Le site francophone dédié au roman féminin

Charlotte de Bourbon Montpensier - Scandaleuse

Les Romantiques - 16/11/2018

Abbesse de Jouarre, Princesse d’Orange (1545-1582)

Année du scandale : 1572.
Epoque : Règne du roi Charles IX.
Objet du scandale : Abbesse de Jouarre contre sa volonté, Charlotte de Bourbon s’enfuit de son abbaye à l’âge de vingt-sept ans pour rejoindre l’Allemagne protestante, où elle abjure le catholicisme. Elle épouse Guillaume de Nassau dit « le Taciturne », prince d’Orange, dont elle est la troisième épouse.

Charlotte de Bourbon Montpensier est née vers 1545, très certainement à Paris. Elle est la quatrième fille de Louis II de Bourbon Montpensier, duc de Montpensier, et de sa première épouse, Jacqueline de Longwy, qui auront au total six enfants : un fils, François, l’héritier, et cinq filles, dont trois seront destinées à la religion, dont Charlotte. Elle est issue d’une grande lignée : son père est le cousin du futur Henri IV, et prince du sang. Sa mère est la nièce de François 1er, et la soeur de l’évêque de Langres.

Le duc de Montpensier est un fervent catholique, alors que son épouse Jacqueline soutient plutôt en secret les idées de la Réforme, c’est-à-dire les protestants. Dans le couple, le duc Louis s’occupe de l’éducation de ses filles : s’il consent à ce que l’aînée, Françoise, née en 1539, se marie (avec Henri de La Mark, prince de Sedan) ainsi que la cadette, Anne, née en 1541, (avec François de Clèves, comte d’Eu), il enverra dès leur plus jeune âge les trois autres (Jeanne née en 1540, Charlotte née en 1545 et Louise née en 1548) dans des couvents catholiques, afin qu’elles entrent en religion.

Certaines sources expliquent le choix du couvent pour ses filles en précisant que le duc de Montpensier est un avare, qui ne souhaite pas payer de dot pour elles, et qu’il veut que son fils unique, François, récupère son héritage de façon pleine et entière. C’est ainsi qu’à l’âge de quinze jours (!), la jeune Charlotte est envoyée à l’abbaye de Jouarre où sa tante maternelle, Louise de Longwy, est abbesse. Dans l’idée du duc, sa fille doit entrer au couvent, puis renoncer à son héritage, et ensuite devenir abbesse de Jouarre à la mort de sa tante. Mise dans la confidence, la Reine et Régente, Catherine de Médicis, a donné son aval pour que la jeune Charlotte succède à sa tante lorsque celle-ci rendra son âme à Dieu.

Or Charlotte, contrairement à ses soeurs destinées à d’autres couvents (Jeanne est expédiée à l’abbaye de la Règle, près de Limoges, et Louise à celle de Faremoutiers), manifeste très tôt son refus de devenir nonne. Cette vocation n’est pas la sienne, et elle se confie à sa mère lors des rares visites de celle-ci. Cette dernière, pourtant secrètement attirée par la religion protestante, tente de rassurer sa fille : son avenir est de devenir abbesse de Jouarre, donc d’avoir un titre, une rente et un rang dignes de son sang. Même si Jaqueline de Longwy comprend les sentiments de sa fille, elle est bien impuissante pour aller à l’encontre des souhaits du duc, son époux.

Lorsque Charlotte a douze ans, sa tante meurt en lui remettant la crosse d’abbesse. Ses parents expédient auprès d’elle l’abbé de Lenter, pour contraindre la jeune fille à entrer dans le rang et accepter la position d’abbesse de Jouarre. Pour ce faire, celui-ci menace Charlotte de l’envoyer à l’abbaye de Fontevraud, où son père demandera qu’elle soit maintenue en « fosse de religion » si elle s’obstine dans ses cris et ses pleurs. Vaincue, l’adolescente accepte de prendre la tête d’une riche abbaye qui possède 1 662 hectares de terres parmi les plus riches du royaume, lesquelles tombent ainsi sous le joug des Bourbon Montpensier, à la grande satisfaction du duc.

A treize ans, Charlotte de Bourbon Montpensier prononce, le 17 mars 1559, ses voeux perpétuels et devient abbesse de Jouarre. Pendant les six années qui suivent, elle va continuer à tenter de convaincre son père qu’elle n’a pas la vocation religieuse. Son rôle n’est pas facile, elle doit tous les jours commander à des religieuses qui ont l’âge d’être sa mère, voire sa grand-mère. Elle va même jusqu’à établir un document devant notaire, précisant qu’elle est abbesse contre sa volonté. Il contient des dépositions de religieuses de Jouarre attestant de ce fait. Le duc refuse d’en tenir compte.

