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Joanne Richoux - Interview

13/07/2018

Concernant ton parcours

* Parle-nous de toi, de ton parcours.
Je suis née en 1990, en région parisienne, puis j’ai grandi dans un petit village d’Auvergne (Saint-Germain-l’Herm, le nom pose déjà une ambiance). En 2008, je me suis installée à Grenoble pour entamer des études de psychologies, et je les ai suivies jusqu’à la Licence, étape où j’ai décidé de bifurquer afin de me consacrer à l’écriture.

* En quelques mots, tu veux bien nous parler de tes précédents romans (autoédition incluse) ?
La toute première histoire « longue », je l’ai écrite à vingt ans. J’étais jeune et impétueuse (pas qu’aujourd’hui je sois vieille et molle, mais quand même), je ne connaissais rien au milieu de l’édition ; malgré cela, je me suis lancée tête baissée. Il y a eu deux romans « tests » édités chez de petits éditeurs, puis un recueil de nouvelles en 2014.
Ensuite, j’ai envoyé un premier manuscrit à Tibo, directeur de la Collection Exprim’ aux Éditions Sarbacane – une autofiction dans la lignée de ce que j’avais écrit auparavant. Tibo m’a encouragée à lui envoyer un prochain projet « plus audacieux », ce que j’ai fait avec Marquise en janvier 2015. Il restait encore du travail, or le manuscrit lui avait tapé dans l’oeil ; en septembre on signait donc un contrat, et le roman est sorti en mars 2017. Entretemps, au printemps 2016, je lui ai soumis une première version des Collisions, qu’il m’a poussée à améliorer encore et encore, jusqu’à sa sortie en avril dernier.

* Quand tu n’écris pas que fais-tu ?
Le cerveau n’étant pas franchement concerné par le système des 35 heures, je réfléchis à ce que je vais écrire le lundi matin…
Plus sérieusement, je partage mon temps entre plusieurs activités chères à mon coeur : les cours de théâtre, les promenades à vélo, voyager, lire, rêvasser, torturer mon amoureux, danser seule dans ma chambre, me couvrir la peau de tatouages, écouter Harry Styles (ou tout autre crush du moment), découvrir de nouveaux parfums et attendre l’orage.

* Quel est ton roman favori ?
La route de Los Angeles, de John Fante. Best.Book.Ever.

* La playlist de ta journée idéale en 10 morceaux ?
Ah, question trop difficile sachant qu’aucune journée ne se ressemble…
En ce moment ce serait du blues le matin, afin d’émerger en douceur ; Mélanie Martinez à midi pour l’espièglerie ; The Neighbourhood l’après-midi parce que la voix de Jesse Rutherford m’aide à écrire ; Alison Mosshart en début de soirée – rock et crue ; et du classique le soir pour redescendre, ma préférence allant à Beethoven.

 

Concernant Les collisions

* Raconte-nous Les collisions.
Les collisions, c’est l’année de Terminale de Gabriel et Laetitia, un binôme qui s’aime sans s’aimer et est prêt à tout pour se distraire de la douleur, y compris en infliger aux autres. Donc ils vont pimenter leur quotidien en reprenant à leur sauce Les liaisons dangereuses de Laclos, et choisir les personnages secondaires parmi leurs professeurs et camarades.

* Les collisions, c’est une réinterprétation du roman épistolaire « Les liaisons dangereuses », pourquoi avoir choisi de rejouer cette histoire ? Quelle relation as-tu avec ce texte et son auteur ?
Une relation passionnée. Je me souviens encore de ma propre année de Terminale, où je lisais sans relâche la fameuse lettre XLVIII (missive d’amour enfiévrée que Valmont adresse à Madame de Tourvel et rédige un soir d’orage, en prenant pour table le dos de la femme avec laquelle il passe la nuit). Je l’ai aussi choisi parce que j’adore le genre de relation ambiguë qui lie Valmont à la Merteuil : exclusive, tumultueuse, à michemin entre l’amour et l’amitié…

* De quelles thématiques traites-tu dans ton roman ?
J’essaie d’en aborder plusieurs, parce qu’il me semble que dans la vie réelle on ne décide pas d’exister selon deux, trois ou quatre thématiques ; on est plutôt balloté par un flux d’émotions et d’événements qui nous construisent ou nous détruisent, de façon chaotique parfois. Mais si je devais n’en citer que quelques-unes, je dirais la colère, les relations humaines et l’intimité (du point de vue de l’âge adolescent).

