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La traduction

Agnès - 11/10/2018

L’une des tables rondes du Festival du Roman Féminin 2018 portait sur la traduction. Etaient présentes pour en discuter Eléonore Kempler, qui traduit de l’anglais vers le français dans différents genres (chick-lit, urban fantasy, romance, la série La confrérie de la dague noire à partir du tome 7) et qui elle-même a écrit une série de romances ; Luce Michel, qui traduit de l’anglais vers le français chez plusieurs éditeurs et est journaliste et auteur de romans ; Athina Papa, qui traduit de l’anglais vers l’italien et inversement, et a monté une coopérative de traducteurs entre les Etats-Unis et l’Europe, et en Europe même entre la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et le Portugal, et qui travaille exclusivement avec des auteurs indépendants ; et Camille Mofidi de Kobo Writing Life en tant qu’animatrice.

Camille : Commençons par la façon dont vous en êtes venues à la traduction.

Eléonore : J’ai fait des études d’Histoire et de Japonais, et j’ai trouvé un boulot de bureau dans lequel je m’ennuyais. Ma bellesoeur est traductrice aux éditions Gallmeister, ce qui n’est pas du tout la même chose, un jour elle m’a dit que les éditions Milady cherchaient des traducteurs et j’ai postulé. Quand j’ai commencé j’étais très stressée à chaque fois que je rendais un livre, j’avais peur qu’on trouve ça nul, mais maintenant j’ai suffisamment d’expérience.

Luce : Moi j’ai fait des études de Lettres et j’ai commencé à travailler en tant que journaliste, puis j’ai repris des études d’Anglais. Une de mes tantes m’a suggéré de faire de la traduction, j’ai répondu que je n’étais pas bonne en anglais, et elle m’a répondu qu’il fallait être bonne en français. J’ai commencé à traduire en Presse masculine essentiellement, puis j’ai décroché ma première traduction pour les éditions Noir sur Blanc. Puis, par hasard ou par chance, j’ai rencontré quelqu’un de chez J’ai lu qui m’a confié Nalini Singh, ce qui a été ma première traduction chez eux.

Athina : Je pense que je suis née traductrice. Je suis née aux Etats-Unis, ma mère parlait italien, mon père parlait français et espagnol, et j’ai grandi avec toutes ces langues. Quand j’étais petite, un jour ma grand-mère était à la maison quand le banquier est venu pour le crédit immobilier alors que mes parents étaient absents, et j’ai traduit pour elle en italien et pour le banquier en anglais. Et j’ai su à l’âge de quatre ans que je voulais être traductrice. J’ai quitté les Etats-Unis pour venir étudier les langues en Europe, et alors que je finissais mon cursus universitaire un professeur m’a demandé si je voulais traduire George Eliot, Middlemarch, qui a été ma première traduction majeure.

Camille : Quand on est traductrice, comment choisit-on sa ou ses langues ? Est-ce qu’on peut traduire dans les deux sens ou est-ce qu’il y a des règles ?

Athina : On traduit toujours vers sa langue maternelle. Je suis une exception parce que j’ai deux langues maternelles. Je ne suis pas la seule, mais il faut toujours aller vers sa langue la plus forte, pour que ce soit parfait, que ce soit beau.

Eléonore : Effectivement, toujours de la langue étrangère vers la langue maternelle.

Camille : Et est-ce qu’on doit se spécialiser sur un genre ou peut-on aller vers tous les genres ?

Eléonore : Je pense que la règle c’est que les éditeurs nous spécialisent sur un genre. J’ai un CV qui est presque exclusivement dans la littérature de genre, pour aller démarcher des  éditeurs qui font de la littérature traditionnelle, générale, j’ai intérêt à me retrousser les manches, à dire que je suis très très motivée et que je peux leur montrer. On est très facilement catalogué, surtout quand on fait ce genre de littérature.

