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Charis Michael - Interview

Les Romantiques - 16/04/2019

1- Pouvez-vous nous parler de vos deux trilogies ?
La première s’intitule Les célibataires (Bachelor lords of London) et met en scène trois amis qui vivent dans la même rue à Londres.
La seconde est Brides of Belgravia, et parle de trois jeunes femmes qui épousent des gentlemen marins et emménagent à Londres. Elles espèrent profiter de la ville en tant qu’épouses respectées, plutôt que débutantes, et sans avoir à se soucier de leurs maris. Quand un à un leurs capitaines rentrent au port, elles doivent faire la connaissance de l’étranger qu’elles ont épousé.

2- Lequel de vos livres préférez-vous et pourquoi ?
Vous savez que nous ne sommes pas censées avoir de préférence, mais je crois que j’aime particulièrement le second tome de ma série Les célibataires, Une épouse trop parfaite (The virgin and the viscount). Le conflit dans cette histoire est tellement aigu que ce couple doit vraiment se donner de la peine pour atteindre son happy end, et le héros est quelqu’un d’un peu collet-monté que l’héroïne va petit à petit décoincer. J’adore le prologue (j’ai tendance à écrire des prologues très stylisés, très « Il était une fois ») parce qu’il dépeint très bien le héros. Je suppose qu’en fait j’adore tout simplement Bryson Courtland, le héros de ce livre.

3- Pourquoi écrivez-vous de la romance plutôt qu’un autre genre littéraire ?
En tout premier lieu, je suis une personne optimiste pour qui les happy-ends, comme on les appelle, sont essentiels. Ça ne m’intéresse pas de lire ou d’écrire des histoires où les personnages finissent par mourir ou sombrer dans une vie de désillusions et de solitude.
La vraie vie, comme nous le savons tous, est bien trop souvent remplie de tragédies. Une bonne fiction, en ce qui me concerne, est un parfait équilibre entre des personnages authentiques et une satisfaction émotionnelle au final. C’est en partie de l’évasion, et en partie de l’espérance. La romance garantit un happy-end, ce qui en fait mon genre de prédilection.

Ensuite, les romances sont lues presque exclusivement par des femmes, et j’aime explorer des thèmes et des situations cruciales pour les femmes, ou qui les amusent.

Enfin, je suis fascinée par la notion de « cour », comment deux personnes en conflit au départ finissent par trouver l’amour. La cour peut prendre différentes formes, parfois c’est ce qu’on appelle traditionnellement « sortir ensemble », mais plus souvent (surtout dans la romance) ce sont deux personnes qui montent une affaire, enquêtent sur un crime, fuient pour sauver leurs vies, ou atteignent des objectifs. Et pendant tout ce temps, ils tombent amoureux. Les mécanismes de l’attirance, du conflit, et les sacrifices personnels que nous faisons tous pour qu’une personne spéciale puisse trouver sa place dans notre vie sont vraiment intéressants à mes yeux, et j’adore mettre tout ça en place pour différents personnages dans chaque roman.

4- Quelle est votre “Kryptonite” quand vous écrivez ?
Honnêtement ? Les chroniques, les retours de mon éditeur ou de mes partenaires particulièrement critiques peuvent me plonger dans une crise démesurée de « J’y arriverai jamais ! » Pendant environ une journée, je vais arrêter d’écrire pour juste me terrer et panser mes blessures.
Invariablement, ces crises aigües me donnent le temps de ruminer les critiques, de trouver des solutions, et sans même m’en apercevoir je me retrouve à mon bureau en train de restructurer des scènes pour résoudre les problèmes. En général, ils sont bien plus faciles à solutionner que je ne l’imaginais et (en général également) cela améliore le livre.

J’aimerais vraiment apprendre à sauter l’étape où j’arrête littéralement d’écrire pour traîner pendant deux jours, plongée dans mes doutes. Ça aide que mon objectif premier soit d’écrire le livre le meilleur et le plus divertissant possible. Quand je mets les lectrices en priorité, ma capacité à encaisser les critiques s’améliore un peu à chaque fois.

5- Quelle est l’étape la plus facile quand vous écrivez ? Et la plus difficile ?
La plus facile : les révisions après avoir écrit le premier jet du roman. Les mots sont déjà sur la page, et tout ce que j’ai à faire, c’est améliorer l’ensemble.
La plus difficile : écrire les mots sur la page. Remplir une page blanche. Se mettre en route, surtout au début. Se forcer à s’asseoir et construire l’histoire ligne après ligne.

6- Comment travaillez-vous sur l’évolution de vos personnages ?
Mes personnages se révèlent à moi pendant l’écriture. Ça semble tellement ésotérique, « artistique » comme déclaration, mais c’est vrai. J’ai une idée de
ce à quoi ressemble un personnage (par exemple c’est un bosseur, un rêveur, un sceptique), mais lorsque je plonge dans ce qu’on appelle parfois le « point de vue profond », au moment où j’écris les premières scènes, les nuances de ce que signifie être un bosseur, un rêveur – et, encore plus important, la raison pour laquelle ils sont comme ça - commence vraiment à apparaître. Il s’agit simplement de construire la scène, et de faire évoluer le personnage dans cette scène d’une façon intéressante et complexe. De le faire se comporter d’une façon qui corresponde à la finalité de la scène, et la manière dont une personne réagirait dans la réalité.