* Pourquoi devrait-on lire ton roman ?
Parce que, d’après les premiers avis qui affleurent, ce n’est pas un roman mais une « gifle ».

* Ce n’est pas une romance, ce n’est pas un roman épistolaire, quel genre revendiques-tu pour ton roman ?
Aucune idée, je n’aime pas tellement classer ni étiqueter les choses, à vrai dire. La même question s’est posée pour Marquise, d’ailleurs. J’ai lu dans plusieurs chroniques que les lecteurs étaient embêtés de ne pas savoir comment le catégoriser ; le mot OVNI est apparu. Personnellement, il me semble que c’est bon signe.

* Il a été publié aux Éditions Sarbacane, un éditeur plutôt jeunesse, à quel type de public le destines-tu ?
À un public « jeunesse » dans le sens où il traite de l’adolescence, mais également à un public adulte, qui a été ado et pourrait être tenté de goûter à nouveau aux années lycée.

En fait, j’ai le sentiment que la littérature jeunesse ne se destine pas à un lectorat selon l’âge, mais plutôt selon les attentes vis-à-vis d’une lecture. En LJ et particulièrement chez Sarbacane, on est dans la narration, les personnages incarnés et des rythmes soutenus. Je dirais donc qu’il s’agit de romans pour qui désire vibrer, en prendre plein les yeux.

* Pourquoi ton histoire se déroule-t-elle en dernière année de Terminale ? Pourquoi pas en Seconde ou à la faculté ?
J’ai choisi cette année parce qu’elle a quelque chose de puissant, cette certitude que c’est la dernière fois qu’on est tous ensemble, « à l’école ». Après c’est le grand saut, les séparations, les trajectoires d’adulte…

 

Concernant L’écriture

* Comment as-tu écrit le roman ? Seule ? Dans le noir ? Dans un parc face à un lycée ?
Je suis l’opposé de ce cliché romantique : un auteur assis sur un banc, qui pianote sur son PC portable en adressant un sourire béat aux badauds…
J’en incarne un autre, en fait : l’auteur solitaire et rigide, enfermé dans sa chambre et qui tape contre le mur dès que les voisins élèvent la voix. Cela dit, j’ai arrêté de fumer à chaque paragraphe, ça appuyait trop le stéréotype. À la place, je mange des bonbons à la menthe.

* Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Mince, si je réponds « la vie » avec un rictus énigmatique, est-ce que je me rapproche du premier cliché cité plus haut ?

* Est-ce que tu avais sous le coude une fin alternative ? Ou des ramifications d’intrigue différentes de celle qui a été publiée ?
Non, le roman est assez fidèle au plan détaillé que j’avais réalisé en amont. Bien sûr, l’histoire a évolué au fil des réécritures, et la chronologie a bougé par endroits, mais en substance l’intrigue est restée stable.

* Est-ce que tu l’as fait relire par des ados pour avoir leur retour et leurs impressions sur la véracité des scènes que tu racontes ?
Non, je n’ai bossé qu’avec Tibo, qui m’a fait remonter l’avis de Julia, son assistante d’édition. Il y a eu une beta-lectrice aussi, Alice ; elle m’a énormément aidée à approfondir certains traits des personnages. En tous cas, c’est marrant que tu emploies ce terme, « véracité ». C’est précisément ce que Tibo m’a fait retravailler depuis la V1.