Luce : Moi j’ai commencé chez J’ai lu avec Nalini, et à l’époque il y avait plus de textes comme ça. J’ai fait aussi Marjorie M. Liu, que j’adorais, la série Demoniaque qui s’est arrêtée à ma grande peine, car j’aimais beaucoup cet univers. Ensuite j’ai commencé à traduire en romance chez J’ai lu, et on m’a proposé des polars Marabout, mais on reste en littérature de genre. C’est vrai qu’on reste dans la même chose, et il y a un rapport de confiance qui s’établit avec les éditeurs, qui est vraiment très personnel et grandit au fil du temps, et c’est tellement agréable aussi de travailler avec des éditeurs qu’on connait et qui nous connaissent – la personne, l’éditrice avec laquelle on travaille. Pour moi ça n’a pas de prix de pouvoir travailler avec des gens qui peuvent être conciliants, m’accorder un peu plus de temps si j’ai un problème, qui me connaissent suffisamment pour me dire : telle série va te plaire. Et c’est un luxe qui fait que je n’ai pas vraiment envie d’aller voir ailleurs comment ça se passe.

Camille : Et toi Athina, au niveau des auteurs que tu traduis, tu es du côté de la littérature de genre finalement ?

Athina : Tout à fait. Les traducteurs avec lesquels je travaille ont aussi des genres préférés, mes préférés sont le roman féminin, le romantic suspense plus ou moins sexy, la romance historique, mais bien sûr nous nous étendons vers d’autres domaines. Dans mon groupe, certaines de mes collègues et moi faisons des traductions plus techniques, juridiques, voire médicales, parce que s’étendre dans d’autres domaines rend plus fort et permet de s’améliorer.

Eléonore : Il y a une différence en France, c’est le statut. Quand on fait de la traduction littéraire on est en droits d’auteur, quand on fait de la traduction technique on est soit autoentrepreneur, soit indépendant. Du coup ce n’est pas le même système de sécu, de cotisations, de rémunération, de retraite, donc faire les deux c’est rajouter beaucoup d’emmerdes administrativement. Je préfère la traduction littéraire parce que ça raconte une histoire. J’ai fait de la traduction technique pour rendre service, mais ce n’est pas très palpitant. Je préfère traduire une histoire de a à z, on rigole ou pas, mais au moins il se passe quelque chose.

Camille : Oui c’est un point très important, dans la traduction littéraire on reste dans l’oeuvre, dans la création. C’est ce qui fait tout le sel de votre métier, vous arrivez à rendre l’esprit du livre, l’univers, la plume de l’auteur. Comment faites-vous ça ?

Luce : Ce n’est pas évident du tout, ça dépend des auteurs. Il y en a qui sont très marqués dans leur univers, qui inventent des mots, et d’autres c’est plus traditionnel, l’histoire ne demande pas une intervention énorme. Mais c’est toujours délicat, et de s’approprier l’auteur, et de le rendre. Il peut y avoir des problèmes de niveaux de langage par exemple, avec un anglais très grossier et on sait qu’en français ça ne va pas forcément passer. Il y a la datation des mots aussi, par exemple un mot anglais qu’on peut traduire par mince, flute, crotte, saperlipopette, ça va être un choix du traducteur et de l’éditeur, de dire vers quoi on s’engage par rapport à l’oeuvre originale, et aussi aux lectrices. Parce que c’est vrai que les lectrices de romance, elles ont quelque chose de très particulier, c’est que souvent elles lisent le texte en anglais, ce qui n’est pas le cas dans la littérature générale, elles ont une très très bonne connaissance des oeuvres de l’auteur qu’on traduit et de son univers, et pas uniquement de la série sur laquelle on est, donc c’est vraiment des lectrices hyper exigeantes, bien plus qu’un lecteur lambda qui ne sait même pas si le livre qu’il a dans la main a été traduit ou pas, et qui s’en fout.
Donc il y a tout ça qui entre en jeu. Après, quand on est seul face à l’ordinateur, on n’y pense pas forcément, on essaie de rendre un texte qui se lit en français. Et parfois, ça n’arrive pas sur du Nalini mais sur d’autres auteurs, le texte en anglais n’est pas bon ou est moyen, ça arrive, donc on sait très bien qu’il a été acheté pour d’autres raisons que sa qualité littéraire. Surtout qu’en français il faut qu’il soit lisible, donc si vous rendez un équivalent en français on va vous le jeter à la figure. Il faut retravailler le texte, tout en restant quand même collé à la pensée de l’auteur, et c’est beaucoup plus dur à traduire qu’un texte qui est bon.