Cloitrée dans son couvent, Charlotte est tout de même au courant des événements du monde extérieur, et suit notamment avec intérêt l’influence grandissante des protestants, que l’on appelle les huguenots. La mort de sa mère, Jacqueline de Longwy, alors qu’elle n’a que seize ans, la pousse à se rapprocher des protestants, et notamment de leur chef, l’amiral Coligny. Celui-ci a un ami pasteur, Averly, qui entre en contact avec Charlotte. Il lui apprend les persécutions dont sont victimes les huguenots au sein du royaume de France, et leur sort émeut la jeune femme. Discrètement, elle entre en correspondance avec Jeanne d’Albret, Reine de Navarre et mère du futur Henri IV, qui est une ardente protestante et aussi une parente.

Cette dernière comprend les sentiments de la jeune abbesse, forcée de subir une existence qu’elle n’aime pas, et lui conseille carrément de s’enfuir en Allemagne, berceau du protestantisme, car selon Jeanne d’Albret, jamais le duc de Montpensier n’écoutera les plaintes de sa fille ; il la fait d’ailleurs surveiller étroitement au sein même de l’abbaye de Jouarre. Les relations entre le père et la fille se sont encore dégradées lorsqu’il s’est remarié, en février 1570 (à cinquante-sept ans), à la très jeune et très jolie Catherine de Lorraine, seulement âgée de dix-huit ans, qui est de surcroit issue de la famille des Guise, des ultra catholiques.

Petit à petit, Charlotte commence à ébaucher un projet d’évasion et de fuite : elle a alors vingt-sept ans. Avec l’appui financier de la Reine de Navarre, elle organise une visite officielle à sa soeur à l’abbaye de Faremoutiers, et un chariot tiré par quatre chevaux quitte au petit matin du 6 février 1572 l’abbaye de Jouarre. Il transporte l’abbesse Charlotte et quatre de ses religieuses acquises à sa cause.

Le chariot chemine vers l’Est et arrive rapidement à Strasbourg, qui est alors une terre d’Empire appartenant à l’Allemagne. Là, Charlotte retire sa tenue blanche d’abbesse et revêt des vêtements de dame, jusqu’à la destination finale de son voyage, le château d’Heidelberg, où l’attend l’électeur palatin, Frederic III. Ce dernier, un correspondant et ami de Jeanne d’Albret, recevra Charlotte comme sa fille et, une semaine plus tard, elle abjure le catholicisme lors d’une cérémonie organisée par le pasteur Taffin.

A Jouarre, lorsque les religieuses s’aperçoivent que l’abbesse a bel et bien disparu, elles alertent le duc de Montpensier. Ce dernier, qui devine très vite la fuite de sa fille, est fou de rage. Il ordonne qu’elle soit ramenée en France morte ou vive, et va lui-même en faire la demande auprès du jeune roi Charles IX. Il se sent humilié et bafoué par cette fille ingrate, à qui il a donné une position plus qu’enviée. Lorsqu’il apprend qu’elle est devenue calviniste, il frise l’apoplexie. Il se venge la nuit de la Saint Barthélémy, en août 1574, en massacrant les protestants dans tout Paris, ce que ne lui pardonnera jamais sa fille.

Séparée d’un pays qui la renie, Charlotte se fait de nouveaux amis à Heidelberg. A vingt-sept ans, elle peut enfin rêver de vivre sa vie. Elle est plutôt jolie, c’est une grande brune aux yeux bleus, et se fait remarquer par sa bonté et sa charité. Son attachement véritable à la religion réformée lui ouvre les portes des protestants de l’étranger, qui viennent chercher refuge à Heidelberg. Or il en est un qui va attirer immédiatement l’attention de la jeune fille, et faire battre son coeur : il s’agit de Guillaume, prince d’Orange et comte de Nassau, qui a émancipé les Pays Bas du joug des espagnols. Il a reçu le surnom de « Taciturne ».

