteures françaises assument davantage leur identité (entendez par là qu’elles utilisent des pseudos à consonance française) et s’autorisent à bâtir des intrigues qui se déroulent en France. Je n’en dis pas plus, les interviews éclaireront le processus.

Du côté de la loi

Le « pseudonyme » ne fait pas l’objet d’une réglementation juridique spécifique. Toutefois, il est encadré par des limites juridiques qu’il est utile de connaître.

« La loi du 6 Fructidor an II (23 août 1794) interdit à tout citoyen de porter d’autre nom et prénom que ceux de son acte de naissance. Mais l’utilisation d’un pseudonyme dans le cadre d’une activité littéraire ou artistique est autorisée, sous réserve de ne pas attenter aux droits d’autrui. Une fois établi, le pseudonyme confère à celui qui le porte un droit presque comparable à celui que tout un chacun possède sur son patronyme de naissance. Le droit au respect du nom — un des attributs du droit moral — n’impose nullement à l’auteur une totale transparence. Il peut choisir de conserver l’anonymat ou de publier sous pseudonyme. Mais l’auteur qui n’a pas manifesté de volonté contraire durant l’élaboration de l’ouvrage ne peut demander en référé la suppression de son nom d’un ouvrage collectif pour le cas où l’orientation de celui-ci ne lui conviendrait plus.
En revanche, l’éditeur ne peut révéler le nom véritable de l’auteur qui a choisi de se cacher sous pseudonyme. En cas de révélation par son éditeur, l’auteur pourra obtenir facilement en justice la résiliation du contrat d’édition aux torts de l’éditeur.
Auteur et éditeur doivent néanmoins être conscients des importantes conséquences juridiques qu’entraîne le recours à l’anonymat ou au pseudonyme. »

Source : https://www.livreshebdo.fr/article/pseudonymecie

Quelques éléments de base :

Un pseudonyme ne constitue pas un changement de nom :
• Il ne remplace pas le nom de naissance et ne peut être mentionné sur les actes d’état civil.
• Il n’est pas transmissible aux enfants ni aux héritiers (qui ne peuvent prétendre à aucun droit sur le pseudonyme).
• Il est possible de changer de pseudonyme, voire d’en utiliser plusieurs en parallèle.
Il peut être choisi librement (voire inventé) sous réserve de remplir les conditions suivantes :
• Ne pas porter atteinte à l’ordre public (pseudonyme présentant un caractère raciste ou injurieux par exemple).
• Ne pas s’approprier la renommée d’une personne ou s’attribuer une parenté. L’emprunt du nom d’autrui comme pseudonyme peut constituer une usurpation d’identité justifiant un recours en justice de la part de son titulaire ou de ses ayants droit.

Selon le Code de la propriété intellectuelle (article L.711-1), un pseudonyme peut être protégé, pour cela il est nécessaire de le déposer en tant que marque auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi).

L’auteur d’une oeuvre de l’esprit réalisée sous pseudonyme bénéficie sur cette oeuvre du droit d’auteur. La protection est de 70 ans à partir du 1er janvier de l’année civile suivant celle où l’oeuvre a été publiée. Pour exercer ses droits, il est représenté par l’éditeur tant qu’il ne fait pas connaître son identité civile. Tout contrat doit être signé du nom de famille de l’auteur en mentionnant le pseudonyme. Une clause peut être insérée pour empêcher l’éditeur, agent ou manager artistique de révéler la véritable identité.

Pseudonyme et droits

« Le pseudonyme peut faire l’objet d’une véritable appropriation qui permet à celui qui le porte d’en défendre l’utilisation. Cependant, il n’aura d’existence juridiquement protégée qu’à la suite d’un usage notoire et incontesté et de sa consécration par une forme de publicité.

Le droit au pseudonyme permet à son titulaire de :
• signer de son pseudonyme ses oeuvres ainsi que les contrats d’exploitation de celles-ci,
• signer de son pseudonyme tous les actes, y compris les actes notariés,
• disposer d’une action en réclamation : il pourra exiger qu’on le désigne sous son pseudonyme dans toutes les manifestations où il apparait sous son pseudo, catalogues, affiches programmes… etc, de même, son titulaire peut défendre à ceux qui connaissent sa véritable identité de la divulguer à des tiers.
• disposer d’une action en contrefaçon de pseudonyme : il pourra s’opposer à ce que ce pseudonyme soit utilisé par d’autres, y compris les porteurs d’un nom de famille semblable qui voudraient en faire un usage concurrentiel. Ainsi, les titulaires d’un nom de famille qui ont laissé se développer un pseudonyme homonyme sans protester dès ses premières manifestations ne sont plus fondés à se plaindre de l’usage qui est fait de leur nom par le porteur du pseudonyme,
• disposer d’une action en concurrence déloyale contre toute usurpation de pseudonyme. Le droit au pseudonyme se classe en effet parmi les droits de clientèle et bénéficie d’un monopole d’exploitation au même titre que la propriété littéraire et artistique, le brevet d’invention, le nom commercial, la marque de fabrique ou de commerce ou l’enseigne,
• faire mentionner le pseudonyme sur sa carte d’identité, ce qui permet par exemple de retirer un mandat ou une lettre recommandée et même d’ouvrir un compte bancaire sous pseudo.

Pour que le pseudo puisse être apposé sur une carte d’identité à la suite du nom de famille, il faut justifier de son usage constant et de sa notoriété. L’administration disposant d’un libre pouvoir d’appréciation en la matière, il est donc recommandé de joindre au dossier : soit une attestation délivrée par l’organisme professionnel auprès duquel l’activité sous pseudonyme est exercée (le SFA peut délivrer une telle attestation aux artistes interprètes qui en font la demande), soit un acte de notoriété délivré par un notaire ou par le juge du tribunal d’instance. »

Source : https://sfa-cgt.fr/droit-et-pseudonyme

 

Suite du dossier http://www.lesromantiques.com/?a=1190/Les-pseudonymes-enjeux-usages-fonctions-Partie-2

 


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