Eléonore : Un texte qui est bon on est porté en fait, l’auteur t’emporte tout de suite et à toi de lui donner exactement sa voix. Il n’y aura pas de « retouches » à faire, il suffit de suivre le mouvement. Un auteur qui ne va pas très bien écrire, qui a été acheté parce que quand même l’histoire est captivante et que ça s’est très bien vendu, on sait que ça va très bien se vendre en France, mais dont le style est heurté ou avec énormément de répétitions, en anglais les répétitions ce n’est pas mortel, en français c’est une catastrophe.

Athina : He said, she said (Il dit, elle dit).

Eléonore : C’est ça. Du coup parfois il faut qu’on privilégie la fluidité, et effectivement le niveau de langage, notamment dans les scènes érotiques. Il y a des scènes érotiques où on est en caméra embarquée, en tout cas dans la romance plus facilement, on se retrouve avec des termes très crus et on se dit : si jamais il dit ça en français, c’est même plus du porno, c’est un truc qui a été fait dans un garage.

Camille : Du coup vous faites quoi ?

Eléonore : On essaie d’atténuer un peu quand même.

Luce : Ce qui est dur en anglais, c’est que l’action est très découpée, donc on va avoir : il tend la main, il caresse la joue… En français on ne va jamais dire ça, on va dire directement : il lui caresse la joue, on n’a pas besoin de tout. Et les scènes érotiques sont aussi découpées comme ça. Donc il faut rester encore une fois sur ce que l’auteur a voulu dire. Le mot qui nous pose le plus de problème, c’est fuck. Dans les textes anglais on le trouve énormément, et on ne peut pas toujours traduire par : baise-moi. Selon le côté hot de la scène, ça peut passer, mais il faut trouver d’autres formules. En même temps, si c’est un truc hyper chaud, c’est sûr que la nana n’est pas en train de dire : j’ai envie de toi, embrasse-moi tendrement. Non, elle est en train de dire un truc beaucoup plus fort. Donc il faut éviter le baise-moi, mais il faut trouver quand même quelque chose en français qui permette de voir la violence du désir du mâle, ou de la femelle, selon la scène.

Camille : Ça c’est spécifique à la traduction depuis l’anglais, non ? Athina, dans d’autres langues, est-ce que l’expérience d’Eléonore et de Luce tu la retrouves toi aussi ?

Athina : Depuis l’anglais vers l’italien, le français, l’allemand ? Vous savez le français ressemble beaucoup à l’italien, l’allemand a d’autres choix. Et il y a comme une tradition du vocabulaire sexuel selon la culture. Je pense que les traducteurs professionnels vont se tourner vers ces traditions pour exprimer la même chose de la façon dont on le fait en italien, en français, ou en allemand. Et il y a un autre élément, je ne parle pas du sexe, mais dans les relations personnelles : en anglais c’est toujours you, avant de s’embrasser, après s’être embrassés, après avoir couché ensemble, c’est toujours you. Nous avons à déterminer quand on commence à tutoyer, quand on devient moins formel. C’est pareil en français, en italien, en espagnol, même en allemand. De façon intéressante, dans notre groupe nous avons traduit le même auteur dans plusieurs langues sans s’en parler les uns les autres. Après coup nous avons découvert que nous avions tous choisi la même scène pour passer au tu. Dans la romance historique, quelquefois il y a un baiser mais la femme n’a pas encore décidé qu’elle voulait une relation amoureuse, et je pense que c’est toujours censé être voi en italien, ou vous en français. Et quand la femme décide, on peut passer au tu.