Il a douze ans de plus que Charlotte, mais c’est un bel homme au physique imposant, et surtout un prince de religion protestante. Il fait figure de héros dans son pays, mais hélas, il est alors marié à Anne de Saxe (une catholique allemande), sa deuxième épouse. Or cette union est malheureuse, la jeune femme est tombée dans une semi-folie, puis elle a pris un amant marié, Jean Rubens (père du futur peintre) et a même eu une fille avec lui. Le scandale a été énorme, et Guillaume d’Orange a entamé les démarches pour la répudier. Prisonnière, affamée, livrée à elle-même, Anne de Saxe finit par signer les papiers de sa répudiation. Dès lors, Guillaume d’Orange peut faire sa demande en mariage à la jeune Charlotte de Bourbon Montpensier.

Cette dernière reçoit donc la proposition de mariage d’un homme nouvellement divorcé, père de cinq enfants (nés de ses deux premières unions) et fortement endetté. Guillaume d’Orange est beau, mais pauvre comme Job. Elle-même n’a aucune dot à lui apporter. Il lui offre une existence peu sûre, mariée à un homme d’action dont la tête pourrait être mise à prix et dont la fortune est très aléatoire. Mais Charlotte est fascinée par ce prince protestant, héros dans son pays, d’un naturel honnête et qui n’a jusque-là pas été très heureux en amour. Et puis quelle belle revanche pour elle que de devenir princesse d’Orange ! Quel pied de nez à son père, le duc de Montpensier !

Par l’intermédiaire de sa tante Jeanne d’Albret, elle sonde le roi de France, à présent Henri III, qui répond qu’il est favorable à une telle alliance. Le père de Charlotte refuse d’entendre parler de ce mariage : pour lui, sa fille est mariée à Dieu, et le prince d’Orange est toujours uni à Anne de Saxe. Pour Charlotte, peu importe la parole de son père, qui est à ses yeux le duc assassin des Huguenots de la Saint Barthélémy, elle a reçu l’aval du roi de France
et va donc agir selon son coeur. Elle gagne les Pays Bas et entre à Brielle, en Zélande, où Guillaume l’attend, le 5 juin 1575. Leur union est bénie par un pasteur le 12 juin. L’entente du couple réjouit les hollandais, et la belle-famille de Charlotte l’accueille avec joie.

Le frère de Guillaume, Jean de Nassau, qui était contre ce mariage au départ, reviendra sur ses sentiments en disant de Charlotte qu’elle « se distinguait par sa vertu, sa piété, sa très grande intelligence, et qu’elle était la femme idéale pour son frère Guillaume ». En effet, dans les premiers mois de son mariage, des libelles injurieux traitent Charlotte de Bourbon « d’abbesse défroquée ».

La calomnie n’atteint pas Guillaume de Nassau, qui protège sa jeune femme. Les époux s’installent à Anvers, et le roi Henri III fait parvenir à Charlotte un acte notarié où il enjoint le duc de Montpensier, son sujet, de faire bonne figure et d’approuver le mariage de sa fille avec un prince d’Orange. Vaincu par les remontrances de son roi, le duc donne du bout des lèvres sa bénédiction.

Le mariage de Guillaume et Charlotte est heureux : elle se dévoue à son époux et tombe enceinte chaque année. En sept ans de mariage, elle lui donnera six filles. Huit mois après leur union, le 31 mars 1576, Charlotte de Bourbon Montpensier donne naissance à Delft, en Allemagne, à Louise Juliana. Ensuite les naissances vont se succéder. Le 26 mars 1577, Elisabeth Flandrine à Middleburg, aux Pays Bas.

Le 3 juillet 1578, Catherine Belgica à Anvers, en Belgique. Le 18 août 1579, Charlotte Flandrine à Anvers, en Belgique. Le 17 septembre 1580, Charlotte Brabantine à Anvers, en Belgique. Le 9 septembre 1581, Amalia Antwerpiane à Anvers, en Belgique. Malgré ces naissances rapprochées, Charlotte sera un véritable soutien pour son époux lors de ses nombreuses absences : elle entretiendra une longue correspondance avec lui et les officiers des Provinces révoltées. Elle a aussi une correspondance suivie avec Henri de Navarre (futur Henri IV), chef des protestants en France, et avec son frère, François de Bourbon Montpensier.

Elle tentera de lutter contre la décision de son père, qui l’a déshéritée lors de son départ du couvent, afin de récupérer de l’argent pour soutenir sa nouvelle famille, car son mari s’est lourdement endetté pour faire la guerre contre les espagnols. Afin d’obtenir le soutien des Provinces révoltées, Guillaume ajoutera au prénom de chacune de ses filles le nom d’une des provinces (Brabantine, Flandrine, etc…) qui accepteront de verser un subside tout en devenant marraine de l’enfant.

