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Mary Wilcocks - Scandaleuse

Les Romantiques - 11/12/2019

Mary Wilcocks | Mrs Baker « Princesse Caraboo de Javasu » (1792-1864)


Année du scandale : 1817.
Epoque : Règne du roi George III.
Objet du scandale : Pendant deux mois, une jeune anglaise prétendant être une princesse indonésienne se jouera de la crédulité de l’aristocratie de Bristol, en se faisant passer pour une princesse kidnappée par des Pirates et portant le nom exotique de « princesse Caraboo ». Son imposture ayant été démasquée, elle devra fuir en Amérique.

Mary Wilcocks fut l’héroïne de la plus grande imposture de l’année 1817 en Angleterre. Un beau jour d’avril un cordonnier de la ville d’Almondsbury (dans le Gloucestershire) rencontre dans la rue du village une jeune femme désorientée. L’inconnue porte des vêtements exotiques (un turban autour de la tête, une robe qu’elle a enroulée autour d’elle) et s’exprime dans un langage incompréhensible que le pauvre homme est bien en peine de saisir.

La jeune femme est de taille moyenne, elle est mince et porte des vêtements propres. Elle n’est pas précisément belle mais possède de beaux yeux noirs. Intrigué, le cordonnier l’emmène chez lui et son épouse en prend soin. Mais au bout d’une journée, ne parvenant pas à se faire comprendre de l’inconnue, qui leur parle moitié par signes, moitié dans une langue qui leur est étrangère, le couple décide de l’emmener à l’asile des pauvres de la ville d’Almondsbury.

L’administration de l’asile, ne sachant que faire d’elle, convoque le magistrat de la ville, un dénommé Samuel Worrall (dont la femme, Elizabeth, est américaine) qui habite Knole Park, et lui confie le soin de découvrir qui est cette jeune femme. L’unique mot que les gens de l’asile ont réussi à comprendre est le terme « Caraboo », car elle se pointe du doigt en le répétant. Chacun en déduit donc qu’elle se prénomme ainsi.

Au domicile des Worrall, la jeune femme adopte un comportement très étrange : le magistrat et son épouse lui ont donné une chambre à part, mais elle insiste pour dormir à même le sol. Parmi les domestiques il y a un cuisinier grec qui a beaucoup voyagé, mais même lui ne parvient pas à saisir la langue de l’inconnue : elle ne parle pas le grec, ni le français, ni aucune langue latine. Elle n’a, bien sûr, aucun papier d’identification sur elle, et ne possède que la somme de six pence.

Les époux Worrall examinent ensuite son accoutrement : ses vêtements consistent en une robe de coton noire avec un rang de mousseline autour du cou, et un châle noir qu’elle enroule autour de sa tête. Elle a aussi un châle sur les épaules, des chaussures en cuir et des bas de laine noire. Les manières de Caraboo (comme les Worrall l’appellent maintenant) sont celles d’une personne éduquée.

Elle se tient très droite mais grimpe aux arbres. Elle arrive même à rester en équilibre sur le toit de la maison, n’est pas sujette au vertige, et provoque la frayeur de ses hôtes. Elle a des cheveux très noirs, et des dents très blanches. Ses lèvres sont pleines, et ses mains soignées. Elle est de petite taille (1.60 m) et plutôt bien proportionnée. Elle ne possède pas de bijoux, et semble avoir dans les vingt-cinq ans.

Côté nourriture, elle ne mange pas de viande et ne boit que de l’eau, elle refuse le vin et la bière. Elle nettoie systématiquement son verre avant de boire dedans. Les Worrall font alors appel au curé de la paroisse, un homme lettré qui possède plusieurs livres encyclopédiques. Devant l’un d’eux, la jeune femme pousse des cris fébriles et désigne l’image où deux chinois en costumes traditionnels se tiennent côte à côte. De même elle pointe du doigt l’image d’un ananas dont le dessin orne l’une des pages.