Luce : Ce que tu dis qui est très juste, c’est que les scènes d’amour font effectivement référence à une culture. La culture américaine est très différente de notre culture, et même de la culture britannique. Les gens savent qu’ils lisent un livre traduit de l’anglais, traduit de l’américain, ils savent bien que ce n’est pas la même culture. Il faut donc garder les codes culturels de la langue d’origine, mais rendre ça lisible dans la langue du lecteur.

Camille : Justement, quand parfois vous vous posez des questions, est-ce que vous êtes amenées à en parler à d’autres traducteurs ou traductrices ? Est-ce que c’est un réseau qui peut aider ?

Eléonore : Moi j’appelle souvent à l’aide, notamment sur Facebook, pour savoir si quelqu’un a des connaissances sur un sujet précis. Ça m’est arrivé avec des trucs sur les paris de courses hippiques, j’étais complètement larguée. Ça m’est arrivé d’appeler un copain ingénieur au CERN, parce que j’avais un personnage qui était censé être un ingénieur spécialisé dans la conception de fusées, je lui ai envoyé un message désespéré en disant : j’ai traduit un truc mais je ne sais pas du tout ce que ça veut dire, aussi bien en anglais qu’en français, est-ce que tu peux me dire si c’est juste scientifiquement ? Il m’a dit : là oui, là ça relève de la science-fiction, mais vu le texte de base que tu as, tu ne peux pas faire autrement. Après, Angela Morelli et moi-même sommes traductrices un peu sur le même genre de séries, et ça arrive parfois qu’on s’envoie des messages pour évacuer un peu le stress et faire retomber la pression.

Luce : Moi j’appartiens à l’Association des Traducteurs Littéraires (ATLF) et on a une liste de diffusion, et j’avoue que ça a changé complètement ma vie à partir du moment où j’ai adhéré, parce que tout le monde peut participer, et les questions peuvent être aussi bien techniques que sur les contrats, ou tout et n’importe quoi. C’est vrai que c’est vachement sympa de pouvoir envoyer un message genre : Je cherche une citation est-ce que quelqu’un l’a en français ? Et en deux minutes quelqu’un répond, parce qu’il a une bibliothèque grande comme ça et bien rangée. Ou ça peut être effectivement : J’ai cette phrase, je ne sais pas trop, je ne comprends pas vraiment le sens. Parce qu’il y a des phrases parfois sur lesquelles on butte, ou on ne voit pas les choses les plus évidentes parce qu’on est fatigué ou autre. Donc ça, ça m’aide vraiment.

Camille : Parce que l’ATLF ce n’est pas que pour les traducteurs de littérature générale ?

Luce : Non c’est pour les traducteurs littéraires, donc à partir du moment où vous avez un contrat signé chez un éditeur, vous pouvez adhérer à l’ATLF. Bon, ils peuvent être un peu élitistes, mais on essaie de changer ça. Ca a vraiment changé ma vie parce que le côté solitaire de ce travail a été dur, et là d’un coup il y a plein de voix dans la journée, et c’est vachement sympa.

Camille : Et toi Athina, tu n’as pas une expérience solitaire de ce travail ?

Athina : Non, parce que comme je me suis toujours sentie très seule comme traductrice, je travaille toujours avec d’autres traducteurs. Dans mon expérience passée, je gérais des projets comme de l’anglais à l’italien, donc j’avais l’habitude de travailler avec huit ou neuf autres collègues et gérer l’homogénéité de leur travail. Mais c’était dans un autre domaine. Mais dans le domaine littéraire, c’est toujours seulement toi en tant que traductrice principale, parce que tu dois entrer dans la tête de l’auteur. J’ai créé cette coopérative et nous travaillons de la même façon. Il y a des brainstormings et des discussions dans le groupe de même langue, entre les groupes de langues différentes, et s’il y a une phrase difficile en anglais, s’il y a de l’argot, alors nos collègues vont se tourner vers les américains du groupe, ou dans notre réseau de collègues, pour trouver le sens correct.