Par exemple l’héroïne de mon quatrième livre, Any groom will do, a un plan pour quitter son petit village et partir pour Londres avec ses deux meilleures amies. Elle présente ce plan (qui est incroyablement risqué et compliqué) d’une façon qui démontre son pragmatisme, sa détermination et son côté dictatorial. J’aurais simplement pu la décrire comme « pragmatique, déterminée et dictatoriale », mais lorsque je l’ai plongée dans une scène et faite poursuivre son objectif, elle a vraiment commencé à prendre forme d’une façon bien plus réaliste et amusante. Une partie de la construction de son personnage était au service de la scène (je lançais l’intrigue), mais une partie de la scène était aussi au service de son personnage (“Je vous présente Lady Willow”).

J’ai également développé mes propres fiches de construction des personnages, que je complète pour mes deux héros. Je le fais après avoir écrit les scènes d’introduction, lorsque je les connais mieux. Il y a des questions sur tout, depuis leurs petits plaisirs personnels dans la vie (comme faire la sieste, ou explorer une librairie, ou manger des chocolats) jusqu’aux choses qui sont les plus importantes pour eux (la loyauté, Dieu et la patrie, les animaux).

7- Comment parvenez-vous à équilibrer la romance et le cadre historique dans vos histoires ?
Vous savez, cet équilibre a vraiment évolué dans la romance historique. Autrefois, lorsque je suis devenue une lectrice passionnée de grands noms tels que Laura Kinsale ou Loretta Chase à ses débuts, il y avait beaucoup d’Histoire dans tous les romans. Les lectrices d’aujourd’hui semblent avoir moins de patience pour les longues descriptions et contextes historiques. J’utilise l’histoire comme toile de fond, mais je m’en sers surtout pour construire mon intrigue.

Par exemple, le héros de mon quatrième livre, Any groom will do, est un comte sans le sou qui essaie de sauver la propriété familiale en important du guano (un engrais) en Angleterre. C’était un pari risqué, mais cela a fait de lui l’un des hommes les plus riches d’Angleterre. J’ai basé cela sur les véritables “barons du guano” de la moitié du XIXème siècle, qui sont devenus extrêmement riches en important ce qui n’était rien d’autre que des déjections d’oiseaux depuis les Caraïbes jusqu’en Angleterre, et en les vendant aux fermiers. C’est vraiment arrivé, et tout ce qui concerne l’extraction du guano et la façon dont il était importé, depuis les dates jusqu’au laps de temps où le héros a quitté le pays, m’a servi pour mon histoire.

Il y a un côté « Il était une fois », conte de fées, dans les romances Régence, qui ne peut avoir lieu que « Il y a bien longtemps », lorsque les règles pour faire la cour étaient très strictes, lorsque les maisons et les vêtements étaient très riches, lorsque la vie allait moins vite et que les serviteurs faisaient tout le travail. Je crois que ces éléments sont plus importants pour les lectrices d’aujourd’hui que des milliers de petits détails historiques. Je travaille dur pour que les détails historiques soient justes, et pour en inclure autant que je peux, mais l’histoire d’amour vient toujours en premier.

8- Comment faites-vous la part entre l’originalité et le fait d’offrir aux lectrices exactement ce qu’elles veulent ?
J’essaie de donner aux lectrices ce qu’elles souhaitent, mais avec mes propres valeurs et mon goût naturel pour les intrigues échevelées. Par exemple, je sais qu’un pilier des romances Régence est la scène de bal. Avec cela en tête, j’essaie de me débrouiller pour envoyer tout le monde au bal, mais « la
nuit du grand bal » n’est pas forcément la première chose que font mes personnages, ni la scène centrale du livre.

Ce qui rend une romance passionnante selon moi, c’est le conflit : quels éléments crédibles séparent ces deux âmes soeurs ? Et je trouve ce conflit en élargissant l’intrigue et l’éventail des personnages. Mes héroïnes restaurent des maisons, écrivent des guides de voyage, remettent sur les rails la maison d’édition familiale. S’il est logique d’avoir un bal parmi tous ces autres éléments, alors nous partons pour le bal. Mais le carnet de bal de l’héroïne n’est jamais ce sur quoi se focalise un roman de Charis Michaels.

Personne n’est plus frustrée que moi lorsque je vais à un concert pour entendre les plus grands tubes et que le groupe commence par de nouvelles chansons. C’est pour écouter les standards que j’ai acheté un billet. C’est la même chose pour la littérature de genre : nous voulons écouter nos mélodies favorites. Je comprends les attentes des lectrices et j’essaie de les satisfaire, mais d’une manière qui imprime ma propre patte et originalité sur les éléments classiques de la Régence.