En 1581, le prince d’Orange est déclaré hors la loi par les espagnols, et sa tête est mise à prix par le roi Philipe II. Les Pays Bas sont encore plus dévoués à leur prince, et dénoncent leur allégeance au roi d’Espagne pour prononcer leur indépendance.

Le 18 mars 1582, un attentat est perpétré contre Guillaume d’Orange par un espagnol, qui tire sur lui avec un pistolet : la balle traverse les deux joues (en évitant la langue et les dents), et provoque une importante hémorragie. Il est soigné par Charlotte avec dévouement pendant cinq longues semaines d’angoisse, où la blessure se rouvre fréquemment. Epuisée, elle demeure au chevet de Guillaume nuit et jour. Mais elle a bientôt des accès de fièvre et des difficultés à respirer. Elle doit, elle aussi, s’aliter et les médecins constatent son affaiblissement, dû à une santé fragilisée par ses nombreuses grossesses. De nos jours, on pense qu’elle succomba à une pneumonie. La légende romantique veut qu’elle ait perdu la santé en soignant son mari bien-aimé.

Le 5 mai 1582, Charlotte rend son âme à Dieu, âgée de seulement trente-six ans. Fou de chagrin, Guillaume d’Orange s’isole pendant des mois, mais ses conseillers lui demandent de se remarier sans attendre, ne serait-ce que pour donner une mère à ses onze enfants. Le 24 avril 1583 il se marie pour la quatrième fois, à une française protestante, Louise de Coligny, fille de l’amiral assassiné durant la Saint Barthélémy, et veuve d’un époux tué aussi durant la Saint Barthélémy. Louise de Coligny va élever les filles de Charlotte comme si elles étaient les siennes. Elle donnera aussi à Guillaume un fils, Frederick Henri, né le 29 janvier 1584.

Six mois après cette naissance, Guillaume de Nassau, prince d’Orange, est assassiné le 10 juillet par Balthazar Gerard (un catholique hollandais favorable aux espagnols, qui ont promis une récompense de 25 000 écus à qui tuera le prince). L’assassin réussit à s’introduire dans le palais de Delft et tire sur Guillaume à trois reprises. Celui-ci succombe quelques minutes plus tard. Arrêté, son assassin est exécuté dans d’atroces souffrances : sa main droite est brulée au fer rouge, sa peau arrachée de ses os en six endroits avec une tenaille ardente ; il est écartelé, son coeur extrait de son corps et jeté au visage. Il est ensuite décapité, sa tête est empalée sur une perche et placée devant la maison du prince d’Orange.

Les filles de Charlotte et Guillaume seront donc élevées par Louise de Coligny : trois seront mariées à des princes allemands protestants, et deux à des princes français protestants : Elisabeth épouse Henri de la Tour d’Auvergne, et son fils sera le Grand Turenne, Charlotte Brabantine épouse Claude de la Trémoille.

Le destin de la dernière, Charlotte Flandrina, sera un peu particulier : à la mort de sa mère, son grand père, le duc de Montpensier, la réclame à son gendre Guillaume, qui l’expédie en France. Comme si elle devait expier la faute de sa mère, son grand-père l’élève dans la religion catholique et demande pour elle l’abbaye de Sainte Croix de Poitiers. La jeune fille abjure la foi protestante pour devenir abbesse. Elle sera l’une des abbesses les plus intransigeantes de l’abbaye de Poitiers, réclamant la clôture et se conformant à une application stricte de la religion catholique.

Le vieux duc de Montpensier peut mourir tranquille, le 23 septembre 1582, sa petite-fille ayant effacé le déshonneur causé par sa fille Charlotte, l’abbesse renégate qui avait voulu vivre selon ses désirs.

Lafouine77

Sources :
« Folles ou sages : les abbesses de l’ancienne
France » de Louis Dollot.
« Charlotte de Bourbon » de Jules Delaborde.


Commentaires

Cet article n'a aucun commentaire, ajoutez le vôtre !

Prénom ou pseudo * :
(Gardez toujours le même pseudo. Les lectrices qui partagent vos goûts pourront ainsi suivre vos commentaires.)
Email :
(Votre email ne sera pas affiché sur le site. Il nous permettra simplement de vous envoyer un petit mot de remerciement.)
Commentaire :
Signature :
 

* : champ obligatoire

Les commentaires sont temporairement désactivés

Les Romantiques sur Twitter  Les Romantiques sur Facebook  Rechercher un livre

 

 

 

 

© Copyright 2012 Les Romantiques
Webdesign Priscilla Saule