Camille : Et qu’en est-il de la relation avec l’auteur du texte d’origine ?

Eléonore : A titre personnel, en général elle est inexistante. Surtout qu’il y a un filtre qu’on appelle les agents littéraires, en particulier aux Etats-Unis, qui fait que normalement il faut contacter l’agent en France, qui va contacter l’agent aux Etats-Unis, qui lui-même va contacter l’auteur etc. Parfois on a la chance de soit rencontrer, soit contacter directement l’auteur, comme c’est mon cas avec Nancy Herkness sur ma traduction du moment, mais c’est relativement rare. D’un côté c’est dommage, parce que parfois on aurait des questionnements qu’on pourrait leur adresser directement, et de l’autre ça joue aussi le rôle de filtre, on se dit qu’on est seule face à son texte et qu’il n’est pas dans notre dos à nous surveiller.

Luce : Pendant longtemps j’ai eu une espèce de timidité je crois par rapport aux auteurs, donc je ne voulais pas les contacter de toute manière. Ecrivant aussi, je me demandais ce que j’allais pouvoir leur dire, et je n’avais pas de questions particulières sur le texte. Et en fait c’est sur les polars que j’ai commencé à contacter les auteurs, car même si elles ont des agents elles sont très visibles avec Facebook, Instagram… Donc j’en ai contacté une pour qui j’avais quelques questions sur le texte, que je n’ai pas osé lui poser parce qu’en fait son texte avait été très mal édité, et donc c’était bourré d’erreurs, ce qui dans un polar est tout de même gênant. On ne sait pas si l’héroïne a avorté deux fois, trois fois, quatre fois, elle a une grossesse qui dure dix-huit mois, j’exagère mais à peine, il y avait vraiment  des trucs énormes. Quand on lit le texte vite, on est pris par d’autres leviers de l’intrigue, donc on ne s’en rend pas forcément compte. Mais si on lit plus lentement, ou si on veut traduire, on s’en rend compte. Donc elle je l’avais juste contactée pour dire que je la traduisais, et elle avait répondu mais ça n’avait pas été plus loin. Et là, la dernière que j’ai traduite en polar, je l’ai contactée parce que vraiment j’ai eu un gros coup de coeur sur sa série, je trouve que c’est incroyable ce qu’elle a fait, et donc je lui ai dit que j’avais la chance de la traduire en français et qu’elle avait un super personnage, que l’intrigue était bonne, le texte aussi. Bref, je lui ai envoyé ma déclaration d’amour et elle a été très sympa, elle a répondu qu’elle était ravie et qu’il fallait qu’on se rencontre un jour.

Eléonore : Après il y a aussi le cas de l’auteur inaccessible. J.R. Ward est inaccessible, c’està- dire qu’une fois j’ai réussi à lui envoyer une question en passant par son agent français, qui en fait est une copine à moi, qui a contacté l’agent américain, qui a contacté une des assistantes de J.R. Ward, qui ensuite a envoyé un mail, mais c’était du ping-pong, tout ça parce que je n’avais pas compris une phrase dans un roman. J’ai quand même eu une réponse assez rapidement, mais j’avais écrit un mail hyper respectueux, c’était limite si je ne m’aplatissais pas en disant : excusez-moi je n’ai pas compris la profondeur de votre oeuvre. C’est vachement délicat, en plus on a l’impression qu’on passe pour une débile, en tant que traductrice, parce qu’on n’a pas compris ce qu’elle a voulu dire. La réponse était : oui effectivement je comprends qu’elle n’ait pas compris, parce que là j’ai fait un jeu de mots un peu obscur. J’ai respiré un grand coup.

Camille : Athina, toi tu n’as pas le filtre de l’agent finalement, est-ce que c’est plus facile ?

