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Le racisme dans la romance

Les Romantiques - 15/05/2019

Le Guardian a publié le 4 avril un article très détaillé intitulé « 50 nuances de blanc : le long combat contre le racisme dans les romances ». Il souligne que pendant de nombreuses années les maisons d’édition ont confiné les auteures de couleur dans des collections spécifiques, à destination d’un public noir. De même les libraires classent souvent les romances écrites par des auteures noires au rayon « African American », plutôt qu’avec les autres auteures de romance. Et une opinion largement répandue veut qu’un couple noir en couverture ne soit pas vendeur, il était donc conseillé aux auteurs de mettre plutôt un bijou, des chaises de jardin, ou encore des fleurs.

Quand on lui parle de diversité, l’auteure Alisha Rai rétorque qu’il s’agit moins de diversité que de réalité. Elle évoque le problème des « tétons » : une lectrice lui a fait remarquer qu’elle était la seule à parler de tétons bruns, dans toutes les autres romances les tétons de l’héroïne sont roses et ressemblent à des framboises. Selon elle, c’est un phénomène de domino : un auteur les décrit de cette façon, puis dix auteurs font la même chose, et soudain toutes les femmes ont des tétons roses, et personne ne se rend plus compte que ce n’est pas la réalité.

L’article revient ensuite sur le fiasco des Rita Awards en 2018 et 2019, dont nous avons parlé dans le webzine de mars, et ses répercussions en termes de prise de conscience du racisme involontaire qui sévit au sein de la romance. Dans un mouvement rappelant Me too, les auteures de couleur se sont mises à témoigner de comportements devenus intolérables, comme le fait qu’une auteure noire soit systématiquement supposée être une débutante, même lorsqu’elle a plusieurs dizaines de livres à son actif. Elles ont aussi rapporté des comportements ouvertement racistes, comme lorsque des auteures blanches se lèvent de table lorsqu’une auteure noire vient s’y asseoir à la conférence des Romance Writers of America.

Le problème de l’identification est ensuite évoqué : l’article revient sur la réponse de Beverly Jenkins à une lectrice qui lui expliquait qu’elle ne pouvait tout simplement pas s’identifier à des héros de couleur. « Vous pouvez vous identifier à des changeformes, des vampires, des loups-garous, mais vous ne le pouvez pas dans une histoire écrite par et à propos des noirs américains ? »

Jayashree Kamblé, vice-présidente de l’International Association for the Study of Popular Romance, un groupe d’universitaires, analyse le problème de la façon suivante : l’industrie de la romance étant en grande majorité blanche, la plupart des romans effacent les personnes de couleur, ce qui donne un monde fantasmé composé uniquement de blancs, avec quelques personnages secondaires stéréotypés, ou tout simplement pas de gens de couleur du tout.

L’article évoque ensuite la collection Harlequin Kimani, qui a un seul critère de sélection : les héroïnes, ainsi que les auteures, sont noires. Ces dernières ont des sentiments mitigés par rapport à cette collection : d’un côté elle dispose d’un lectorat fidèle, et les romans qui y sont publiés se vendent mieux, d’un autre côté, comme le fait d’être mis en rayons séparément, cela coupe peut-être d’un lectorat non-noir qui pourrait les apprécier. Certaines anciennes auteures Kimani affirment aussi que cette collection bénéficiait de moins de marketing et de promotion de la part d’Harlequin. En mai 2017, l’éditeur a de toute façon annoncé qu’il allait progressivement supprimer cinq collections, dont Kimani, laissant les auteures noires dans l’ignorance quant à leur avenir.

Dans les années 80, Harlequin avait recruté une éditrice noire, Vivian Stephens, en vue de publier ce qu’ils appelaient alors des romances « ethniques », mais à l’époque de nombreuses lectrices recevaient leurs livres par abonnement, et au moment de la publication d’un premier roman écrit par une auteure noire, Sandra Kitt, les cadres de la maison d’édition craignaient qu’elles ne réagissent mal en recevant ce titre. Mais finalement il n’y a eu que quatre lettres de réclamation et le roman est devenu un classique, fréquemment réédité.

Pourtant deux ans plus tard Vivian Stephens a été licenciée sans explications, et si Harlequin a continué à publier Sandra Kitt, seuls ses héros blancs ont eu droit de cité. Il faut attendre 1992 et la publication du bestseller de Terry McMillan « Vénus dans la vierge » pour que les éditeurs américains se rendent compte que les lectrices de couleur peuvent représenter un marché très lucratif. Et vendre des histoires de noirs à des lectrices noires était une chose, mais ils n’étaient toujours pas persuadés que les lectrices blanches auraient envie de les lire.

A la fin des années 90, Suzanne Brockmann, auteure blanche d’une série sur les Navy Seals, a décidé qu’un noir serait le héros de son tome suivant. Elle voulait prouver à Harlequin qu’ils rataient quelque chose en ne publiant pas plus d’histoires avec des héros noirs. Son éditrice l’a prévenue que ses droits d’auteurs allaient être divisés par deux parce que son roman ne serait pas envoyé aux abonnées, pour les mêmes raisons qu’avec Sandra Kitt : Harlequin avait peur d’un retour de bâton.

HelenKay Dimon, actuelle présidente des RWA (et invitée au Festival du Roman Féminin en mai !) reconnait que les efforts de l’association pour inclure plus largement des auteures de toutes origines ont parfois rencontré des réactions négatives de la part des auteures blanches, qui jusque-là avaient 90% du marché et voient d’un mauvais oeil que leur part soit réduite à 80%. En 2017 Linda Howard, auteure à succès blanche, a même écrit sur un forum privé de l’association que la diversité pour la diversité était une forme de discrimination. Elle a quitté les RWA après le tollé soulevé par ses propos.

D’autres auteures de couleur s’inquiètent que les éditeurs  traitent la demande actuelle de plus de diversité commeune mode éphémère, et que ce soient les auteures blanches qui se mettent à écrire des histoires incluant de la diversité. En 2016 Harlequin a fait une liste des thèmes qu’ils attendaient, qui incluait : les mariages de convenance, les scheiks, les bébés, les héros alpha et la diversité. Comme si la diversité était une stratégie marketing.

Cependant l’article conclut sur une note positive : malgré l’échec des RWA à inclure plus d’auteures de couleur dans la liste des nominées aux Rita awards 2019, certains signes positifs sont apparus. Comme le fait que plusieurs auteures noires autrefois publiées dans la collection Kimani aient pu signer des contrats avec Harlequin pour d’autres collections, ou qu’un magazine féminin ait pour la première fois mis en avant une auteure de romance noire.


https://www.theguardian.com/books/2019/apr/04/fifty-shades-of-white-romance-novels-racism-ritas-rwa

 


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