De plus en plus intrigués, les époux Worrall l’emmènent à la ville voisine de Bristol où on la confronte à un détenu de la prison (un portugais ayant beaucoup bourlingué en mer de Chine et connaissant plusieurs langues exotiques). Mis en présence de la jeune femme, le marin finit par déclarer qu’elle parle une langue qui mélange le malais et le chinois. Avec des gestes et en traduisant les paroles de la jeune femme, il finit par comprendre ce que celle-ci s’efforce de dire depuis plusieurs semaines. Elle semble s’animer de plus en plus au fur et à mesure qu’elle raconte sa vie : elle s’appelle bien Caraboo, mais elle est aussi princesse dans son pays, et vient de l’île de Javasu. Elle a été capturée et enlevée il y a plusieurs mois par des pirates locaux, qui l’ont vendue à Batavia en tant qu’esclave. Elle précise que son père et sa mère ont été tués au cours de ce rapt, et que sa famille est très riche.

Elle a été achetée sur le marché aux esclaves de Batavia et emmenée sur un navire britannique qui, onze mois plus tard, est venu s’ancrer au large de la ville de Bristol. Une nuit, elle a réussi à sauter à l’eau et à gagner les côtes anglaises à la nage. Parvenue au rivage et épuisée, elle a troqué ses vêtements de soie contre ceux d’une jeune femme auprès de qui elle était venue mendier de la nourriture après son évasion.

Elle a ensuite erré pendant plusieurs semaines avant d’arriver à Almondsbury. Les vêtements de son pays qu’elle portait sur le navire étaient les suivants : une cape ornée de sept plumes de faisans ; sa jupe était une longue traine de tissu qu’elle entortillait autour de sa taille ; quant à ses cheveux, ils étaient ramassés autour de sa tête et tenus par un peigne en écaille de tortue. En entendant cette histoire tragique (traduite par le prisonnier portugais), les Worrall décident de ramener la jeune femme chez eux et de s’en occuper. Pendant les dix semaines qui vont suivre, la princesse Caraboo sera la coqueluche des salons d’Almondsbury et aussi de ceux de Bristol.

Son comportement étrange ne manque pas d’ajouter à sa légende exotique : elle sait tirer à l’arc, manier le sabre, et nage toute nue dans l’eau. Elle prie un dieu qu’elle nomme Allah Talla. Elle continue à se vêtir de tissus exotiques et plusieurs journalistes locaux viennent la voir pour raconter son histoire, tout en croquant son portrait pour les magazines.

Un jour que les Worrall l’ont emmenée à Bath, elle fait sensation dans un salon huppé où les aristocrates locaux vont jusqu’à s’incliner devant la princesse Caraboo. Outre ses vêtements exotiques, on remarque ses tatouages dans le cou qu’un médecin de Bristol (passionné des légendes de l’Orient) reconnait comme étant des marques portées par les membres de la royauté d’Indonésie.

Les journaux, à l’affût du moindre de ses mouvements, se délectent à raconter son histoire qui finit par atteindre la ville de Londres. Les articles qui lui sont consacrés contiennent immanquablement un portrait de la jeune femme dessiné au crayon.

Pendant tout le temps de son séjour chez les Worrall, elle ne prononce pas un seul mot d’anglais ou d’autres langues européennes, que ce soit le français ou l’italien, même dans son sommeil. Elle continue de parler une langue incompréhensible et s’exprime souvent par gestes. Elle continue de refuser la viande mais accepte le poisson, et aussi le thé. Elle est très friande des bains et des ablutions. Elle s’agenouille près de la pièce d’eau à l’arrière de la maison et s’asperge le visage et les mains.

Evidemment, la diffusion de son histoire dans les journaux provoque un engouement sans pareil : le comte de Cork vient la voir, ainsi que le marquis de Salisbury. Certains se cotisent pour permettre à la princesse Caraboo de rentrer chez elle. C’est alors qu’une Mrs Neals, qui tient une pension en ville à Bristol, lit un article consacré à la princesse Caraboo.