Athina : Nous n’avons pas les agents, les éditeurs et toute la maison d’édition, donc les auteurs savent dès le début qui va se charger du livre. Nous ne harcelons pas les auteurs, nous attendons habituellement que la traduction soit passée au moins à la deuxième relecture par le traducteur, s’il a toujours des questions. Quelquefois les questions ne peuvent pas être laissées pour plus tard, parce que ce n’est pas clair et on veut être sûr, et c’est compris dans tout le reste. Quelquefois les auteurs ont même changé cette phrase après que de nombreuses personnes l’aient trouvée obscure. Mais parfois nous avons besoin de changer par exemple la façon dont un personnage parle. Mettons que vous traduisez un livre en français, et il y a un personnage qui vient de France et vit en Amérique et parle avec un accent français. Alors que faire ? Comment parler en français avec un accent français ? On peut en faire un italien ou un espagnol, qui va parler avec un accent italien ou un accent espagnol, mais ce n’est pas ma décision. On écrit à l’auteur en disant : est-ce que ça va ? Et l’auteur va répondre en général : oui. Nous devons faire très attention, nous avons une feuille de suivi avec les suggestions de changements et les questions, et parfois une mauvaise rédaction qu’on ne comprend pas. Mais pour nous c’est naturel de toujours être en mesure de pouvoir leur parler. On leur donne le texte français, et le texte retraduit en anglais, on leur demande si c’est bon et on discute sur Skype tous ensemble.

Camille : Tu parlais de relecture ?

Athina : Nous avons un deuxième traducteur qui relit le traducteur principal. Ensuite nous en discutons, puis il y a une deuxième relecture par le traducteur principal, puis le formatage par l’auteur. S’il y a des problèmes de conversion ça revient au traducteur, qui le lit encore une dernière fois.

Camille : Et chez les traducteurs français ce n’est pas pareil ?

Luce : Eh bien je trouve que les traducteurs on n’en parle pas beaucoup, sauf quand ça ne plait pas au lecteur, là il se rappelle qu’il y a un traducteur soudainement, mais généralement c’est le but de notre travail, d’être invisible. Mais je trouve que ceux qui sont encore plus invisibles ce sont les relecteurs et les correcteurs, et c’est vrai qu’on a beau relire une traduction cinq ou six fois, on a peu de recul sur le texte. Et notamment chez J’ai lu, ils font un super travail. Je pense à celui qui travaille sur Nalini, David. Il faut quand même lui rendre hommage, parce que le texte part et me revient avec ses annotations, que j’accepte ou pas parce que parfois ça peut arriver que lui aussi fasse des erreurs, mais je pars du principe que s’il a changé une phrase en y introduisant un contresens, c’est que ma phrase n’était pas claire. Il faut donc que je remonte pour voir ce qui a pu, dans ma phrase française, l’amener à penser une chose qui n’était pas ce que je voulais dire, et qui n’est pas ce que dit le texte anglais.

Elénore : Les relecteurs ont la VO, ça leur permet de voir si ça colle.

Luce : Mais chez d’autres éditeurs les relecteurs travaillent sans la VO, ce qui est vachement bien parce que s’ils mettent un truc c’est que vous n’avez pas été fin sur la traduction. Et eux font un sacré boulot, parce que les auteurs et les traducteurs ont tendance à s’en plaindre, mais sans eux il y aurait des choses… Je me rappelle sur un Nalini où j’avais fait une erreur absolument monstrueuse, et il m’a sauvé la vie. Je ne sais plus quel épisode c’était de la série, mais ça se passe on va dire au Moyen-âge, et il y a ce petit ange qui regarde vers un Velux. Voilà.

Camille : Et une fois que vous avez rendu votre texte, il peut y avoir des allersretours avec le relecteur, mais une fois que cette partie est finie vous ne revoyez plus le texte jusqu’à ce qu’il soit publié ?

Eléonore : Jusqu’à ce qu’on reçoive nos justificatifs.

Luce : Et là je ne le relis pas non plus, parce que c’est toujours comme ça qu’on tombe sur une coquille, ou qu’on se dit qu’il y a encore une répétition dans la page, donc je n’ouvre pas les livres quand ils arrivent.