* Quels sont tes engagements quand tu écris ? Ton objectif ? Les messages ou les émotions que tu veux faire passer ?
Livrer une histoire est un exercice complexe, et il me semble que, pour qu’elle fonctionne auprès des lecteurs, l’auteur doit être passionné et honnête dans sa pratique.
Passionné dans le sens où, à la fin, un roman doit laisser le lecteur essoufflé, presque orphelin ; abasourdi par un tourbillon d’émotions et d’idées qui prend aux tripes – si l’auteur écrit sur tel sujet au hasard, pour faire joli et sans convictions, ça se ressent et on s’ennuie.

Ensuite honnête, parce que je considère qu’un livre, c’est presque un horcruxe : il faut y abandonner des choses à soi. Attention, je n’insinue pas qu’on doive taper dans l’autofiction, seulement je crois qu’un auteur se doit de raconter une histoire que personne d’autre que lui ne peut raconter (de cette façon au moins), sinon c’est du déjà vu et ça ne sert à rien.

* As-tu des anecdotes d’écriture à partager avec nous ?
Oui, un plaisir d’auteur meilleur que le chocolat !
Lors des corrections, ma lubie ce sont les répétitions ; je déteste ça et les traque avec intransigeance. Certains mots ont des tas de synonymes, donc le travail est simple. Par exemple, pour « briller » on a « chatoyer », « scintiller », « étinceler », « luire », « resplendir » etc. Or, quand un personnage « se tourne » vers un autre, ça se corse. Il peut bien « pivoter » aussi, mais avec deux formules sur tout un roman, on est vite coincé. Et là, un matin de décembre, le mot « obliquer » est apparu, tel un filet de lumière divine. Le problème c’est que quand je trouve un « mot solution », je le cloque partout et ça crée des… répétitions.

 

Concernant les personnages

* Parle-nous de tes personnages, du lien entre eux, et de celui que tu as avec eux.
Ah, l’occasion d’expliquer le titre !
Mon ambition avec ce livre était de montrer qu’à l’adolescence, le rapport à l’autre est difficile, et qu’on n’entre pas en relation, mais véritablement en « collision ». Soit parce qu’on est en colère, révolté ; soit parce qu’on est amoureux et qu’à cet âge-là, tout est vécu selon une intensité particulière, écrasante. Mon lien à moi, avec Gabriel, Laetitia, Dorian, Ninon, Solal et Amandine, c’est qu’à un niveau ou à un autre, j’ai mis quelque chose de moi en eux (un horcruxe, je vous dis).

* Qu’est-ce que tu aimes chez Gabriel et chez Laëtitia ?
La nuance.
Dans la quatrième de couverture, il est dit de Gabriel qu’il est brumeux et arrogant, de Laetitia qu’elle est fière et sauvage. J’aime qu’ils soient surtout fragiles, l’un comme l’autre, terrifiés à l’idée d’aimer, de souffrir, d’être déçu…

* À l’heure où la tendance est plutôt à écrire sur les ados harcelés, tu fais un roman sur les bourreaux. C’est plutôt subversif comme idée... pourquoi avoir choisi cet angle-là ?
Parce que rien n’est jamais noir ou blanc dans la vie ; ça ne devrait pas l’être non plus dans le domaine de la fiction. Je ne supporte pas les ouvrages où on présente aux jeunes, d’un côté les gentilles victimes impuissantes, et de l’autre les infâmes bourreaux. Personne n’est « gentil » à 100 %, les bourreaux ont des bourreaux et des failles, les rapports s’inversent souvent et on est toujours, simultanément, le fort, l’idiot, le faible ou le héros de quelqu’un.
C’est le point de vue que j’ai voulu adopter ; celui selon lequel tout le monde souffre, peu importe le rôle qu’on endosse.

* C’est quoi tes prochaines écritures ?
Actuellement, un nouveau projet est  en lecture chez Tibo, donc motus et bouche cousue. Si le roman lui plaît, il devrait être édité l’an prochain… Ce que je peux dire de ce nouveau bébé, c’est qu’il sera dépaysant !

* Tu veux ajouter quelque chose ?
Un grand merci pour ces questions fines et l’attention portée aux Collisions


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