Elle écrit au rédacteur en chef du Bristol Journal et est catégorique : la jeune femme dont le portrait est publié lui est familière : pour elle, la princesse Caraboo n’est autre que Mary Wilcocks, une fille de cordonnier du village de Witheridge dans le Devon. Elle l’a employée comme domestique plusieurs mois auparavant.

Une confrontation physique a lieu, organisée par les autorités de Bristol, et Mrs Neals reconnait formellement être en présence de Mary Wilcocks, son ancienne domestique. Mis face à ses mensonges les Worrall, et notamment Elizabeth, pressent la princesse Caraboo de questions. Au bout d’un laps de temps assez court elle laisse tomber le masque, et la jeune Mary Wilcocks reconnait son imposture.

Elle raconte alors en bon anglais pourquoi elle a inventé cette histoire. Née dans une famille pauvre, elle n’a reçu aucune éducation dans un foyer où le père et la mère boivent et n’ont ni l’un ni l’autre de travail régulier. A l’âge de huit ans, elle est envoyée par ses parents dans une usine pour filer la laine, et ce pour les périodes d’hiver.

En été, son père la fait revenir à la maison pour l’envoyer aux champs ramasser le blé pour un fermier voisin. Lorsqu’elle a seize ans, il lui fait quitter l’emploi aux champs et en usine pour l’expédier comme domestique dans une ferme du voisinage (elle sert aussi aux champs dès qu’on a besoin de bras). Bien sûr, le salaire rapporté par la jeune Mary est aussitôt englouti par ses parents. A dix-sept ans, elle refuse de continuer son travail à la ferme : son père lui flanque alors une raclée. Dans la nuit elle s’enfuit avec son dernier salaire en poche, et part pour la ville d’Exeter. Elle finit par être embauchée par un cordonnier pour livrer les chaussures. Elle dépense son premier salaire pour l’achat d’une jolie robe, mais là encore doit quitter son emploi au bout de deux mois pour échapper aux assiduités de son employeur.

Elle sombre alors dans la mendicité pour survivre, et arrive à Bristol où elle reste peu de temps, pour gagner la ville de Londres. Là elle tombe gravement malade et est admise à l’hôpital de St Giles. Elle est en fait enceinte, et accouche d’un fils dont elle ne s’occupe pas et qu’elle remet aux enfants trouvés.

Quelques semaines plus tard elle obtient un emploi de domestique chez une Mme Matthews, de stricte religion calviniste, qui lui apprend à lire et à écrire. Elle se lie d’amitié avec les voisins de palier qui sont juifs, et notamment avec leur cuisinier qui a voyagé et lui raconte les périples effectués dans la marine marchande britannique. Elle a de plus en plus de mal à vivre avec sa patronne qui est stricte, et souhaite la convertir à la religion protestante. Refusant de subir la pression de sa maîtresse, et malgré les bontés de celle-ci qui a contribué à son éducation, elle préfère s’enfuir à nouveau, et cette fois elle se rend dans le Devonshire. En chemin, elle tombe sur une bande de brigands qu’elle rejoint de son plein gré, et qui lui enseignent comment tirer au pistolet. Mais cette vie  dangereuse lui fait peur et elle les lâche au bout de quelques semaines pour continuer à vivre de mendicité.

Sur le chemin qui la ramène à Bristol, elle fait la rencontre de bohémiens qui l’accueillent et avec qui elle restera plusieurs mois. Elle apprend à lire les cartes de tarots qui prédisent l’avenir, et écoute avec ravissement les contes que les gitans racontent le soir au coin du feu, elle est particulièrement fascinée par les récits de voyages lointains. Beaucoup viennent d’Espagne, mais certains bohémiens arrivent du Moyen Orient, avec leurs légendes de princesses et de princes arabes.

C’est à ce moment-là qu’elle entreprend de créer la princesse Caraboo. Le Moyen Orient étant encore trop proche, elle imagine l’existence d’une princesse de l’île d’Indonésie. L’histoire d’une riche princesse enlevée à son pays par des pirates lui parait la plus alléchante. Et quoi de plus plausible lorsque ladite princesse ne parle pas un mot d’anglais ? Elle s’invente une langue mêlant le javanais, l’arabe et le hollandais.