Eléonore : On les range, on les met dans la bibliothèque, où ils font joli.

Camille : Je voulais vous interroger sur la question des pseudos, par exemple toi Luce Michel c’est ton nom de traductrice…

Luce : Et d’auteur sur certains livres. Et j’avais plein de noms en presse, parce que ça me plaisait et que je travaille sur des titres très divers et variés. Je n’ai pas honte de ce que je fais sous mes autres noms, parce qu’il m’arrive de faire des interventions sous mes autres noms, mais c’est plus comme si je déclinais une marque, selon ce que je fais j’utilise tel ou tel nom. J’ai changé de nom en presse masculine, en presse people, en romance contemporaine.

Eléonore : Moi en traduction j’ai toujours le même nom, en tant qu’auteur de romance j’ai le même prénom mais pas le même nom. Pour ne pas mélanger, et parce que faire de la romance historique sous mon vrai nom, selon moi, ne faisait pas assez « français ». On voulait un nom qui soit plus français, ou qui donne l’impression que c’était français.

Athina : Moi aussi pour l’erotic suspense. Je  suis aussi interprète donc je ne veux pas que les deux domaines se rencontrent. Et dans ma coopérative il y a des gens qui sont aussi écrivains et ont des noms de plume, certains selon le genre, et d’autres parce qu’ils ne veulent pas mélanger le nom en tant que traducteur avec le nom en tant qu’auteur.

Camille : Et quand on est traducteur il y a un moment où on devient forcément auteur ?

Eléonore : Je pense, qu’on soit auteur, traducteur, ou correcteur – parce que j’ai aussi un job à temps partiel de correctrice dans un milieu professionnel totalement différent – à force d’être là-dedans on a toujours un rapport au texte, à l’écrit, à la langue qui fait qu’on a tout simplement envie. Peutêtre que les gens qui se retrouvent dans ce genre de métier sont des gens qui ont plus d’appétence pour l’écrit, l’écriture, le récit, des choses comme ça.

Camille : Et c’est plus facile du coup ?

Eléonore : A titre personnel, non. Parce qu’on se dit toujours : ça c’est une super idée, mais je ne peux pas la reprendre. Ou si je fais ça, mais c’est pas aussi bien que tel truc que j’ai traduit.

Luce : Moi j’ai commencé d’abord par l’écriture, en écrivant des essais, des enquêtes journalistiques, etc. Donc je ne me suis jamais posé la question. En fait, c’est deux métiers différents pour moi. La traduction interfère dans mon écriture, dans le sens où elle m’a permis d’acquérir une plus grande rigueur et un plus grand degré d’exigence sur le texte, puisqu’en traduction vous ne pouvez pas rendre un brouillon. Mais c’est tout.

Camille : Et dans votre cas, le fait d’avoir des gens qui sont déjà auteurs, c’est plus facile ?

Athina : Je pense que tous ces travails se rencontrent, nous écrivons tous. C’est juste que quand vous traduisez, le plus gros est déjà là. Je sais que beaucoup d’écrivains sont devenus de meilleurs écrivains parce qu’ils font de la traduction. Ils apprennent plus, ils vont à plus de cours d’écriture, il y a un plus grand degré de prise de conscience, envers les lecteurs et envers le processus d’écriture en lui-même.


Commentaires

FdGL (le 14/01/2021)
Je tombe par hasard sur cet article en 'surfant' sur internet (à la recherche d'idées pour un petit virage professionnel) et vous en remercie car je l'ai trouvé très intéressant. En fait je suis traductrice 'généraliste' depuis plus de 15 ans maintenant (après des études commerciales) et je REVE de passer à la traduction de romans féminins. Auriez-vous des conseils pour moi? A savoir... vers qui me tourner, qui contacter? Et surtout, comment me 'former' à ce nouveau genre (sachant que je lis énormément de romans féminins - mais je suppose que cela ne suffit pas haha). Mille mercis d'avance Flavie

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