9- Quels sont les pièges à éviter pour les nouveaux auteurs ?
Je pense immédiatement à deux dont j’ai été victime. Le premier est d’ignorer les règles du genre que vous avez choisi, ce qu’on appelle aussi essayer de réinventer la roue à sa façon. Et le second est plutôt un conseil : échanger des pages avec un autre auteur en qui vous avez confiance et qui vous fera des suggestions franches à propos de votre travail.

Travailler avec un critique partenaire est exactement ce que tout bon professeur d’écriture vous serinera. Il est impossible d’être vraiment objectif sur son propre travail, et des retours d’autres auteurs sont absolument nécessaires (votre maman ne compte pas). De même, on apprend énormément en lisant le travail d’autres auteurs.

Le premier piège n’est pas forcément enseigné, mais ignorer les règles m’a coûté des années sur le chemin de la publication. Les attentes et spécificités de tout genre existent en fait pour aider les auteurs en herbe, pas pour les brider. Les injonctions telles que « ignorez les règles ! » et « dépassez les limites », ou « soyez originales » sont utiles par la suite, à mon avis. Mais au début, je pense que les nouveaux auteurs feraient mieux de simplement écrire ce que les éditeurs semblent attendre. Je pense avoir perdu cinq années à galérer parce que je refusais, par exemple, de respecter un nombre de mots. Mon premier manuscrit abouti faisait 160 000 mots, facilement le double de ce que les éditeurs de romance demandaient, mais j’étais trop têtue pour le couper. J’étais persuadée que chaque mot était essentiel. Je croyais aussi qu’il était tellement bon que les règles ne s’appliquaient pas à moi.

En y repensant, je grince des dents : « Qu’est-ce que j’avais dans la tête ? » J’étais également très réticente à focaliser mon livre sur l’histoire d’un seul couple qui tombait amoureux. Au lieu de cela j’avais un énorme éventail de personnages, avec des couples secondaires qui tombaient également amoureux, dont beaucoup avaient des chapitres entiers de leur propre point de vue. Je connaissais les règles, mais je choisissais de les ignorer. Le résultat c’est qu’aucun éditeur ne lisait ne serait-ce que le premier paragraphe parce que, dès le départ, ce n’était pas ce qu’ils recherchaient.

Vous aurez largement le temps d’enfreindre les règles et de repousser les limites après avoir goûté le succès en écrivant selon les spécifications qui, comme chacun le sait, fonctionnent. Mon conseil est d’appliquer avec enthousiasme les règles…

de laisser les attentes du genre vous ménager un espace de sécurité où vous pourrez parfaire votre technique et trouver votre voix. Après cela, libérez-vous et éclatezvous avec des temps et des points de vue bizarres, ou des nouvelles, ou tout ce que vous voudrez.
Si votre objectif est d’être publiée dans l’édition traditionnelle (ce qui, il faut bien le dire, n’est plus celui de tout le monde) étudiez ce que la maison d’édition ou l’éditeur recherche, et écrivez cela… à la lettre. Gardez l’originalité ultime pour quand vous aurez publié deux ou trois livres. Et trouvez-vous un critique partenaire !

10- Quels sont vos livres préférés ?
Oh, combien de temps avez-vous ? En romance, j’adore Le prince des débauchés (Lord of scoundrels) de Loretta Chase et j’adore Un tempérament de feu (I kissed an Earl) de Julie Ann Long. Tous deux ont ce qu’on appelle un héros torturé et une héroïne très indépendante, ce qui est ma combinaison préférée.
En fiction générale, j’aime Des nouvelles du monde (News of the world) de Paulette Jiles. C’est un roman historique qui se déroule au Texas, l’état dont je suis originaire, et raconte l’histoire d’une petite fille rendue aux colons blancs après avoir été prisonnière pendant cinq ans des indiens.
En roman féminin, j’aime Jamais deux sans toi (One plus one) de Jojo Moyes, au sujet d’une serveuse qui tombe amoureuse du millionnaire d’internet qui aide sa fille surdouée en maths. J’adore aussi Petits secrets, grands mensonges (Big little lies) de Liane Moriarty. Il a été adapté aux USA en une série télé, que je n’ai pas aimée, mais le roman est brillant.

Pour terminer, un de mes livres préférés de tous les temps est un album pour enfants sur la valeur de la créativité et du conte : Frédéric (Frederick) de Leo Lionni. Un mulot nommé Frédéric est la feignasse de service dans une colonie de mulots très actifs. Tous les mulots, sauf Frédéric, triment pendant l’été pour se préparer à l’hiver à venir. Quand il semble que Frédéric ne travaille pas, les autres mulots se plaignent. Frédéric passe pour feignant, mais en réalité il réunit la nourriture créative dont il a besoin pour divertir tous les autres mulots par ses histoires colorées durant le froid, triste et ennuyeux hiver. Au final, lorsque les histoires de Frédéric amènent la beauté et le divertissement dans une période de désespoir, sa colonie comprend enfin la valeur d’un conteur. Ce petit livre est essentiel pour toute personne créative.

 

La page de l'auteur http://www.lesromantiques.com/?u=3209/Charis-Michaels

 


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