Quant aux marques physiques qu’elle porte au cou, il ne s’agit évidemment pas des tatouages d’une tribu indonésienne, elles sont le résultat d’une coupe de cheveux mal exécutée avec un ciseau peu aiguisé à l’hôpital pour les pauvres de Londres. Pour éviter les poux et autres problèmes hygiéniques, les jeunes femmes avaient la tête tondue à ras. Au lendemain de son accouchement, alors qu’elle était encore fiévreuse, on avait coupé sa chevelure à la va vite.

L’imposture de la princesse Caraboo, une fois dévoilée, fait boule de neige : la presse de Londres s’empare de l’histoire et se moque de la crédulité des bourgeois de Bristol qui l’ont reçue dans leur salon. Bientôt des articles remplis de haine réclament un châtiment exemplaire pour celle qui a osé duper ses bienfaiteurs. Curieusement, le comte de Cork ne lui en tient pas rigueur, mais les bonnes dames de la société de Bristol sont les plus acharnées.

Inquiète du sort qui attend sa protégée, et bien que celleci ait profité de sa crédulité, Elizabeth Worrall a pitié de Mary. Elle prend contact avec des dames de charité qui doivent se rendre en Amérique, et réussit à négocier son passage sur un navire en partance pour Philadelphie. Elle lui achète un billet aller sur le « Robert and Anne » et convainc la jeune femme de s’embarquer le 28 juin 1817. N’ayant pas le choix, Mary accepte de se conformer au plan de sa bienfaitrice. Cette dernière lui remet alors le pactole récolté pour la princesse Caraboo.

Le voyage se passe sans histoire mais, arrivée en Amérique, Mary entre en désaccord avec les dames de charité qui l’ont accompagnée et décide de les quitter pour rejoindre en tant que « princesse Caraboo » un théâtre du Washington Hall à Philadelphie. Séduit par son histoire, le directeur l’embauche pour quelques courtes représentations face à un public nouveau à qui elle raconte son histoire de kidnapping, cette fois dans un anglais compréhensible.

Mary va alors vivoter pendant sept ans en racontant son histoire dans des théâtres, ou des cirques ambulants, jusqu’au jour où, à bout de ressources, ou peut-être parce qu’elle a le mal du pays, elle décide de rembarquer pour l’Angleterre, en 1824. Bien que de nombreuses années se soient écoulées, son histoire fait toujours sensation à Londres : elle réussit ainsi à se faire engager par un théâtre et monte un spectacle où elle raconte sa vie en tant que princesse Caraboo (exit Mary Wilcocks).

Elle vit à Londres et rencontre un admirateur, Richard Baker, qui ne tarde pas à vouloir l’épouser. Mary a alors trente-sept ans. Elle accepte et devient Mme Baker en septembre 1828. L’année suivante elle donne naissance à sa fille, Mary Ann. Apparemment assagie, elle décide d’exercer un métier sérieux et plutôt bien rémunéré à l’époque : l’élevage des sangsues, qu’elle revend aux hôpitaux londoniens. Dans les années quarante elle quitte Londres pour Bristol, où elle continue de vendre des sangsues.

Elle fait une mauvaise chute le 24 décembre 1864, et meurt quelques jours plus tard à l’âge de soixante-douze ans. Sa fille aura une fin de vie tragique : elle vivra du commerce de sa mère (les sangsues) dans une maison remplie de chats, et mourra à soixante-et-onze ans dans l’incendie de sa demeure.

Hollywood s’emparera de cette histoire dans un film sorti en 2004 : « Caraboo », et il y aura même une comédie musicale en 2016 à Londres. Mary est enterrée au cimetière de Bristol sous une tombe sans nom ; une plaque en son honneur a été apposée sur le mur de sa maison, où elle passa les onze dernières années de sa vie. Mais ne cherchez pas l’île de Javasu, elle n’a jamais existé !

Lafouine77

Sources :
Wikipedia
Oxford dictionary of National Biography


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